par Eric Favereau publié le 23 février 2021
Après la première naissance en France d’un enfant, né à l’issue d’un don d’utérus d’une mère à sa fille mi-février, certains s’interrogent sur ce don si particulier.
«Un enfant miracle», ont répété les médias. «Une magnifique naissance», a ajouté le professeur Jean-Marc Ayoubi, chef de service de gynécologie obstétrique à l’hôpital Foch à Suresnes (Hauts-de-Seine), à l’origine de cette première en France, à savoir la naissance d’un bébé après une greffe d’utérus chez la mère. Ce médecin précise : «Mais c’est aussi une aventure collective de plusieurs dizaines de personnes, 25 chercheurs pendant quinze ans y ont travaillé.» Aboutissant à l’arrivée d’une petite fille de 1,845 kg, le 12 février. La mère, Deborah, âgée de 36 ans, avait bénéficié en mars 2019 de la première greffe d’utérus française, réalisée par la même équipe. La donneuse n’était autre que sa propre mère, alors âgée de 57 ans.
Petit retour en arrière. C’est en octobre 2014 que la revue The Lancet annonce la première naissance d’un enfant né après une greffe d’utérus, en Suède, dans l’équipe du professeur Mats Brännström de l’hôpital de Göteborg. Depuis, ce sont plus d’une vingtaine d’équipes dans le monde qui essayent de renouveler l’expérience. Lors du congrès de la Société internationale de transplantation utérine qui s’est tenu à Cleveland aux Etats-Unis en septembre 2019, il a été fait état de 76 greffes et 19 naissances. En France, trois équipes travaillent sur ce type de greffes, l’une basée au CHU de Limoges, l’autre à Rennes, en plus donc de l’équipe de l’hôpital Foch. «Depuis le début, nous sommes en lien avec les Suédois, nous a expliqué le professeur Ayoubi. Nous sommes très proches, on pratique chez eux, on s’est entraînés chez eux. Et on leur a apporté notre technique de robotique pour le prélèvement.» Il ajoute : «C’est le prélèvement qui est très délicat. Les artères et les vaisseaux utérins sont par nature très fins, et il faut qu’ils soient prélevés au mieux, dans un état intact. Pour la dissection et le prélèvement, la robotique est d’une grande précision.»
«Je n’ai pas cherché à me racheter»
L’équipe de l’hôpital Foch travaille donc à partir de donneuses vivantes, à la différence d’autres équipes qui prélèvent l’utérus sur des femmes en état de mort cérébrale. Se pose donc la question du don. Qui peut donner ? Selon le protocole de recherche pour l’équipe de Foch, la femme doit avoir au moins 40 ans, avoir eu deux enfants et être de la même famille. Et, bien évidemment, elle doit être en état de donner «un consentement libre et éclairé». Pour cela, la donneuse est suivie par une psychologue.
Mais est-ce suffisant ? Le don d’un utérus est-il comparable au don d’un autre organe ? Dans un entretien à M6, la toute jeune grand-mère française, qui a donné son utérus à sa fille, tient un discours simple : «Je l’ai toujours dit : si un jour ça pouvait se faire de lui donner mon utérus, je n’aurais pas de souci.» Après avoir expliqué qu’elle s’en était voulu de ne pas avoir «donné» d’utérus à sa fille, née sans cet organe, on lui a demandé si elle a vu son geste comme une réparation, elle répond ainsi : «Je n’ai pas cherché à me racheter. Mais quand vous mettez au monde un enfant, on se sent toujours un peu responsable de ce qui lui arrive. C’est comme un enfant qui «tourne mal», on se demande ce qu’on a loupé au niveau de son éducation. Là, c’est ce syndrome qui fait qu’elle est née sans utérus. On sait bien que ce n’est pas de notre faute, ça arrive à une naissance sur 4 500, c’est très rare»
De fait, l’histoire récente des greffes à partir de donneurs vivants montre que la question du don n’est pas toujours aussi simple. Bien souvent, le don est chargé de mystères et de silences. On en a vu la confirmation avec certaines personnes qui ont donné un lobe de leur foie à un proche pour être greffé. Pendant des années, on a considéré qu’en mettant quelques garde-fous autour de ce don familial, tout irait bien. Mais peu à peu, on voit s’exprimer en France «une certaine réticence», a pu noter l’Académie de médecine lors d’une journée sur les donneurs vivants. «Le fait marquant vient d’enquêtes approfondies, sur une période prolongée. Ces travaux ont mis en relief la complexité du don tel qu’il peut être vécu par les protagonistes.»
Un «consentement libre et éclairé»?
Ainsi, Mathilde Zelany, philosophe et psychologue dans l’équipe du professeur Jacques Belghiti de l’hôpital Beaujon à Clichy a interrogé et suivi plus de 80 donneurs de foie, et cela pendant plusieurs années. Les résultats de son travail étaient passionnants, car ils montraient que derrière la belle histoire du geste d’un don gratuit se cachent des situations variées et complexes. Outre le fait que les suites opératoires n’étaient pas toujours aussi anodines qu’on le leur avait dit, beaucoup de donneurs ont mis en avant que derrière leur consentement libre et éclairé, ils n’avaient pas vraiment le choix. Pour certains, ce choix est même «comme un leurre, la marge de liberté du sujet étant réduite face au dilemme entre laisser mourir l’autre et le faire vivre», écrit-elle dans la revueEsprit en 2008. Ainsi, une personne : «Vous imaginez, savoir que j’aurais pu sauver mon père et ne pas l’avoir fait ? Je ne m’en remettrais jamais, psychologiquement. Certains donneurs ont mis en avant que leur choix a été dicté «tout autant par le sentiment du devoir, par une injonction interne relayant une pression sociale», parfois même familiale importante.»
La chercheuse évoque même une maladie du don : car il s’agit de «donner de soi», de «payer de sa personne» au sens littéral, d’offrir en «sacrifice» à son proche une part intime et réelle de son corps. Dans ce contexte, que reste-t-il du «consentement libre et éclairé»que les médecins et les magistrats en dernier lieu cherchent à recueillir auprès du candidat au don ?
«Un cadeau particulier, précieux mais éphémère»
Pour le don d’un utérus, la problématique est-elle identique ? Geneviève Delaisi de Parceval, psychanalyste, a beaucoup travaillé sur cette question, et elle se montre réservée, en particulier lorsque c’est la mère qui est la donneuse. «En Suède, on essaye d’éviter ce cas de figure, car on trouve cela un peu lourd, vu la proximité d’une mère et sa fille. Cela peut faire un brouillard de génération. Et puis,ajoute-t-elle, c’est un cadeau particulier, un utérus c’est très précieux mais éphémère, car ensuite il est retiré.» Elle note aussi : «Comment la mère peut-elle refuser, elle est prise dans un système.»
Des interrogations réelles donc, mais pour l’heure, tout va bien. Selon l’expression consacrée juste un peu modifiée pour l’occasion, la mère, la fille mais aussi donc la grand-mère se portent très bien. «Nous sommes très attentifs à cette question, argumente, une dernière fois, le professeur Ayoubi. Avec une donneuse vivante, l’utérus est en meilleur état. Alors que prélever sur une femme en mort cérébrale nécessite des organisations lourdes, avec des équipes de permanence. Mais à l’avenir, nous ne nous interdirons rien», précise-t-il.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire