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mardi 23 février 2021

Comment échapper au spleen sexuel

CHRONIQUE

Maïa Mazaurette  

Publié le 21 février 2021

De nombreux Français s’ennuient au lit et préfèrent assurer les classiques plutôt que se risquer à de nouvelles pratiques. Pourtant, le champ des possibles n’a jamais été aussi vaste pour susciter la surprise et le désir, assure Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale ».


LE SEXE SELON MAÏA

Un tiers des Français préférerait passer une semaine sans sexe plutôt qu’une semaine sans smartphone. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude Bouygues-BETC parue récemment.

C’est donc que pour beaucoup d’entre nous, le distanciel est plus gratifiant que la connexion charnelle à un ou une partenaire. Le smartphone nous rend mille services, nous sommes d’accord (sur quel modèle lisez-vous cette chronique ?)… Et comme le démontrent les polémiques autour de l’économie de l’attention, le divertissement en fait partie. Jusqu’à l’excès. Et puis admettons-le : il y a souvent plus de rebondissements sur notre fil Twitter que dans notre vie sexuelle, plus de confidences croustillantes dans nos textos que sur notre oreiller.

Au risque d’enfoncer une porte ouverte, l’ennui aura sans doute été l’émotion-reine de la saison automne-hiver 2021. On se gèle. On patauge dans le Covid-19 (moins de loisirs, moins de contacts, mais aussi moins de défis quotidiens à relever). A quoi s’ajoute notre ennui sexuel, qui ne date pas de la pandémie, comme le démontrent les courriers du cœur des magazines depuis des décennies.

Bien sûr, nous sommes relativement habitués à cette lassitude. Mais nous ne sommes pas vaccinés contre ses effets secondaires : « La propension à l’ennui est liée à une moindre capacité de gestion des émotions négatives : les sujets enclins à l’ennui ressentent en effet plus facilement des sentiments d’insatisfaction, de frustration et de colère » (revue L’Encéphale, juin 2020). Avec des conséquences importantes sur la sexualité : une plus grande agressivité, et des comportements addictifs, dont paradoxalement… l’hypersexualité.

Pour tromper l’ennui, les Français trompent… leur conjoint

Démêlons donc cette histoire. Quand on s’ennuie, notre premier réflexe consiste à rechercher du changement. C’est-à-dire, dans le cas qui nous intéresse : changer sa vision de la sexualité, ou changer de pratiques, ou changer de partenaire. Cette dernière solution est compliquée par notre organisation sociale basée sur la monogamie ; 91 % des Français sont attachés à l’idée de fidélité (Harris Interactive-Cetelem, 2020).

Et pourtant ! Pour tromper l’ennui, les Français adorent tromper… leur conjoint. Traduction : ils vont décalquer le même scénario (chez les hétérosexuels, l’indéboulonnable duo préliminaires + pénétration), mais avec le collègue ou la voisine du dessous. Les conséquences (quand on se fait attraper) font mal : 58 % des Françaises pourraient quitter leur conjoint pour une infidélité. Seulement… 54 % pourraient aussi le quitter à cause de la routine, donc de l’ennui (Harris Interactive-Grazia, 2011). Parfait exemple de double contrainte, n’est-ce pas ?

En attendant le Grand Soir polysexuel (laissez-moi rêver, d’accord ?), changeons donc un autre paramètre. Par exemple, les pratiques. La sexualité est une culture. Comme toutes les cultures, elle évolue – mieux encore, elle s’enrichit au fil du temps.

En à peine un siècle, le cinéma, Internet, les applications de rencontres, la contraception ou les sextoys ont considérablement augmenté le champ des possibles. Si vous tapez la requête « livre sexualité » sur le moteur de recherche d’Amazon, vous tomberez sur plus de 70 000 résultats. La pornographie bien sûr joue un rôle : 28 % des milléniaux qui en regardent disent y chercher des idées (YouGov, février 2020). Notre répertoire s’enrichit donc de costumes, de vocabulaire spécifique, de bisexualité, de triolisme, de voyeurisme, d’exhibitionnisme, de sado-masochisme, de bondage, de sexe avec des inconnus, dans le train, dans l’avion, dans l’océan…

Un problème d’arbitrage entre risque et confort

Je laisse volontairement de côté les pratiques réellement minoritaires (fétichisme médical, momification, « pony play »…) : derrière notre timidité se cache souvent la conviction que la nouveauté sexuelle va forcément ressembler à une orgie romaine (mais c’est beaucoup de logistique, et la saison des toges paraît bien loin). On a tendance à oublier que les chemins de traverse sont le plus souvent très accessibles – ne demandant ni nouveaux partenaires ni outillage spécifique.

Par ailleurs, la focalisation sur les pratiques nous fait oublier un autre facteur de changement : notre corps. Le combo hétérosexuel « un pénis, un vagin », destiné à produire « un papa, une maman », n’est absolument plus d’actualité – et vu l’âge canonique des premiers godemichés retrouvés (30 000 ans), on peut douter que le sexe purement génital, purement reproductif, ait amusé bien longtemps nos ancêtres.

Il est aujourd’hui parfaitement acceptable d’utiliser ses mains ou sa bouche : des pratiques sous-utilisées (ou sous-déclarées !) il y a à peine un siècle, comme la fellation ou le cunnilingus, ont intégré le répertoire sexuel. Depuis une grosse dizaine d’années, à peu près tout le monde sait où se trouve un clitoris, à quoi il ressemble et surtout à quoi il sert. Les testicules sont de moins en moins délaissés. Et bien sûr, la zone anale s’est invitée dans nos chambres : une majorité de Français a essayé la sodomie au moins une fois, et 22 % des femmes ont déjà pénétré un homme.

Avec un tel terrain de jeu disponible, comment diable la monotonie reste-t-elle un problème ? Pourquoi ne cueillons-nous pas les différents fruits du plaisir – chaque jour différents ? On pourrait invoquer la pudeur, mais à mon humble avis, il s’agit plutôt d’un problème d’arbitrage entre risque et confort.

« Infobésité » sexuelle

Assez rapidement dans la construction du couple, les amoureux élaborent un schéma qui leur convient à tous les deux (ou qui prétend leur convenir). Ils essaient différentes techniques, ils sélectionnent la plus efficace. C’est là qu’on arrive au nœud de notre affaire : tout changement de script consiste à renoncer à des pratiques qui marchent, pour embrasser des pratiques qui marchent moins. Ou qui ne marchent pas du tout. L’innovation sexuelle est incompatible avec la performance. Si on fait la paix avec cette idée, ça va tout de suite beaucoup mieux.

Et de toute manière : de quelle performance parle-t-on ? Se donner un orgasme sans dépenser trop d’énergie, évidemment, c’est agréable et fichtrement commode après une longue journée de travail. En revanche, on peut se demander si ces orgasmes-là relèvent de la performance ou d’une mécanique bien huilée.

Que se passerait-il si notre idée de l’efficacité sexuelle consistait à générer un maximum de désir, ou de surprise, plutôt qu’un maximum de plaisir ? Comment ferions-nous l’amour si nous arrêtions de cavaler après l’orgasme pour nous concentrer sur… tout le reste ? Pour changer notre barème sexuel, il faudrait que disparaisse la peur de manquer : de partenaires, d’occasions, d’affection. Il faudrait aussi que l’orgasme (notamment féminin) soit plus facilement accessible. C’est possible. Mais dans un monde caractérisé – pour l’instant – par le manque plutôt que par l’abondance, on assure les classiques… et on s’ennuie.

Pour terminer sur une note positive, rappelons que l’ennui n’est pas seulement une question de pratiques – il est un défaut d’attention à notre environnement (combien de fois avez-vous louché sur Facebook en lisant cet article ?). Un Français sur trois estime que sa vie sexuelle n’a pas vraiment d’importance (Harris Interactive-Cetelem, 2020) : dans ces conditions, effectivement, notre attention sera happée par autre chose !

A moins qu’on ne tombe dans l’extrême inverse : si vous avez l’impression d’avoir sexuellement tout entendu et tout lu – faute d’avoir tout vécu –, alors sans doute êtes-vous victime d’une « infobésité » sexuelle. Et c’est vrai que la pléthorique production érotique du moment peut produire de la satiété… voire de la saturation. Vous êtes blasé(e) ? Dans ce cas, désolée, je recommande de faire ceinture : c’est paradoxalement en organisant le manque qu’on échappe le plus efficacement à l’ennui.


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