— 16 décembre 2020
La judokate la plus titrée de France, Clarisse Agbégnénou, 28 ans. Photo Réjeanne
A travers une collaboration avec la marque française de culottes menstruelles Réjeanne, la championne de judo veut briser le tabou des règles dans le sport et témoigne de son vécu d'athlète auprès de «Libération».
Le tabou des règles, bien qu’attaqué de toute part, reste vivace dans le milieu du sport. Si les propos de la nageuse chinoise Fu Yuanhui aux JO de Rio et les témoignages d’athlètes en 2017 dans l’Equipe ont éveillé les consciences, cette spécificité du sport féminin est encore largement occultée. Judokate la plus titrée de France, Clarisse Agbégnénou, 28 ans, entend prendre ce problème à bras-le-corps à l’occasion d’une collaboration avec la marque française de culottes de règles Réjeanne, créée en 2018. Contactée par Libération, la quadruple championne du monde évoluant dans la catégorie des moins de 63 kg, témoigne : «Les femmes ont l’habitude de se dire "on est dures au mal, on y va". Les sportives essaient de trouver des façons d’être réglées assez régulièrement pour pouvoir pratiquer leur sport et partir en compétition. Les douleurs, on fait abstraction.»
Retraçant le «cycle de sa vie», elle se souvient que ses premières règles sont arrivées un peu plus tardivement que la moyenne à 13 ans. Une situation fréquemment observée chez les ados pratiquant un sport de façon intensive. «On parlait un peu des règles à l’école mais comme c’était tabou pour mes parents, la première fois je pensais que j’étais malade.» La judokate remarque un effort de sensibilisation plus grand ces dernières années et s’en fait elle-même le relais auprès de ses nièces. En arrivant au pôle national à Orléans à 14 ans, «je n’avais plus mes règles à cause du fait que je faisais du sport de façon intensive. J’ai eu peur, je pensais que quelque chose n’allait pas mais je n’en parlais pas trop avec ma mère». La pratique d’un sport de haut niveau peut en effet troubler les mécanismes hormonaux en raison d’un déficit énergétique et provoquer des aménorrhées. Un phénomène qui peut inquiéter si les causes ne sont pas connues et traitées.
«Une double punition»
En compétition, les sportives doivent aussi composer avec leurs règles. Dans le judo, un sport à catégorie de poids, cette question est même centrale. «J’ai déjà eu un problème de poids durant mes règles il y a une dizaine d’années. C’était à moi de trouver la solution, de m’y prendre avant mais je n’arrivais pas à perdre, je stockais tout.» La sentence est sans appel : pas de combat. «Difficile de le dire aux entraîneurs, ils te rétorquent que ce n’est pas leur problème, qu’il faut faire des efforts. On a une double punition, les entraîneurs sont mécontents et on ne combat pas.»
Durant une période critique, certaines sportives enchaînent les plaquettes de pilule contraceptive pour retarder l’arrivée des menstruations. «Il y a longtemps, mes entraîneurs me l’avaient conseillé car j’allais avoir mes règles pendant une compétition. Je ne l’ai fait que cette fois-là car mon corps n’a pas du tout apprécié.» Une suggestion extérieure sur un sujet intime qui peut être mal reçue. «On ne pense pas à nous en tant que femmes, la performance prime. J’espère que ça a évolué», lâche cette judokate engagée.
Stress de la fuite
Sur le tatami, le stress de la fuite n’est jamais bien loin. «On a des kimonos bleu et blanc, il y a un vrai stress sur le changement des protections périodiques notamment en compétition. Quand on a un kimono blanc on fait comment ?» lance Clarisse Agbégnénou en précisant être «sauvée» par ses pertes désormais peu abondantes. Une angoisse qu’elle a toutefois éprouvée plus jeune. «Je demandais à mes copines si j’avais une tâche toutes les cinq minutes. En pôle, au bout d’une heure je devais aller me changer et informer l’entraîneur. J’avais aussi de fortes douleurs aux seins. Se confier à un homme sur ce sujet était compliqué les premières fois.»
Elle conseille désormais à ses camarades les culottes de règles qu’elle juge «plus sécurisantes»et plus faciles à changer en compétition. Ce nouveau type de protection hygiénique réutilisableest en plein boom ces dernières années. «Réjeanne est née d’une insatisfaction vis-à-vis des protections périodiques existantes, jetables donc pas écologiques, à la composition peu transparentes et que beaucoup de femmes trouvent inconfortables», explique Wye-Peygn Morter, cofondatrice de cette marque née d’une campagne de crowdfunding. Si lors du dépôt de leur brevet en 2017, l’idée de cette lingerie spéciale règles provoquait quelques réticences, la démocratisation est désormais en marche. «La cup avait déjà enfoncé pas mal de portes en intégrant cette idée de protection réutilisable», note la cofondatrice. Produits de niche au départ, elles se trouvent désormais en supermarchés et de grandes marques comme Dim se sont récemment positionnées sur le créneau.
«Pour moi, ce n’est pas tabou»
La problématique du tabou des règles dans le sport et ce vent de changement côté protections hygiéniques se recoupent. «On va notamment essayer de faire d’autres gammes de culottes»spécialement conçues pour le sport, annonce Clarisse Agbégnénou. Wye-Peygn Morter rebondit : «Nous avons pensé au départ les culottes selon nos habitudes de vie. Clarisse va nous apporter son regard de sportive de haut niveau.» Des «opérations d’informations à but pédagogique» sont aussi prévues courant 2021. «Cette collaboration permet surtout de mettre le sujet des règles dans le sport sur la table. Pour moi, ce n’est pas tabou, c’est notre corps, une grande partie de notre vie de femmes, c’est important», note la judokate. Elle appelle à l’ouverture d’un dialogue en organisant des réunions de prévention dans le milieu sportif et suggère que le staff des équipes ainsi que les sportives en discutent avec des gynécologues.«Si on ne sait pas ce qu’il peut se passer ou comment ménager règles et sport de haut niveau, on ne pourra pas aller de l’avant.»
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