Alors que la France vient de vivre un épisode caniculaire inédit, le Pr Antoine Pelissolo, chef de service de psychiatrie (Henri-Mondor, Université Paris-Est Créteil), revient sur les conséquences des fortes chaleurs sur les personnes fragiles et dessine les pistes d'adaptation de la psychiatrie face aux bouleversements environnementaux, aujourd'hui et demain.
LE QUOTIDIEN : Quel est l'impact de la canicule sur la santé mentale ?
Pr PELISSOLO : Les fortes chaleurs peuvent accentuer le stress chez les personnes fragiles, et représenter un facteur de complication supplémentaire, sur le plan psychologique et physique. Peu d'études documentent ce phénomène récent, mais nous constatons chez nos patients des signes d'une plus grande fatigue.
En outre, des études épidémiologiques internationales tendent à montrer une augmentation des tentatives de suicide, avec un passage à l'acte violent (défenestration, utilisation d'une arme à feu), corrélées à la chaleur. Ces résultats sont aussi à prendre avec précaution ; on suppose un lien avec la sérotonine, mais des travaux doivent le confirmer.
Autre conséquence indirecte des fortes chaleurs, les patients notamment en psychiatrie risquent de rester confinés chez eux, et ainsi d'échapper aux soins et d'être moins observants.
Enfin, les effets indésirables des médicaments peuvent être aggravés par la chaleur. C'est notamment le cas pour le lithium, utilisé dans le traitement des troubles bipolaires. Il y a des risques de surdosage lorsque les personnes sont déshydratées : il faut donc rappeler aux patients l'importance de s'hydrater, sans oublier d'équilibrer avec un apport suffisant en sel.
Les antipsychotiques et neuroleptiques sont aussi des facteurs aggravants pour l'hyperthermie, en particulier chez les personnes âgées qui encourent même des risques vitaux. Cela nécessite donc une surveillance accrue.
Quels conseils le médecin peut-il prodiguer ?
Des conseils d'hydratation, d'abord, puis une surveillance au cas par cas, en essayant d'être réactif. En cas de signes d'intolérance, l'on peut adapter les posologies, mais très prudemment pour ne pas risquer des pertes d'efficacité.
On parle d'éco-anxiété ? Qu'est-ce ?
Ce n'est pas un concept psychiatrique, mais c'est une thématique qui émerge. Les dégradations de l'environnement, la perspective d'une disparition des ressources vitales de la planète, les migrations forcées, peuvent nourrir l'anxiété de certains patients, comme le font déjà des thématiques comme la santé, le chômage, les crises économiques, ou la menace terroriste, ces dernières années.
Cela se traduit par des ruminations, de la difficulté à se concentrer sur des tâches habituelles, des troubles du sommeil, des tensions nerveuses, de la somatisation... On entend aussi le terme « solastalgie » qui fait allusion au deuil par rapport à un monde ancien en transformation avec un épuisement des ressources vitales (notions "d'effondrement" et de "collapsologie"). Mais il existe aussi un versant positif, qui peut prendre la forme d'un engagement collectif, associatif, militant au nom de valeurs citoyennes ou politiques.
Plus largement, il me semble qu'un nouveau champ de recherche s'ouvre, sur les effets positifs comme négatifs de l'environnement sur la santé mentale : l'« éco-psychologie ». Qui témoigne de l'impossibilité, aujourd'hui, de nier les effets des changements climatiques et environnementaux sur la santé mentale.
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