— 18 décembre 2020
Les élèves du lycée Fénelon, à Lille, rassemblés devant leur établissement en mémoire de Fouad, le 18 décembre. Photo Aimée Thirion pour Libération
Après l'agitation des réseaux sociaux dénonçant la responsabilité de son établissement, les amies d'une élève transgenre qui a mis fin à ses jours mercredi à Lille se sont rassemblées pour lui rendre hommage et continuer la lutte contre la transphobie.
«On n’accuse personne» : les amies de Fouad, une lycéenne transgenre de 17 ans qui s’est donné la mort mercredi dans le foyer où elle résidait, refusent de céder à la polémique née sur les réseaux sociaux et d’incriminer leur établissement alors qu’une enquête se poursuit sur ce suicide. Ce vendredi matin, devant le lycée Fénelon de Lille, où était scolarisée Fouad, une cinquantaine de jeunes gens se sont assis sur la chaussée, en hommage à l’adolescente décédée. Dans la douceur et la dignité, des mots qui définissent Fouad selon ses proches.
Photo Aimée Thirion pour Libération
Tous racontent le même épisode, qui a marqué la vie du lycée ces dernières semaines : le mercredi 2 décembre, Fouad est venue en jupe en cours. «Elle a enfin assumé de la porter, c’était un cap à franchir pour elle, pour assumer pleinement son identité», raconte Anabelle, une de ses amies, elle aussi transgenre et élève à Fénelon. Elle précise que l'adolescente avait commencé un traitement hormonal, entamé des démarches pour changer d’état civil, et réfléchissait encore à un nouveau prénom. Tout le monde l’appelait donc Fouad, les profs restant au «il» de la liste d’émargement, les élèves oscillant entre «il» et «elle».
Entretien houleux
Dans la cour, ce 2 décembre, la conseillère principale d’éducation (CPE) demande à Fouad, venue donc en jupe ce jour-là, de la suivre dans son bureau. S’ensuit un entretien houleux, dont un extrait a émergé par la suite sur les réseaux sociaux. Les mots sont mesurés, le ton très dur : «Je comprends ton envie d’être toi-même […] mais il y a des sensibilités différentes, des éducations différentes.» Fouad, en face, retient à grand-peine ses larmes. Les lycéens rencontrés ce vendredi soupirent : «La CPE, elle parle tout le temps comme ça avec tout le monde, elle manque de tact.» Fouad décide de quitter le lycée d’elle-même et appelle sa référente sociale au sein du foyer où elle réside.
«Elle nous a raconté que l’épisode avait été violent pour elle», témoigne Anabelle. Sur le groupe Snapchat de sa classe, Fouad poste le jour même un petit message : «Je suis venue en jupe et ils m’obligent à rentrer chez moi. Vs en pensez quoi ?»Les messages de soutien s’accumulent : «Pfff», «c grv pas normal». Alors Fouad poste des enregistrements où elle fait son coming out («Je vous fais la confession, je ne suis pas un garçon») et raconte l’entretien.
Sur le portable d’une des lycéennes présentes au rassemblement d’hommage, on entend la voix de l’ado : «Depuis le début de l’année, ils connaissaient ma situation, ils m’avaient dit que je pouvais venir comme je voulais tant que ce n’était pas provocant.» Mais la jupe en jean, sur des collants noirs épais, n’est pas passée. «C’est un truc, comment on peut dire, bien humiliant», réagit Fouad à propos de cette convocation chez la CPE. Entre-temps, le proviseur s’est saisi de l’affaire : «Il lui a téléphoné le mercredi après-midi pour lui indiquer qu’elle pouvait venir en jupe dès le lendemain», le jeudi 3 décembre, raconte Anabelle.
«Le problème vient de la génération d'avant»
Avec d’autres lycéens, elle vient montrer son soutien à son amie dès le 4 décembre, en improvisant des affiches, des feuilles imprimées de slogans, glissées dans des intercalaires transparents de classeur, scotchés aux fenêtres. «Nos tenues ne sont pas indécentes, ce sont vos regards qui le sont» ; «Stop aux discriminations et aux violences envers la communauté LGBTQIA+». Pour marquer le coup, quelques garçons se présentent aussi en jupe, en soutien, sans que la direction ne s’en offusque. «Ils sont un peu perdus», pose Anabelle, en référence à l’équipe d’encadrement.
Photo Aimée Thirion pour Libération
C’est un sentiment largement partagé chez les élèves. «Le problème vient de la génération d'avant, qui n’est pas habituée à ces changements dans la société,explique Louise. Il faut que l’Education nationale intègre des moyens éducatifs sur le sujet, pour que cela n’arrive pas dans d’autres lycées.» Le groupe d’amies l’affirme, c’est désormais leur combat, avec l’hommage qu’elles préparent pour la rentrée, soutenu par le lycée : lâcher de ballons, fleurs, petits mots, chanson d’Indochine – Troisième sexe – par l’atelier musique.
Omar Didi, président du MAG Jeunes LGBT, partage leur avis : «Il n’y a pas de protocole clair au sein de l’Education nationale si un enfant a envie qu’on l’appelle par un autre prénom ou souhaite changer de tenue. Chaque établissement le fait à sa sauce, et c’est là le problème. Un enfant qui va s’affirmer en tant que personne trans a besoin d’avoir le soutien de l’Education nationale et de son établissement scolaire dans ses démarches.»
«Nous devons apprendre sur ces sujets-là»
Jeudi soir, un communiqué du rectorat de Lille défend le lycée : «L’élève, qui se trouvait dans un contexte personnel complexe, était accompagné [sic] dans sa démarche par l’équipe éducative de son foyer et de son établissement scolaire.» Pour autant, preuve que l’Education nationale peut être mal à l’aise avec les questions de transidentité, les communiqués diffusés ces dernières heures par le rectorat et le lycée Fénelon présentent Fouad comme «un» élève. Valérie Cabuil, rectrice de l’académie de Lille, reconnaît son «erreur», ajoutant : «Cela fait partie des choses que nous devons apprendre, on n’est pas toujours parfait sur ces sujets-là.»
Louise, Anabelle, Zya, Anouk se souviennent de Fouad, vivante et joyeuse, «toujours à faire des blagues, mais elle avait une maturité qui montrait qu’elle avait vécu des choses difficiles»,précise Louise. De son parcours, elles ne savent rien, à part qu’elle était hébergée en foyer depuis toute petite. Fouad n’en parlait pas, «c’était son jardin secret qu’il fallait respecter», disent-elles. Une source proche de son ancien lycée précise que Fouad a longtemps vécu en famille d’accueil, avec qui elle s’entendait bien.
Mais celle-ci aurait déménagé, et Fouad préférait rester sur Lille. Elle était arrivée à Fénelon fin septembre, après la rentrée scolaire, et Louise se souvient encore du parcours du combattant pour lui décrocher l’autorisation de manger à la cantine, le premier midi. «Elle s’est tout de suite intégrée à la classe», précise-t-elle, et personne n’a été choqué par ses barrettes dans les cheveux ou son maquillage. Anabelle, de son côté, l’a rencontrée en cours de littérature anglaise. «Nous lisions un livre ensemble pour un projet,la Servante écarlate de Margaret Atwood. Maintenant j’imagine le livre sur son bureau et c’est douloureux.»
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