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lundi 22 février 2021

Le lettre de philosophie magazine

 

Bonjour,

La chute. Le malconfort. Ce sont les deux mots qui me viennent à l’esprit après avoir vécu un moment vraiment particulier jeudi dernier. J’avais invité Marie Holzman, grande spécialiste de la Chine, parler en visioconférence de la situation du pays, qui vient d’entrer dans l’année du Buffle, pour l’association “Les Nouveaux Dissidents”. Avec des mots simples et précis, la sinologue a décrit les mensonges de Pékin sur le Covid-19, l’écrasement de la révolte hongkongaise ou la répression sans fin des avocats défenseurs des droits humains. Vers la fin, nous en sommes venus aux Ouïghours. Devant la caméra, elle a tenté de mettre des mots sur quelque chose, dit-elle, de presque inconcevable : génocide ? ethnocide ? Peu importe le terme choisi. La réalité est qu’en ce moment même, à 6 000 kilomètres d’ici, dans la province du Xīnjīang, des centaines de milliers de Ouïghours, qui ont le malheur d’avoir une culture différente de celle des Hans – l’ethnie majoritaire en Chine –, et d’être accessoirement turcophones et musulmans, sont parqués dans des camps de travail et de rééducation, quand ils ne sont pas tout bonnement assassinés. Les femmes, elles, sont stérilisées, violées ou mariées de force à des Hans. Les enfants sont placés dans des orphelinats et subissent un véritable lavage de cerveau. La religion, la langue et les traditions sont vouées à la disparition. Une centaine de cimetières musulmans, des mosquées ont été rasés, raconte Marie Holzman. D’ici quelques années, qui sait si ce peuple et cette culture existeront encore ?

Cette réalité, j’avais l’impression de la connaître depuis plusieurs années, au rythme des révélations successives. Mais ce n’est que jeudi soir dernier qu’elle a comme explosé en moi. Il a sans doute fallu ce récit circonstancié, et ce sentiment d’effroi. J’ai pensé au bref roman d’Albert CamusLa Chute (1956), l’histoire d’un bourgeois content de lui qui se trouve pris d’un malaise existentiel lancinant. Il finit par en identifier la source. Un jour, il a traversé un pont et aperçu une jeune fille penchée sur le parapet. Alors qu’il était déjà sur le quai, il a entendu le bruit d’un corps qui tombe dans l’eau, des cris, et puis plus rien. Il a pensé “trop tard, trop loin…”, et s’est éloigné sans intervenir ni prévenir personne. Des années après cet épisode, il confie que “les plongeons rentrés laissent parfois d’étranges courbatures”. Dans le même roman, il compare son état à une diabolique cellule médiévale appelée malconfort : “Elle n’était pas assez haute pour qu’on s’y tînt debout, mais pas assez large pour qu’on pût s’y coucher. Il fallait prendre le genre empêché, vivre en diagonale”, avec une sensation physique permanente de culpabilité.

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