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samedi 27 février 2021

Covid-19 : comment la lutte contre les variants pourrait modifier les stratégies vaccinales

Par  et   Publié le 25 février 2021

L’apparition de nouvelles mutations du virus contraint les laboratoires à adapter leurs vaccins, les agences sanitaires à inventer de nouvelles procédures réglementaires, et les Etats à réexaminer leur stratégie vaccinale.

2021 devait être l’année des vaccins. Ce sera aussi celle des variants. Depuis l’apparition, au Royaume-Uni, à l’automne 2020, d’une mutation du SARS-CoV-2 plus contagieuse et létale, de nouvelles souches, brésilienne et sud-africaine, sont venues doucher l’espoir suscité par l’administration des premières doses.

Ces trois variants, et ceux qui ne manqueront pas de suivre, ne risquent-ils pas de rendre les vaccins existants moins efficaces, voire obsolètes ? Entre durcissement des restrictions de liberté et accélération des campagnes vaccinales, le monde constate avec inquiétude que l’ennemi a changé de visage. Pis, qu’il se démultiplie.

Pour contrer ses mutations, l’Agence européenne du médicament (EMA) indiquait, le 10 février, avoir demandé aux fabricants de déterminer si leur vaccin offrait une protection contre les trois variants, et de lui soumettre les données pertinentes. A ce jour, trois (Pfizer-BioNTech, Moderna, AstraZeneca) sont autorisés dans l’Union européenne (UE). Un quatrième, développé en une seule dose par Johnson & Johnson, devrait être validé à la mi-mars et arriver en France en mai, avant ceux de CureVac et Novavax.

Le 17 février, la Commission européenne passait elle aussi à l’offensive avec l’annonce du plan « Hera Incubator » : 75 millions d’euros seront débloqués pour identifier plus rapidement les mutations du virus, en développant des tests spécifiques et en augmentant les séquençages du génome ; 150 millions d’euros renforceront la recherche sur les nouveaux variants. Avec cette initiative, Bruxelles veut préparer « la prochaine phase » de la pandémie, « depuis la détection précoce de nouveaux variants jusqu’à la production rapide de masse d’une seconde génération de vaccins si nécessaire ». Une saison 2 à haut risque, qui devra plus que jamais associer scientifiques, laboratoires, autorités sanitaires et décideurs politiques.

  • Quel est l’effet des variants sur l’efficacité des vaccins ?

Les trois derniers essais de phase 3 publiés (AstraZeneca, Johnson & Johnson et Novavax) vont dans le même sens : leurs vaccins conservent presque tout leur pouvoir protecteur face au variant B.1.1.7, découvert en Grande-Bretagne ; en revanche, ils perdent une partie de leur punch face au mutant B.1.351, apparu en Afrique du Sud.

Entre la souche d’origine et le variant sud-africain, l’efficacité passe ainsi de 90 % à 49 % chez Novavax et de 72 % à 57 % chez Johnson & Johnson, ont annoncé les deux firmes américaines. Quant au vaccin d’AstraZeneca, une équipe sud-africaine a montré que son efficacité à prévenir les symptômes légers chutait de 62 % à 22 %. Le laboratoire a souligné que les effectifs de l’étude étaient réduits (moins de 2 000 personnes), limités à des sujets jeunes, et qu’il restait convaincu que son produit pourrait prévenir les formes sévères de la maladie. Il n’empêche : les mutations apparues en terres australes émoussent la force de ces trois vaccins, fondés sur les technologies du vecteur viral (AstraZeneca et Johnson & Johnson) ou des protéines recombinantes (Novavax).

Les phases 3 des vaccins à ARN messager Pfizer-BioNTech et Moderna n’ont pas permis de faire apparaître ce type de données cliniques, rassemblées en comptant le nombre de personnes malades. Les variants n’étaient en effet pas encore apparus lors des essais réalisés entre juillet et novembre 2020. Pour se faire une idée, les chercheurs ont dû se contenter de données immunologiques, recueillies en mettant des échantillons sanguins de personnes vaccinées au contact de virus modifiés, dans lesquels ont été introduites les mutations du variant sud-africain. A l’arrivée, Pfizer-BioNTech comme Moderna enregistrent une baisse non négligeable du pouvoir des anticorps neutralisants de leurs vaccins (de trois fois pour le premier, de six fois pour le second).

Compte tenu du niveau d’efficacité très élevé (95 %) face à la souche principale, les deux équipes restent convaincues qu’ils conserveront une très bonne protection face aux variants. Moderna a tout de même admis que cette diminution du titre en anticorps « suggère un risque potentiel d’affaiblissement plus rapide de l’immunité ».

Un dernier résultat, portant sur le vaccin Pfizer-BioNTech, a été rendu par l’équipe de l’université d’Oxford, qui a mis au point… celui d’AstraZeneca. Les chercheurs britanniques constatent que l’essentiel de l’immunité dite « cellulaire » – dirigée non pas contre les virus mais contre les cellules humaines infectées – serait conservé.

  • Les labos ont-ils prévu de développer de nouveaux vaccins ?

Adapter un vaccin à de nouvelles souches n’a rien d’exceptionnel : Sanofi, Mylan ou GSK réalisent cet ajustement tous les ans avec la grippe saisonnière, en suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui examine l’évolution du virus en continu. « Notre vaccin se compose de quatre antigènes différents formulés à partir des quatre souches du virus qui circulent le plus, détaille la directrice médicale de GSK France, Sophie Muller. Ces souches changent chaque année, et ne sont pas les mêmes dans l’hémisphère Sud et l’hémisphère Nord. »

L’industrie n’avance pas à l’aveuglette, donc. Reste qu’à la différence de la grippe, calée sur les saisons, le Covid-19 impose un rythme et des mutations imprévisibles. Pour rester dans la course, les laboratoires ont le choix entre plusieurs stratégies.

La plus évidente consiste à modifier l’antigène du produit existant. C’est celle choisie par AstraZeneca, qui espère avoir développé un nouveau vaccin à l’automne, et par Johnson & Johnson, « si demain apparaissait un variant contre lequel [leur] vaccin n’était pas efficace », précise Telma Lery, directrice médicale infectiologie.

Pour l’heure, le laboratoire américain a confiance en la capacité de son vaccin à protéger des formes critiques et sévères du virus, muté ou non, et ne juge pas nécessaire de changer de formule – selon des documents publiés le 24 février par la Food and Drug Administration (FDA) américaine, qui devrait l’autoriser dans quelques jours, l’efficacité du vaccin serait de 85,9 % contre les formes graves aux Etats-Unis, de 81,7 % en Afrique du Sud et de 87,6 % au Brésil, où des variants sont largement répandus.

Même assurance chez Pfizer, qui envisagera cette option « dès lors que la souche qui réduit considérablement la protection sera identifiée ». Dans cette course au nouveau vaccin, « il ne fait aucun doute que les premiers prêts seront ceux à ARN messager », avance la vaccinologue Marie-Paule Kieny. Avec cette technologie, pas besoin de cultiver le virus remanié ou de recomposer des protéines, « changer de vaccin revient à modifier une pièce dans un Lego ».

Pfizer, comme Moderna, a par ailleurs lancé des études pour déterminer l’efficacité d’une troisième dose, qui pourrait prendre la forme d’un simple rappel du vaccin existant, ou d’un nouveau produit adapté spécifiquement aux variants (brésilien et sud-africain pour Pfizer, sud-africain pour Moderna, qui a annoncé le 24 février être prête à démarrer les essais cliniques). Dans ce cas, le « booster » pourrait être administré après deux doses d’un vaccin du même type (à ARN messager) ou bien d’un autre (adénovirus, protéine recombinante…). Moderna envisage aussi d’évaluer sa formule ciblant le variant sud-africain administrée en deux injections primaires sur des sujets non encore vaccinés ou infectés.

Enfin, l’industrie et la recherche académique se sont mises en quête d’un vaccin de deuxième génération capable de protéger contre plusieurs variants à la fois.

Ainsi, le spécialiste de l’ARN messager CureVac a annoncé début février qu’il allait développer avec GSK un nouveau candidat vaccin plurivalent qui pourrait être commercialisé dès 2022. Le laboratoire commun à l’Institut Pasteur et à la start-up TheraVectys planche, lui, sur un vaccin à vecteur lentiviral dont l’administration, par voie nasale, permet d’attirer la réponse immunitaire dans les voies respiratoires, soit à la « porte d’entrée » du virus. En ciblant la réponse cellulaire, les chercheurs espèrent couvrir toutes les mutations possibles du SARS-CoV-2 : un vaccin anti-Covid universel.

  • Est-il possible que ces nouveaux vaccins ne marchent pas ?

Le principal écueil pourrait venir de certains boosters. « Un rappel adénovirus sur une vaccination adénovirus pourrait s’avérer contre-productif », estime Akiko Iwasaki, virologue à l’université Yale, aux Etats-Unis.

La raison tient à la conception même du vaccin : un morceau d’ADN enchâssé dans le génome d’un virus cargo, chargé de le transporter jusqu’aux cellules. Si le système immunitaire, lors de la première vaccination, s’arme contre la protéine spike du SARS-CoV-2, il risque aussi de construire des anticorps contre l’adénovirus. « On a déjà observé ce phénomène avec les deux injections du vaccin AstraZeneca et cela explique ses difficultés »,analyse Pierre Charneau, directeur du laboratoire commun entre l’Institut Pasteur et la start-up TheraVectys.

L’autre péril potentiel a été baptisé par les vaccinologues du joli nom de « péché immunitaire originel ». Le virologue Bruno Lina, membre du conseil scientifique et directeur du Centre national de référence des virus respiratoires, à Lyon, en décrit le principe : « Quand on a été infecté une première fois ou vacciné de façon efficace, cela induit une empreinte forte dans le système immunitaire. Lorsque l’on opère un rappel avec un vaccin proche, cela peut ne réactiver que la réponse déjà existante et pas la nouvelle protection. C’est une notion à la fois établie et contestée. »

Björn Meyer, de l’Institut Pasteur, n’en écarte pas non plus la possibilité. Mais il veut croire que la troisième injection, « si elle n’induit pas une réponse spécifique contre les parties mutées, permettra de booster l’expression des anticorps neutralisants qui reconnaissent les parties non changées de la protéine spike et offrira ainsi une protection renforcée ».

Ces réserves mises à part, les scientifiques apparaissent très optimistes. « La bonne nouvelle, c’est que le virus ne fait pas n’importe quoi, observe Marie-Paule Kieny. Les trois principaux variants semblent converger autour de trois mutations essentielles, situées sur les 501e, 484e et 417e acides aminés. Ce sont elles qui semblent soit améliorer la capacité du virus à infecter les cellules humaines, soit lui permettre d’échapper aux anticorps générés par les vaccins. »

Les variants sud-africain et brésilien contiennent les trois variations, avec juste une légère différence entre les deux sur la troisième mutation. Le mutant britannique se contente d’afficher la première – ce qui explique qu’il reste beaucoup plus sensible aux vaccins. Avec le variant anglais pour le moment le plus répandu mais sans grand effet échappatoire, c’est donc bien la protéine spike du B.1.351 sud-africain qui devrait servir d’appui à la plupart des vaccins modifiés. Et si apparaissaient de nouvelles mutations, plus délétères encore ? « Cela peut arriver, avance Pierre Charneau. Mais ces variations ne peuvent se poursuivre à l’infini, sans perdre également en fitness », cette aptitude à infecter les cellules humaines et à se répliquer. « Si on intègre les mutations de la spike apparues depuis un an, on devrait être à peu près parés pour éviter les cas graves. »

  • Comment ces nouveaux vaccins seront-ils homologués ?

La question taraude toutes les agences sanitaires, la Food and Drug Administration (FDA) américaine, l’EMA, l’OMS et nombre d’institutions nationales. Pour les premiers vaccins anti-Covid-19, l’homologation a pris neuf mois, de la conception à l’autorisation de mise sur le marché. Pour ces mêmes vaccins « adaptés » aux variants, « tout le monde est d’accord qu’il n’est pas question de refaire un parcours complet, indique Marie-Paule Kieny. Mais quelles assurances doit-on prendre ? Quelles données doit-on exiger des laboratoires ? Pour l’instant, le seul vaccin qui dispose de dérogations, c’est celui sur la grippe saisonnière ».

Un produit éprouvé, dont les laboratoires ne changent que la souche vaccinale, et pour lequel les agences sanitaires ne réclament que deux éléments : la preuve de sa qualité, autrement dit la quantité de protéines actives injectées dans une dose, et des données d’immunogénicité, à savoir la quantité d’anticorps neutralisants produits.

Aux Etats-Unis, certains ont objecté que les vaccins contre le Covid-19 n’étaient pas aussi éprouvés que ceux contre la grippe. « Certes, on a moins de recul, mais, avec des millions de personnes déjà vaccinées, on dispose de données de sécurité robustes, estime Bruno Lina. Et puis, comme pour la grippe, on ne va changer qu’un fragment de matériel génétique ou une protéine. »

Officiellement, chaque Etat reste souverain en matière de politique sanitaire. Le gouvernement français fera ainsi connaître sa position après avoir reçu l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la stratégie vaccinale. « Mais ce sont la FDA et l’EMA qui vont donner le la, avertit l’immunologue Jean-Daniel Lelièvre, expert auprès de la HAS. Et l’enjeu est tel qu’elles vont d’abord se mettre d’accord avant de faire connaître leur position. »

Le 10 février, les deux agences et quelques autres autorités nationales se sont réunies pour échanger sur le sujet. Le compte rendu de leurs discussions confirme leur intention de ne pas exiger d’essais de phase 3, ni d’imposer de challenges vaccinaux sur des animaux. Elles pourraient exiger des laboratoires des « études de non-infériorité », autrement dit « comparer la réponse immunitaire du nouveau vaccin sur le variant à celle du vaccin prototype sur la souche ancestrale ». Si le fabricant envisage de l’utiliser également comme booster chez des personnes vaccinées, il conviendrait alors de vérifier que la protection contre le variant assurée par cette nouvelle injection est à la hauteur de celle offerte par les deux injections initiales sur la souche dite « de Wuhan ». Le document précise encore que, lors de ces essais, les laboratoires devront également fournir des « données de sécurité », c’est-à-dire relever les effets indésirables.

Le 22 février, la FDA a précisé ses exigences dans un document de référence. Les laboratoires devront apporter la preuve que la réponse immunitaire générée sur les variants par leur vaccin « adapté » – en vaccination initiale ou comme booster – n’est pas inférieure de plus de 10 % à la protection obtenue par leur premier vaccin sur la souche initiale. Des données indiquant l’efficacité de la nouvelle formule sur le virus de départ sont également réclamées. L’agence s’engage alors à examiner ces études complémentaires, quand bien même elles ne porteraient que sur un seul groupe d’âge, comme les 18-55 ans. Quant à la taille des échantillons mobilisés, aucune exigence n’est formulée. Mais, dans un débat devant l’American Medical Association, le 29 janvier, Peter Marks, le patron du Centre d’évaluation biologique de la FDA, avait évoqué « des études sur quelques centaines de personnes, pas sur plusieurs milliers ».

  • Quelles conséquences pour la stratégie de vaccination ?

C’est peut-être l’aspect le plus fondamental de l’apparition des variants. « Jusqu’ici, nous avions une stratégie claire : vacciner en priorité les personnes les plus à risque de développer des formes graves, pour éviter des morts et empêcher une saturation des hôpitaux », rappelle Marie-Paule Kieny, présidente du comité vaccin Covid-19, qui conseille le gouvernement français. Cette deuxième raison avait également justifié l’accès privilégié accordé au personnel de santé.

« Mais les variants rebattent les cartes. Dans la mesure où c’est d’abord la circulation du virus qui alimente leur production, toute la population, y compris les enfants, devient une cible pour la vaccination. » D’après Mme Kieny, il convient de commencer par « vacciner le plus vite possible le plus de monde possible avec le vaccin actuel ». Ensuite, tout dépendra, là encore, de la compétition entre les variants et du résultat des tests d’efficacité réalisés sur les vaccins existants. « Si un rappel supplémentaire avec le vaccin actuel apparaît nécessaire et suffisant, on fera ça. S’il faut basculer sur un nouveau vaccin, on doit y être prêt. Et, si ça tient avec nos deux injections actuelles, on vaccinera les enfants. »

Pour Bruno Lina, les variants rouvrent « le vieux débat entre protection individuelle et protection collective » : « En France, on vaccine contre la grippe surtout les personnes âgées qui sont les plus fragiles. Mais ce sont aussi celles chez qui le vaccin marche le moins bien. D’autres pays comme la Grande-Bretagne ou la Finlande vaccinent d’abord les enfants, car ce sont ceux qui alimentent le plus l’épidémie. Il va falloir se poser la question. »

Vacciner les étudiants ou même les enfants pour protéger leurs grands-parents ? Jusqu’ici, l’hypothèse paraissait exclue. Aucun vaccin, il est vrai, n’avait prouvé sa capacité à bloquer la transmission du virus. Mais, outre certaines données, notamment issues de la campagne vaccinale israélienne, qui plaident en ce sens, les variants offrent un argument nouveau pour « changer de paradigme »« Rappeler que la vaccination est un acte altruiste », ajoute M. Lina. Le message inattendu offert par quelques variants.


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