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dimanche 13 décembre 2020

« Maria Montessori, pionnière de l’éducation » : notre série en six épisodes


Après l’ouverture d’une première école à Rome en 1907, la pédagogue italienne, psychiatre de formation, a parcouru le monde, des Etats-Unis jusqu’en Inde en passant par l’Italie fasciste. Un parcours hors norme, et des méthodes qui ont essaimé dans le monde entier.

Son histoire a été publiée dans Le Monde du 3 au 8 août 2020. Pour nos lecteurs qui l’auraient manqué, voici rassemblés les six épisodes qui composent cette série, signée Thomas Saintourens.

Episode 1 : A Rome, la rebelle de La Sapienza

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Assise au milieu de bocaux de formol et des cadavres éviscérés, une jeune femme brune tire nerveusement sur une cigarette. La nuit est tombée sur Rome. A l’université de La Sapienza, seule la salle de dissection demeure éclairée. Ce soir de 1893, comme à l’habitude, Maria Montessori, l’unique étudiante de la faculté de médecine, a dû attendre que les garçons soient rentrés chez eux pour entamer son lugubre tête-à-tête avec les modèles des travaux pratiques d’anatomie. Ne pas vomir. Surtout ne pas flancher.

Même en ce haut lieu de la recherche médicale, le fait qu’une femme observe des corps nus est jugé inconvenant – plus encore en compagnie d’étudiants masculins. Maria Montessori se moque bien que sa présence en ces murs dérange. Avec ses cheveux remontés en chignon, ses yeux sombres et ses robes élégantes, elle s’en fiche de les faire jaser, ces fils à papa. Lorsqu’ils la sifflent à son passage, elle souffle sans se retourner : « Sifflez, sifflez donc, vous verrez jusqu’où cela me portera… »

La docteure et pédagogue italienne Maria Montessori, en 1896.

Episode 2 : Comment la psychiatre a lancé sa première école, à Rome, en 1907

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Rome, 6 janvier 1907, jour de l’Epiphanie – la fête des enfants en Italie. Dans la cour du 58, via dei Marsi, le public est aussi nombreux que les bambins, dont c’est la rentrée des classes. Journalistes, politiques, universitaires, camarades féministes ou simples curieux, tous sont venus là comme au spectacle. Lorsque la directrice, Maria Montessori, fait découvrir à la cinquantaine d’enfants leur salle de classe, elle sait que sa carrière se joue là, à quitte ou double.

En ce matin d’hiver, la femme médecin la plus célèbre du pays inaugure sa première école. Rien n’est habituel. Le lieu ? Le rez-de-chaussée d’un immeuble du quartier « mal famé » de San Lorenzo. Les élèves ? Agés de 3 à 9 ans, vêtus de guenilles, tous habitent les étages en surplomb. La salle de classe ? Meublée de quelques tables et de chaises dépareillées, décorée d’une reproduction de la bienveillante Vierge à la chaise, de Raphaël. Dans un recoin, une armoire où « la Montessori », comme on l’appelle déjà, range son matériel pédagogique.

Episode 3 : Une vedette américaine

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Les vagues grises de l’Atlantique moussent le long du Cincinnati. Parti de Naples le 21 novembre 1913, ce paquebot doit atteindre New York dans quelques jours. Entassés en troisième classe, près de 3 000 migrants italiens rêvent du Nouveau Monde. Dans sa cabine de première, une célèbre compatriote, la pédagogue Maria Montessori, sujette au mal de mer, a le cœur à la dérive. Elle songe à son fils Mario, resté à Rome sous la responsabilité de sa fidèle amie Anna Maccheroni – alias « Mac » –, après quinze années de vie cachée dans la campagne romaine.

Ouvrant son carnet de bord, elle confie ce qui la pousse à voyager ainsi, Mario bien sûr : « Pour assurer son futur, pour le rendre heureux et réparer ce qu’il a enduré, et être la seule qui lui donnera tout… C’est ce qui me donne mon énergie, c’est pour cela que j’endurerai tout. » Dans nulle autre archive connue Maria ne fera référence au traumatisme des premières années de son fils, cet enfant né hors mariage en 1898 et qu’elle avait placé en secret dans une famille de paysans. Une séparation prélude à un amour incommensurable, marqué d’une indélébile cicatrice.

Episode 4 : La « dottoressa » face au piège fasciste

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C’est un tête-à-tête dont on sait peu de choses, une entrevue contre-nature qui garde sa part de mystère. Benito Mussolini et Maria Montessori. Lui, le Duce brutal, rêvant d’une nation sous contrôle. Elle, « la mammolina » pacifiste, promotrice du développement harmonieux des enfants… A bien des égards, cette rencontre aurait pu sembler inconcevable. Et pourtant, en 1924, ce duo vêtu de noir va entamer un pas de deux vertigineux.

Les maigres indices sur leur premier rendez-vous sont publiés dans la presse fasciste. Ils dépeignent une discussion enthousiaste, le prélude, paraît-il, à de grands desseins. « Faro io ! » (« Je m’en occupe ! »), lance le Duce lorsque Maria Montessori plaide pour l’établissement de sa pédagogie dans toute l’Italie. A bientôt 60 ans, la dottoressa a déjà rencontré bien des puissants, parcouru l’Europe et les Etats-Unis, donné des conférences sur ses méthodes d’enseignement, fondées sur les réactions sensorielles, l’autocorrection et la coopération. L’ancienne psychiatre des hôpitaux romains, devenue une pédagogue de renommée internationale, sait que cet homme peut l’aider.

Episode 5 : Le temps de l’exil en Inde

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Le petit avion postal six places Tata Airlines amorce sa descente vers Madras. Le sémillant dandy JRD Tata, président de la compagnie aérienne, est lui-même aux commandes. Il n’aurait laissé à aucun de ses pilotes l’honneur de transporter sa célèbre passagère italienne, accompagnée de son proche collaborateur, prénommé Mario. Une fois le coucou immobilisé en bout de piste, Maria Montessori, 69 ans, s’extrait de la carlingue d’un bond énergique. La fatigue du périple et l’air suffocant du Tamil Nadu ne perturbent en rien son bonheur d’être en Inde.

Nous sommes le 4 novembre 1939. L’armée nazie, déjà victorieuse en Pologne, s’apprête à fondre sur l’Europe occidentale. A des milliers de kilomètres de là, Maria Montessori et son fils Mario répondent à une invitation lancée il y a plus de vingt ans par les dirigeants de la Société théosophique – une organisation internationale humaniste prônant le syncrétisme religieux pour accéder à « la vérité ».

Episode 6 : La vieille dame et sa méthode

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Les yeux écarquillés, le souffle court, la vieille dame contemple depuis une automobile roulant au ralenti un spectacle de désolation : Londres ravagée par les bombes allemandes. Un amas de ruines d’où surgit encore le dôme de la cathédrale Saint-Paul, voilà ce qu’il reste de la capitale britannique en cet été 1946. Maria Montessori a réclamé à son ancienne élève et traductrice anglaise Margaret Homfray – qui, au volant, lui sert de guide – cette confrontation aux réalités européennes. Il y a six ans que la pédagogue italienne, dont la méthode d’éducation a fait des adeptes dans le monde entier, a quitté le Vieux Continent pour s’en aller donner des conférences en Inde. Son absence devait durer trois mois. La guerre en a fait un exil interminable, des années et des années passées loin de ses quatre petits-enfants, confiés à des amis, aux Pays-Bas.


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