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mardi 15 décembre 2020

La deuxième vague de Covid-19 vue de l’hôpital Bichat : « Ils sont totalement à plat dans leur lit, c’est frappant »



La deuxième vague au jour le jour | Episode 5. Il est 11 heures passées, une douce lumière d’hiver éclaire la chambre de Colette dont la fenêtre s’ouvre sur le Sacré-Cœur. Allongée sous un drap jaune pâle, mardi 8 décembre, la vieille dame a les yeux clos, et ses lèvres ne laissent plus échapper qu’un murmure. Penchée près de son oreille, Julie Pacharro, kiné au service gériatrie de l’hôpital Bichat, l’encourage gentiment :« Allez, on va aller dans le fauteuil, on ne va pas rester au lit toute la journée. Vous êtes d’accord ? », l’interroge-t-elle. Mais Colette est fatiguée : « Dodo, dodo », répète-t-elle en se tournant sur le côté.

Testée positive au Covid-19, Colette est hospitalisée depuis plus d’une semaine déjà. A son chevet, les soignants en blouse et charlotte bleues, le visage barré par un masque et des lunettes, discutent de son retour à l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad). Avec la fatigue liée à la maladie et la perte de repère due à l’hospitalisation, les progrès dont l’équipe se félicitait la semaine dernière, sont au point mort. Comme elle, bon nombre de patients âgés peinent à se remettre, même en l’absence de symptômes respiratoires. « Ils sont totalement à plat dans leur lit, c’est frappant », constate Agathe Raynaud-Simon, chef du service.

Une kinésithérapeute mobilise une patiente atteinte du Covid-19 sous le regard des médecins, au service de gériatrie de l’hôpital Bichat à Paris, le 8 décembre.

Situé au quatorzième étage de la tour, le service compte vingt lits dont douze réservés aux patients malades du Covid, que l’infection soit la cause première de leur hospitalisation ou non. « Il vaut mieux les garder, voir ce qui se passe », indique la gériatre, l’œil rivé sur les prévisions des épidémiologistes. « Là on a atteint un plateau, mais l’épidémie ne va pas s’arrêter », estime-t-elle. Une simple bâche scotchée au mur sépare les deux couloirs, pour dissuader les malades non atteints du Covid de se promener de l’autre côté. Une seule patiente, « une filoute », a cherché à franchir la frontière.« C’est une situation un peu à risque, mais sans renfort, il n’est pas possible de faire autrement », souligne-t-elle.

« Ma vie a changé du tout au tout »

Lors de la première vague, le service « submergé » n’accueillait plus que des patients du Covid, dont beaucoup dans un état grave, trop fragiles pour être hospitalisés en réanimation. Le taux de mortalité a grimpé en flèche, atteignant 30 % contre moins de 10 % en temps normal. « Quand cela a commencé, nous avions l’impression que c’était Ebola. Nous étions tous habillés en cosmonaute », se souvient Nathalie Faucher, gériatre. Tout en blaguant à propos de la charlotte qui lui donne « l’air d’un Schtroumpf », elle admet retirer parfois son masque et ses gants, face à des patients malvoyants ou malentendants parfois complètement affolés par la situation.

Dans la partie Covid du service gériatrie de l’hôpital Bichat, à Paris, le 8 décembre.
Dans la partie Covid du service gériatrie de l’hôpital Bichat, à Paris, le 8 décembre.
Au service de gériatrie de l’hôpital Bichat, le 8 décembre. Le contact physique avec les personnes âgées est primordial, les masques et l’équipement de protection utilisés par le personnel soignant rendant la communication plus difficile, notamment avec les patients ayant des problèmes d’audition.

Allongé dans son lit, habillé du pyjama en papier bleu foncé de l’hôpital, Jacques est arrivé il y a quinze jours, à la suite d’une « très grosse fatigue » qui s’est révélée être due au Covid-19. Tiré d’affaire, après plusieurs jours sous oxygène, il se rétablit peu à peu. « Hier, j’ai marché vingt minutes ! »,annonce-t-il à Pauline de Malglaive, la gériatre qui l’ausculte. « Tout va mieux ! », le rassure-t-elle avant de l’aider à s’installer dans son fauteuil. « Oh hisse », souffle-t-il, son masque bleu, suspendu à son oreille.

Epuisé, cet arrière-grand-père de 90 ans, passe le temps en regardant ses photos de famille, accrochées au mur. « Cinq générations », lance-t-il avec fierté, en montrant le cliché du dernier-né, un « petit loupiot » de 6 mois. Les livres et les journaux posés devant lui, il ne les a pas ouverts, la tête ailleurs. « Je pourrai bientôt sortir, mais pour aller où ? »,s’interroge-t-il, inquiet de ne pouvoir retourner dans la résidence pour « seniors » où il vivait jusque-là avec sa femme. « Ma vie a changé du tout au tout », soupire-t-il.

Phénomène de « glissement »

Quelques chambres plus loin, Alain, 79 ans, n’attend pas grand-chose non plus des prochains mois. « Le déconfinement ? Pff, ce sera surtout la grande déconvenue », plaisante-t-il, un masque à oxygène sur le visage. « Je ne m’attends pas à ce qu’on puisse faire une grande fête de famille pour mes 80 ans », souffle-t-il, les yeux mi-clos. Hospitalisé depuis plus de trois semaines, il n’a aucune idée de la façon dont il a été « recruté par le virus », alors qu’il était confiné avec sa femme. Avec comme seule distraction une petite radio rafistolée avec une bande adhésive, il sait qu’il n’y a qu’une chose à faire : attendre. « Je ne fais rien, madame, je m’ennuie. »

Dans le couloir, tinte le bruit des chariots chargés de plateaux-repas. Sourire aux lèvres, Mirette Jean-Marie, aide soignante, s’est habituée au masque, à la visière, à la charlotte et au tablier qu’elle doit enfiler avant de s’approcher des malades pour les aider à s’installer, à ouvrir leur compote ou bavarder un peu. « Cela prend plus de temps, mais je n’ai aucune envie de l’attraper ! », souligne-t-elle. Zigzaguant entre les chaises et déambulateurs, elle commence son patient porte-à-porte. Ici, le moindre kilo perdu est une défaite, tant il est ensuite difficile pour ces patients âgés de se remuscler.

« Sans visite, ni possibilité de sortie, ils ont peu à peu perdu l’envie de vivre », constate Lisa Labeille, kiné

Les deux confinements ont laissé des séquelles, avec un phénomène de « glissement » bien visible chez certains patients. « Déposer des courses devant la porte, ce n’est pas la même chose que de se mettre à table ensemble et de discuter », souligne Nathalie Faucher, préoccupée par l’amaigrissement qu’elle a constaté chez de nombreux patients. « Beaucoup se sont ratatinés, recroquevillés, mais on ne les voit pas car ils sont chez eux », soupire Agathe Raynaud-Simon. Les kinés mesurent chaque jour les effets secondaires de cet isolement : la marche de plus en plus pénible, les muscles qui disparaissent, la volonté qui s’éteint. « Sans visite, ni possibilité de sortie, ils ont peu à peu perdu l’envie de vivre », constate Lisa Labeille, kiné.

« Il faut bien garder le moral »

Dans le couloir des malades non atteints du Covid, Madeleine, « 96 ans 3/4 », a « connu l’Occupation, et maintenant le confinement ». « Au début j’étais convaincue que personne n’obéirait », lance cette ancienne enseignante en mathématiques qui a fait toute sa carrière en Seine-Saint-Denis. Le cœur « fatigué », elle ne peut plus marcher seule, et ses sorties au parc Monceau se sont beaucoup espacées depuis le mois de mars. « On dit que l’air de Paris n’est pas bon, mais quand on ne peut plus le respirer, il nous manque »,sourit-elle. Pour passer le temps, Madeleine lit des polars américains et suit les rediffusions des épisodes de L’Inspecteur Barnaby à la télévision. « Le futur, je n’y pense pas. C’est le Père-Lachaise ! », blague-t-elle.

Une médecin gériatre ausculte un patient atteint du Covid-19 au service de gériatrie de l’hôpital Bichat à Paris, le 8 décembre.

Une fois les patients stabilisés, leur parcours se prolonge parfois dans autre service en soins de suite et réadaptation (SSR). Installé au pied de la tour, au premier étage d’un petit bâtiment, il accueille 40 patients dont la moitié a eu le Covid, pour des séjours allant jusqu’à plusieurs semaines. Face aux ascenseurs, un sapin de Noël, et des guirlandes colorées égayent les lieux pour ceux qui y passeront le réveillon.

D’abord hospitalisée dans le service des maladies infectieuses pour son Covid, Yamina, 82 ans, a passé trois semaines au SSR le temps de reprendre des forces, et d’être de nouveau capable de monter un escalier. « Elle habite dans un appartement au 1er étage sans ascenseur : sans cela, impossible pour elle de rentrer », souligne Grégoire Bouchon, gériatre. Assise sur son fauteuil, dans un survêtement gris pâle imprimé d’étoiles, elle remercie l’équipe, émue de s’en être sortie, et de pouvoir retrouver ses six enfants.

L’entrée du service décoré à l’approche des fêtes de fin d’année, ici le 8 décembre.

Claude, 87 ans, lui est plus anxieux. « Rentrer à la maison, c’est bien beau, mais il faut faire à manger, le ménage, explique-t-il. Il faut bien garder le moral, mais là il est un peu bas. » Depuis le décès de sa femme, cet ancien maçon a tout fait seul, mais se demande maintenant s’il aura « encore la force », tant le Covid-19 l’a épuisé. De son portefeuille, il sort sa photo de mariage, un cliché en noir blanc de 1958, avec sa bicyclette en arrière-plan. « Toute ma vie j’ai été heureux, tant mieux pour moi », sourit-il, appuyé sur le rebord du lit, dans sa veste de pyjama crème désormais bien trop grande.


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