par Virginie Ballet et photo Stéphane Lagoutte. Myop publié le 23 février 2021
Serge Guérin, sociologue auteur du livre «La guerre des générations aura-t-elle lieu ?», assure que les tensions présumées entre jeunes et plus âgés n’ont pas été exacerbées par la crise sanitaire, bien au contraire.
Fallait-il confiner les plus âgés ? Cesser de les voir ? Pointer du doigt le mode de vie des plus jeunes ? La pandémie de Covid-19 a mis le lien entre générations à rude épreuve. Au risque d’un conflit ? Non, tranche Serge Guérin, sociologue spécialiste des relations intergénérationnelles et du vieillissement au sein de la société (1), pour qui l’année écoulée a, au contraire, permis de développer de nouvelles formes de solidarité.
On entend beaucoup parler d’oppositions entre les générations. Quel est votre sentiment ?
J’ai la désagréable impression que certains discours, notamment politiques, ont un peu relancé cette vieille rengaine sur la guerre des générations. Les scientifiques du monde de l’hygiène et de la santé, sur la base d’une réalité, ont aussi beaucoup accentué les risques pesant sur les plus âgés, leurs comorbidités… L’idée s’est répandue que les jeunes couraient moins de risques face au virus. En fait, on a beaucoup analysé la situation au prisme de l’âge, notamment au moment du déconfinement, quand s’est posée la question de poursuivre le confinement au-delà d’une certaine tranche d’âge, assez difficile à définir d’ailleurs.
Va-t-on pour autant vers un conflit entre générations ?
On a peut-être cherché à les opposer mais, dans la réalité, on a plutôt observé le développement de «solidarités minuscules» : l’étudiant qui va proposer à madame Denise, qui vit sur son palier et à qui il n’a jamais vraiment parlé, d’aller faire ses courses. Et madame Denise en retour, qui propose de laisser une marmite de soupe à son jeune voisin. Le discours clivant s’est heurté à une réalité presque anthropologique : les jeunes savent très bien que ces vieux qu’on a évoqués sont aussi leurs parents et leurs grands-parents. On a pu assister à des incompréhensions, par exemple des étudiants forcés à suivre des cours à distance, mais elles n’étaient pas dirigées vers les générations précédentes, plutôt contre des règles sanitaires parfois difficiles à appréhender.
Quel peut être l’impact de la pandémie à l’échelle de la cellule familiale ?
Il n’est pas négatif, au contraire. Beaucoup de parents semblent avoir pris conscience qu’ils avaient besoin des grands-parents à leurs côtés. Les jeunes, quant à eux, semblent avoir compris que leurs grands-parents pouvaient être plus fragiles qu’ils ne le pensaient, alors qu’on aime à penser à nos grands-parents comme des figures sécurisantes. On a assisté à une prise de conscience que la vie peut être tragique, qui a sans doute permis à beaucoup de gagner en maturité, y compris chez les plus jeunes. Au cours d’entretiens que j’ai menés, certains grands-parents me disaient que, d’ordinaire, c’était plutôt eux qui prenaient des nouvelles de leurs petits enfants, et pour beaucoup, ce rapport s’est inversé. La notion de réciprocité est sans doute plus forte que dans les générations précédentes. La qualité du lien entre générations peut en sortir renforcée : chacun a pris conscience des fragilités de l’autre, qu’il s’agisse des difficultés liées au port du masque chez les tout-petits, du chômage, ou encore de l’isolement des étudiants, en passant par les risques pour les plus âgés.
Est-ce qu’on n’a pas assisté, aussi, à un sursaut quant au regard qu’on porte sur le grand âge et la situation dans les Ehpad ?
Tout à fait. Pendant le premier confinement, j’ai contribué à des Etats généraux de la séniorisation. Certains élus et responsables politiques semblaient surpris de découvrir qu’on comptait pas moins de 6 millions de personnes de plus de 75 ans dans l’Hexagone. Les questions de transition démographique, ou relatives à la longévité, ont été enfin mises en lumière, soulignant la nécessité qu’une loi sur le grand âge voie enfin le jour.
Est-ce que l’arrivée du vaccin peut contribuer à soulager cette inquiétude réciproque entre les générations ?
Complètement. D’ailleurs, j’ai assisté à des vaccinations en Ehpad qui avaient des allures très solennelles : certains petits-enfants appelaient les résidents juste après, et évoquaient tout de suite la possibilité de se revoir. La vaccination était souvent perçue comme un moment important et vecteur de lien social, au cours duquel des élus et des autorités ont pu se déplacer, et qui a pris des allures de rituels civiques, dans une société qui en a beaucoup perdu. Ce vaccin peut contribuer à dédramatiser la relation entre les générations.
(1) Serge Guérin est notamment l’auteur de Silver Génération (Michalon, 2015) et La guerre des générations aura-t-elle lieu ? (Calmann-Lévy, 2017).
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