Cette anthologie des écorchés réunit des planches d'anatomie choisies pour leur originalité.
La lithographie représente un jeune homme la poitrine ouverte jusqu’au ras du cou, les artères colorées en rouge. Le visage aux yeux fermés semble dormir. La chevelure fournie est minutieusement détaillée. Une délicate étoffe souligne la scène. De l’art au service du savoir. Il faut dire que l’auteur de ce torse écorché avec style est le célèbre artiste Jakob Wilhelm Roux. Cette œuvre fait partie des Tabulae arteriareum corporis humani (Planches sur les artères du corps humain, 1822) du médecin allemand Friedrich Tiedemann.
Anatomica recense en effet des illustrations de corps humains entiers ou de parties choisies pour leurs qualités esthétiques, leur expressivité, leur beauté, leur bizarrerie parfois. Son anthologiste, Joanna Ebenstein, artiste multidisciplinaire, commissaire d’exposition, explore les croisements entre l’art et la médecine, le vivant et l’inanimé. Elle propose ici «une contemplation douce de notre mortalité et invite à chérir la beauté et la fragilité du corps, si brièvement animé par un souffle indéchiffrable».
C’est à partir de la Renaissance que l’étude du corps humain devint une science populaire. Les anatomistes comme les artistes dissèquent, en général, des cadavres de condamnés à mort qui rachètent ainsi leurs crimes. «La dissection n’était pas seulement destinée à la formation des futurs médecins ; métaphoriquement, elle fouillait et révélait les secrets de la nature.» Que voit-on sur ces aquarelles, gravures et autres sanguines ? A la fois des observations fines et diverses d’une partie de corps «ouvert», jambe, bras, cerveau, appareil génital, viscères, utérus avec fœtus, mais aussi une interprétation de l’enveloppe humaine. Ainsi peut-on voir dans la lithographie de Jakob Wilhelm Roux une vision sereine et sacrée du trépas.
Cette iconographie qui couvre près de cinq siècles illustre des idées scientifiques mais aussi des croyances sur le lien du corps au divin, sur la vie et l’après. La plastique parfois dérangeante de ces images effectuées à partir de dissections montre combien leur auteur les soignait, «paradoxe de l’anatomie artistique». Jacques Fabien Gautier d’Agoty, graveur d’anatomie du XVIIIe siècle, écrivait : «Pour instruire les hommes, il faut les séduire par l’attrait du plaisir, et comment donner de l’agrément à l’image de la mort ?»Les premiers atlas au XVIe siècle, comme De humani corporis fabrica (La Fabrique du corps humain, 1543) du grand anatomiste flamand André Vésale, étaient des ouvrages de grand format, magnifiquement illustrés.
Joanna Ebenstein
Anatomica. L’art exquis et dérangeant de l’anatomie humaine Traduit de l’anglais par Paul Lepic. Seuil, 272 pp.
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