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mardi 23 février 2021

Marwan Mohammed : « Il y a une digitalisation des conflits entre bandes »

Propos recueillis par   Publié le 24 février 2021

Le sociologue, chargé de recherche au CNRS et spécialiste des jeunesses urbaines, rappelle que les violences entre groupes de jeunes sont un phénomène récurrent.

Deux adolescents de 14 ans ont été tués dans des rixes opposant des bandes rivales en Essonne, lundi 22 et mardi 23 février. Le sociologue Marwan Mohammed, chargé de recherche au CNRS et spécialiste des jeunesses urbaines, revient sur ces phénomènes récurrents.

Lundi, « Le Parisien » rapportait qu’une note de la Préfecture de police comptabilisait trois morts et 280 blessés en 2020 des suites d’affrontements entre bandes dans l’agglomération parisienne. Y a-t-il une hausse de ces actes ?

Pour avoir une réponse définitive, il faudrait être en mesure d’avoir un appareil d’enregistrement sur le long terme de ces phénomènes, dans ses différentes dimensions (violences, déscolarisation, absentéisme), mais aussi d’avoir un recensement homogène pour l’ensemble du territoire. Il y aussi des manifestations de ces conflits difficiles à mesurer. Seule la partie visible des rivalités est connue, il y a parfois des blessés graves qui ne sont pas identifiés comme résultant d’un affrontement de bandes.

Les chiffres que donne la Préfecture de police, évidemment, ce sont toujours trois morts et 280 blessés de trop, mais il faut aussi prendre du recul : en 2020, à Chicago aux Etats-Unis (2,7 million d’habitants contre 2,2 pour Paris), il y a eu plus de 700 morts, dont 300 mineurs, et plus de 4 000 blessés. Ce sont en majorité des fusillades liées à des rivalités entre gangs.

Les violences entre bandes ont toujours existé dans les grandes métropoles, mais les réseaux sociaux modifient-ils la manière dont se construisent ces rivalités ?

Les réseaux sociaux sont la grande nouveauté : il y a une digitalisation des conflits. D’une part, leur naissance se joue désormais également dans la sphère numérique et peut déborder sur l’espace public. Auparavant les conflits naissaient en présentiel, maintenant ils peuvent naître en virtuel.

Le second effet, c’est la temporalité : l’affrontement est désormais suivi en temps réel par des centaines de personnes. Troisième effet des réseaux sociaux : ils créent un espace numérique des réputations. Auparavant, elle se construisait dans l’espace physique, entre le collège, le lycée, le bus scolaire... Tout cela existe toujours mais aujourd’hui, les faits et le prestige sont aussi commentés, notés, évalués en ligne.

Le dernier effet, c’est le fait que les belligérants se mettent en scène. Dans le cas de Yuriy, on a vu une première vidéo circuler, montrant des jeunes issus de son quartier, qui tabassent un ado de Vanves. Ils se filment, et s’expriment face à la caméra, en parlant non pas qu’à lui, mais à son quartier et à ses copains. On a une forme de scénarisation, pas forcément pensée à l’avance, mais qui est là.

Les cas récents impliquent des mineurs âgés parfois de 13 ou 14 ans, y a-t-il un rajeunissement dans les profils des auteurs de violences en bandes ?

Ces affrontements entre bandes ont toujours impliqué des mineurs avec des propriétés sociales stables : majoritairement des garçons en difficulté scolaire, peu insérés socialement, valorisant la force physique, une forme de masculinité compensatoire, viriliste, brutale, basée sur la capacité à défier et à répondre, à travers des normes d’honneur très marquées.

Au final, des adolescents ordinaires, turbulents, pas nécessairement des délinquants endurcis, peuvent se transformer en assassins, en commettant des violences graves, en déshumanisant leur victime et en neutralisant leurs affects. Des mécanismes bien connus en sociologie du passage à l’acte.

Mais on trouvait déjà, il y a cinquante ou soixante ans, des cas de bagarres mortelles entre groupes d’adolescents. C’est un phénomène cyclique qu’on semble redécouvrir à chaque fois à l’occasion de faits divers. En réalité, les armes blanches ou par destination ne sont pas davantage utilisées qu’avant. Même la disponibilité plus récente des armes à feu ne se traduit pas par une explosion de leur usage.

Souvent les motifs de ces rixes sont triviaux, des querelles entre quartiers qui finissent par s’enraciner et devenir récurrents. Peut-on prévenir ces affrontements ?

J’avais suivi un travail qui s’est fait sur des rivalités récurrentes, dans le Val-de-Marne, entre les quartiers de Bois-Labbé à Champigny et celui des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne. Une expérience intéressante, car elle a réuni de nombreux acteurs de terrain.

Le pilotage et la réussite ont reposé sur les militants d’associations locales qui connaissent les jeunes. Ils ont engagé un travail sur le long terme pour refroidir, puis modifier en profondeur les rapports entre les quartiers. Et finalement ce n’est pas si difficile, car au fond, ces conflits usent les jeunes. Ces militants sont parvenus à identifier et à convaincre ce petit noyau qui anime le conflit et entraîne avec lui leur quartier, les familles, les enseignants...

Chercher le motif de ces bagarres n’a finalement que peu d’intérêt. Le problème, ce sont ces adolescents par dizaines qui sont disposés à l’affrontement. Et si on veut agir en profondeur, on retombe sur ces questions fondamentales, mais néanmoins délaissées, de la ségrégation, de l’échec scolaire, du manque de perspectives, des difficultés d’insertion ou de situations familiales compliquées. A long terme, une politique sociale de prévention renouvelée est la seule à pouvoir réduire le « vivier » de ces jeunes qui participent à ces embrouilles de quartier.


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