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jeudi 4 juillet 2019

Féminicides : appel d’urgence

Par Virginie Ballet — 
Le 17 juin à Valenton (Val-de-Marne), chez les grands-parents d’Aïssatou Sow, tuée en 2016. A la télé, une photo de la jeune femme utilisée dans l’émission 'Crimes' de NRJ12.
Le 17 juin à Valenton (Val-de-Marne), chez les grands-parents d’Aïssatou Sow, tuée en 2016. A la télé, une photo de la jeune femme utilisée dans l’émission "Crimes" de NRJ12. Photo Rémy Artiges pour Libération

Un die-in se tiendra samedi à Paris pour dénoncer les meurtres de femmes commis par leur conjoint ou ex. Et inciter le gouvernement à prendre enfin des mesures fortes alors que 107 victimes ont été recensées en 2018.

Maïté, 36 ans, employée dans la grande distribution : tuée à l’arme blanche à Givet (Ardennes), le 8 juin. Mayie, 81 ans, retraitée : abattue avec un fusil de chasse à Urrugne (Pyrénées-Atlantiques), le 17 juin. Chantal, 72 ans, mariée depuis deux ans : tuée par balles à Bardos (Pyrénées-Atlantiques), le 25 juin… Derrière les statistiques des femmes abattues par leur conjoint ou leur ex (elles étaient 130 en 2017 et 107 en 2018), il y a des vies, que Libération raconte chaque mois depuis janvier 2017. Des vies fauchées, laissant derrière elles des proches qui tentent de se reconstruire, voire de lutter pour arrêter cette hémorragie. Certains d’entre eux, avec le soutien de la Fondation des femmes et d’organisations féministes (Fédération nationale solidarité femmes, Collectif féministe contre le viol, #NousToutes…), organisent samedi un rassemblement place de la République à Paris pour alerter sur la réalité des féminicides conjugaux, sous le mot d’ordre «protégeons-les». Pour Céline Lolivret, l’une des organisatrices, ce «die-in» est comme un «cri d’alarme». Cette aide-soignante de Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), 35 ans, a perdu son amie d’enfance en mars.

«Banaliser»

Elle s’appelait Julie Douib, elle avait 34 ans, et elle a été tuée par balles à L’Ile-Rousse, en Corse. Originaire elle aussi de Seine-et-Marne, elle s’était installée sur l’île par amour, mais rapidement la violence a pris le dessus. D’abord verbale et psychologique : «Il a commencé par lui interdire de sortir, à part pour emmener leurs enfants à l’école ou au foot, raconte Céline. Puis il est devenu de plus en plus jaloux sans raison, il l’isolait, la rabaissait. Elle était sous emprise.» Puis sont venus les coups, les mains courantes et les plaintes. Lui en dépose aussi, pour dégradations. En septembre 2018, Julie parvient à le quitter, trouve un travail et un appartement. «Il la suivait et la harcelait, il ne supportait pas qu’elle prenne son indépendance», se souvient Céline. En janvier, Julie lui confie sa peur qu’il «arrive un drame». Le 3 mars, elle était morte. Son ex-compagnon s’est constitué prisonnier. «Julie avait signalé à la police qu’il avait un permis de port d’armes, qu’elle était harcelée, qu’elle avait peur… Mais il ne s’est rien passé, comme si on n’avait pas pris son histoire au sérieux», s’agace la jeune femme. Depuis la mort de son amie, Céline a décidé de faire entendre la voix des victimes de violences, dont elle a elle-même fait partie. Sans oser le dire, jusqu’à la mort de Julie. «Quand j’ai porté plainte, on m’a demandé de revenir à un autre moment et on m’a culpabilisée, alors que j’appelais à l’aide, se souvient-elle. On ne peut plus banaliser les violences conjugales.»

Manquements

Elle et les autres organisateurs du rassemblement (lire page 3 le témoignage de l’un d’eux, Noël Agossa) de samedi en appellent au gouvernement. Dans une tribune publiée dans le Parisien dimanche, ils ont demandé «solennellement au président de la République d’être le premier homme politique français à mettre fin à ce massacre», ajoutant : «Pour nous c’est trop tard. Mais nous pouvons empêcher que d’autres familles vivent ces tragédies, que les mêmes problèmes conduisent aux mêmes horreurs.» Le Haut Conseil à l’égalité, instance consultative indépendante, a demandé lundi à être «saisi officiellement»pour identifier les éventuels manquements dans les dossiers des femmes tuées cette année. En réponse, la chancellerie a fait savoir que l’Inspection générale de la justice a été saisie le 21 juin et que les violences conjugales constituaient une «priorité».
La ministre Nicole Belloubet a aussi répété sa volonté de généraliser «le plus tôt possible» un système de bracelets électroniques à destination des hommes violents. En Espagne, où le système est expérimenté depuis une dizaine d’années, le nombre de femmes tuées est ainsi passé de 76 en 2008 à 47 en 2018 (lire Libération du 3 juin).
La Fondation des femmes demande pour sa part l’organisation rapide d’un Grenelle des violences faites aux femmes qui réunisse tous les ministères concernés, pour réfléchir à des mesures d’ampleur. Le collectif #NousToutes prône par exemple de délivrer davantage d’ordonnances de protection (en 2014, il n’en a été délivré que 1 300 en France) ou encore d’encourager les personnels médicaux à la détection systématique des violences conjugales.
D’ici là, les rassemblements se multiplient : le 20 juin, 200 personnes se sont retrouvées devant le Panthéon, à Paris, pour réclamer des places d’hébergement d’urgence supplémentaires, et davantage de moyens. Le 30 mai, tandis que se tenait à Lille un rassemblement en mémoire de Nathalie, enlevée puis tuée, les Femen investissaient la cour du Palais-Royal, à Paris, pour dénoncer «l’indifférence du gouvernement». Inna Shevchenko, l’une des leaders du mouvement, avait alors tonné : «Si on déplorait autant de victimes masculines, imaginez quelles seraient les réactions.» 

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