Si les hommes monopolisent la parole lors des questions en public, parler du phénomène permet de le limiter, selon une équipe américaine.
Un projet de recherche scientifique peut commencer par une observation banale. Pour Natalie Telis, jeune étudiante en bio-informatique à l’université Stanford (Etats-Unis), cela s’est passé lors de sa première participation à une conférence scientifique. « Le premier jour, j’ai posé une question. Ça me semblait normal. Sauf qu’à la fin de la journée j’étais la seule femme à l’avoir fait. » Dans une salle largement dominée par les hommes, le fait semblerait banal. Mais l’assistance paraissait au contraire mixte.
Les femmes, souvent largement majoritaires parmi les participants, ne le sont jamais dans les présentations.
La jeune femme décide alors d’aller y voir d’un peu plus près. Elle commence par rassembler empiriquement des données lors des conférences auxquelles elle participe. Constatant que sa première intuition se vérifie, elle monte un programme de recherche avec sa collègue Emily Glassberg, du département de génétique. Leur terrain se concentrera sur deux rassemblements majeurs de leur champ d’étude : le congrès de la Société américaine de génétique humaine (ASHG) et une conférence sur la biologie du génome (BG). Le recueil des premiers résultats, en 2014, révèle des déséquilibres frappants. Les femmes, souvent largement majoritaires parmi les participants, ne le sont jamais dans les présentations. Moins nombreuses parmi les auteurs de posters, elles sont encore plus sous-représentées chez les conférenciers.
La palme revient toutefois à l’exercice des questions. La proportion de femmes n’y excède pas 10 % en moyenne. « Nous nous sommes alors demandé s’il était possible de changer les choses et avons fait une proposition aux organisateurs. » En 2015, Emily Glassberg est invitée à présenter ses premiers résultats lors d’une séance plénière de BG, à mi-course du symposium. Le résultat fut frappant puisque le taux de questions féminines passa de 10 % avant l’intervention à 30 % après.
Une forme d’autocensure
Pendant les trois années suivantes, les deux chercheuses ont poursuivi leur moisson de données et leur analyse. Avant même l’exercice des questions, elles ont voulu savoir si le déficit de femmes parmi les conférenciers s’expliquait par des biais de sélection. Une procédure anonyme a donc été mise en place à partir de 2015. Elle n’a pas affecté les résultats. Pour les deux auteures, les femmes sont plutôt victimes d’une forme d’autocensure, tant dans la façon de présenter leur demande que dans le fait même de se porter candidates. « Ce qui n’écarte pas les biais externes », soulignent-elles. Ainsi, parmi les quelques conférenciers directement invités (sans procédure de candidature, donc), le déséquilibre est encore plus marqué.
Selon les calculs de Natalie Telis, il faudrait plus de 80 % de femmes dans une salle pour parvenir à la parité des questions.
Ces données sont d’importance pour analyser l’exercice des questions-réponses. En effet, l’étude montre que les femmes sont beaucoup plus enclines à prendre la parole devant une conférencière que face à un conférencier. 61 % des questions posées par des femmes l’ont ainsi été à des femmes. Mais comme les chercheuses sont moins nombreuses à monter à la tribune, le déséquilibre se retrouve à l’heure des échanges avec la salle. Et durant les quatre années, il est resté très important. Les auteures de l’article ont estimé à 53 % la proportion de femmes inscrites aux deux conférences sur les quatre ans, mais à seulement 35 % leur place devant le micro lors des questions. Même dans des salles à 67 % féminines, traitant d’aspects sociaux et éthiques des sciences, elles ne dépassaient pas 45 % des questions. Selon les calculs de la bio-informaticienne, il faudrait plus de 80 % de femmes dans une salle pour parvenir à la parité des questions.
Tout n’est pas perdu, comme l’a montré la première intervention de Natalie Telis. D’autant que l’effet a semblé durable, puisque les années suivantes la proportion n’est presque pas retombée, demeurant autour des 30 %. Bienvenue, donc, mais pas suffisante. En effet, en 2017, la chercheuse a été une nouvelle fois conviée à s’exprimer en plénière, devant l’ASHG. Cette fois, le curseur n’a que très légèrement bougé. Tout juste peut-elle se féliciter d’avoir vu diminuer le nombre de sessions sans aucune question de femmes. La lutte contre la discrimination a encore de beaux jours devant elle. D’autant que la chercheuse entend réitérer l’exercice avec les origines ethniques des participants. Ames sensibles, se préparer au pire !
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