— 17 décembre 2020
`
Dans une résidence universitaire à Saint-Denis, le 4 novembre. Photo Cyril Zannettacci. VU
«Libération» a interrogé une quinzaine de jeunes dont le quotidien a été bouleversé par la fermeture des facs quelques semaines après leur première rentrée universitaire. Trop-plein de visios, manque de lien social, appart minuscule… deux mois après, certains craquent.
Jessica a tout lâché il y a trois semaines. La ville bretonne dans laquelle elle étudiait, sa licence d’arts plastiques, sa chambre universitaire… Deux mois après le début des cours, cette néobachelière de 18 ans est même allée jusqu’à se désinscrire, le moral en miettes : «Je pleurais tout le temps, je ne me faisais même plus à manger, je passais mes journées allongée dans mon lit sans aucune énergie. J’ai craqué.» De retour chez ses parents près d’Orléans, elle a décidé de ne plus s’obstiner à suivre des heures d’enseignement à distance alors qu’elle avait perdu le fil. Certes, la fac, c’était son dernier choix sur Parcoursup. Mais Jessica comptait bien «se donner à fond» pour réussir son entrée dans le monde des études supérieures : «Dans ce contexte, c’est impossible. Si on avait eu cours en présentiel, j’aurais sans doute tenu.» Quelques semaines à peine après la rentrée universitaire, l’annonce du reconfinement, le 28 octobre, fait mal. Certaines formations ont pu rester ouvertes, mais pour une grande partie des étudiants, être confiné signifie depuis deux mois avoir cours face à un écran.
Cercle vicieux
En pleine période de révisions ou de partiels, une quinzaine de néobacheliers ont raconté à Libél’angoisse de ce premier semestre d’études à distance et le mal-être qui l’accompagne. «En cinq semaines de distanciel, j’ai ouvert mon cahier deux fois, les premiers jours. Je ne note plus rien», admet Yann, 18 ans. Depuis des mois, les organisations étudiantes alertent sur le risque de décrochage massif durant la crise sanitaire. «C’est encore pire pour ceux qui sortent du bac. Le passage du lycée aux études est extrêmement compliqué, avec un taux d’échec déjà important en temps normal», constate Mélanie Luce, présidente de l’Unef (Union nationale des étudiants de France).
«Je vais tenter de sauver les meubles, mais je suis paumé. Je le sais, j’ai décroché», lâche Yann. Pour l’instant, impossible d’estimer l’ampleur du phénomène. Il faudra attendre l’issue du premier semestre pour avoir un ordre d’idées du nombre d’étudiants ayant participé aux partiels. Et là encore, ce ne sera pas forcément représentatif : certains, comme Yann, iront aux examens alors qu’ils ont arrêté de suivre les cours. Ce lundi, cet étudiant en licence de cinéma à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée fulmine. Il a une dissertation à écrire en un temps limité, à distance, et n’a rien pigé aux consignes. «L’entièreté de ma promotion est en panique», nous écrit Yann dans un SMS. Par téléphone quelques jours plus tôt, il racontait déjà à quel point il se sentait «largué» : «Je n’ai pas eu le temps de prendre le rythme, d’avoir une méthode de travail, avant le reconfinement, et c’est trop compliqué à rattraper en distanciel.»
Pour ce jeune homme, impossible de rester concentré alors qu’il enchaîne parfois huit heures de visio d’affilée. Pourtant, il est passionné par sa licence. Mais la recette des cours à distance, un mélange d’isolement et de débrouille, lui casse le moral : malheureux d’avoir décroché, il s’enfonce encore plus, car il va mal. Cercle vicieux. «Ça me déprime parce que je ne veux pas me réorienter. J’ai même picolé seul dans ma chambre tellement j’étais désespéré, c’est la première fois que ça m’arrive.»
Léa, elle aussi, est au bout du rouleau. Après une année de terminale chaotique en pleine crise sanitaire, elle a pu rejoindre une licence de psycho à Montpellier. Face à la peur de l’échec en apprenant le reconfinement, elle se fixe des horaires, qu’elle ne tient pas longtemps : «Je bossais trop. Je pleurais en pensant à mes cours, dès que je ne travaillais pas, je culpabilisais…»
Seule dans sa chambre étudiante de 10 m², incapable de gérer le stress, son cerveau «finit par faire stop». Elle prend rendez-vous avec une psy début décembre, qui lui intime de faire une pause. Elle n’a repris les révisions que la semaine dernière, en vue des partiels. Mais toujours la boule au ventre : «La psycho, je voulais en faire depuis très longtemps. Mais c’est tellement compliqué que, parfois, je n’ai qu’une envie : arrêter.»
«Suicides»
Pour beaucoup d’étudiants, impossible de trouver le juste milieu. C’est soit perdre pied, soit travailler jusqu’à s’épuiser. «On a l’impression qu’il n’y a plus de début et de fin à notre journée, on bosse du matin au soir, et on ne fait plus que ça parce qu’on ne peut rien faire d’autre, et que c’est beaucoup plus dur de suivre en visio», soupire Malyse, étudiante en école d’ingénieurs à l’université d’Angers. Souvent, elle finit les cours avec des maux de tête et les yeux qui brûlent. Souvent aussi, elle fond en larmes en pensant à ce à quoi aurait pu ressembler sa première année : «Toutes les expériences qu’on aurait pu vivre, comme les intégrations, on est en train de les louper… Je me sens seule, je ne connais personne, ça ne motive pas à s’accrocher à la formation…»
«En première année de licence, c’est là qu’on est censés rencontrer les gens avec qui on va passer tout le reste de nos études. Sauf que là, on ne peut plus tisser aucun lien», déplore Cléophée, en fac de droit à Rennes. Ce qui la fait tenir, ce sont ses colocataires, des amies de longue date. «Sur les nerfs»tout le temps, l’étudiante croise les doigts à chaque annonce du gouvernement. Et n’en peut plus d’accumuler les déceptions : «J’ai peur de ne plus jamais retourner à la fac cette année… On nous promet qu’il va y avoir du soutien pour nous, mais on ne voit rien du tout !»
Initialement, les universités devaient être parmi les derniers lieux accueillant du public à rouvrir, en février. Fin novembre, une mobilisation de la communauté universitaire a mis en lumière le problème, face à un gouvernement qui ne semblait pas le voir jusque-là. Soixante-dix-sept enseignants-chercheurs ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat, appelant à la «réouverture des campus aux étudiants dès que possible, selon des jauges fixées par de nouveaux protocoles sanitaires stricts». Une demande rejetée le 10 décembre.
De son côté, Macron a annoncé le 4 décembre, lors d’un entretien à Brut, vouloir tout faire pour pouvoir rouvrir les universités dès janvier, au moins partiellement. Le 10 décembre, le Premier ministre lui a emboîté le pas, indiquant que les cours en présentiel pourraient reprendre début janvier - ce qu’a confirmé la ministre Frédérique Vidal jeudi -, mais seulement «pour des étudiants ciblés, notamment des premières et deuxièmes années, mais [aussi] beaucoup d’étudiants étrangers ou internationaux». Avant d’ajouter : «Nous sommes conscients qu’il y a des étudiants dans une situation psychologique très difficile, il y a des suicides.» «Le décrochage provoque des situations dramatiques psychologiquement et on a juste le droit à une petite phrase de Castex sur les suicides ? Il faut agir en urgence. On demande des visites gratuites chez des psys pour les étudiants», s’exclame Mélanie Luce, la présidente de l’Unef.
Tutorat
Même réaction consternée de Paul Mayaux, président de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) : «En France, on compte un psychologue pour 30 000 étudiants… C’est hallucinant, surtout face à une situation si dramatique.» En attendant le retour au présentiel, le gouvernement a misé sur la création de 20 000 emplois étudiants pour des missions de tutorat. Le ministère a aussi doublé les capacités d’accompagnement psychologique des étudiants dans les services de santé universitaires, et recruté 60 nouvelles assistantes sociales. Des mesures jugées insuffisantes aussi bien par la Fage que par l’Unef, qui réclament le retour au présentiel pour tous au plus vite : «Pour ça, il faut mettre de l’argent sur la table : gel hydroalcoolique partout, distribution de masques, division de classes…» insiste Mélanie Luce.
Le retour à la fac, c’est tout ce que veut Maëlys. Pour valider sa L1, et vivre l’année prochaine ce qu’elle aura manqué en 2020. Originaire d’Angoulême, elle suit une licence métiers du livre à Clermont-Ferrand. A plusieurs centaines de kilomètres de sa famille, seule dans son studio, sans personne à qui parler, elle a «envie de pleurer» en pensant qu’elle «découvre les études comme ça». Mais elle veut tenir jusqu’au bout, coûte que coûte. «J’ai envie de me taper la tête sur la table tellement je n’en peux plus. Tout ce que je veux, c’est m’étaler sur le sol et soupirer. J’espère juste qu’on va retourner à l’université bientôt.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire