Mal payé, en sous-effectif, avec peu d’évolution de carrière… pourtant, le métier d’infirmier reste une des formations les plus demandées.
L’odeur de la bétadine, le toucher d’une compresse, sa poupée dans une pharmacie imaginaire… Lorsqu’elle parle de son envie de devenir infirmière, Noémie Buronfosse convoque « des sensations très particulières » liées à l’enfance. « Quand les autres jouaient à la marchande, moi, c’était les pansements et les médicaments », se souvient la jeune femme de 20 ans. Aujourd’hui étudiante en deuxième année à l’institut de formation en soins infirmiers (IFSI) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes, elle raconte son choix de filière comme s’il s’agissait d’une rencontre amoureuse. Ce genre de passion qui vous tombe dessus et ne s’explique pas. « C’était une évidence », assume l’étudiante.
Il y aurait pourtant de quoi avoir le cœur brisé. Ou, du moins, la motivation entachée. Manque de personnel à l’hôpital, intensification de la charge de travail, maigres perspectives d’évolution de carrière, faible rémunération, alourdissement des procédures administratives, horaires décalés… Comment se fait-il que le métier d’infirmier fasse encore tant rêver ?
Sur la plate-forme Parcoursup, pour la deuxième année consécutive, les IFSI arrivent au premier rang des vœux. Au total, 9,4 % des inscrits sur Parcoursup en 2020 ont candidaté à un plusieurs IFSI (soit environ 83 000 personnes). En deuxième position, le nouveau PASS (parcours d’accès spécifique santé, qui remplace la Paces), avec 6 % des candidats ayant formulé au moins un vœu. Vient ensuite la licence de droit (3,7 %).
A la suite de la suppression de leur concours d’entrée et l’instauration d’une sélection sur dossier, les IFSI ont fait leur apparition sur Parcoursup en 2019, gagnant en visibilité. « Lorsqu’il fallait payer 100 euros pour passer le concours de chaque école, on faisait face à une énorme sélection sociale, affirme Vincent Opitz, vice-président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Cette démocratisation de l’entrée en formation permet, notamment, d’expliquer un tel engouement. »
« Ça vient du ventre »
A l’IFSI du CHU de Rennes, les trois promotions de 152 étudiants brassent des profils très différents. Mais si la barrière économique est tombée, la formation n’en est pas moins sélective. Jusqu’en 2018, sur une moyenne annuelle d’environ 1 000 candidats au concours de l’établissement, 150 étudiants étaient admis. En 2020, 6 000 demandes ont été faites sur Parcoursup pour le regroupement de sept IFSI des départements des Côtes-d’Armor et d’Ile-et-Vilaine. Avec, à l’arrivée, 520 places au total.
Alors qu’ils ont moins de 10 % de chance d’être admis, lycéens issus de bacs généraux, professionnels et technologiques, mais aussi adultes en reconversion de toutes origines, se bousculent à l’entrée de ces écoles. « Il peut y avoir une certaine idéalisation du métier d’infirmier, analyse Marielle Boissart, directrice des soins et coordinatrice du pôle de formation du CHU de Rennes. Le déclic se fait souvent au cours du premier stage : les jeunes confrontent alors leurs représentations à la réalité du terrain. » Malgré tout, depuis la disparition du concours, l’institut rennais ne comptabilise pas plus de déperditions d’étudiants qu’avant.
« En arrivant à l’hôpital, je suis tombée des nues, confirme Noémie Buronfosse. Le sous-effectif, les grèves, la paie ridicule en tant qu’étudiant… Forcément, ça m’a fait réfléchir. Ces conditions me posent un très gros souci. Mais ce métier, on le fait pour les patients. Et ça, ça l’emporte sur tout le reste. » Rencontrés au détour de l’amphi « Bretagne », ses camarades répondent à l’unisson : « On ne choisit pas ça par hasard. »
Concrètement, que renferme cet intangible « ça » pour des infirmiers en devenir ? Envers et contre tout – « parce que ça vient du ventre », selon Noémie –, ils veulent « aider l’autre », « se sentir utile », « prendre soin ». Dans un contexte de crise sanitaire, aucun d’entre eux n’hésite à employer le terme de « vocation », quand leurs formateurs trouvent le mot désuet, voire tarte à la crème. Eux disent aimer jongler entre « l’humain », « les émotions », « la psychologie » et le geste technique de la pose d’une perfusion sanguine.
Maillage territorial conséquent
Plusieurs de ces jeunes Bretons évoquent aussi des « parcours de vie » pendant lesquels ils ont été en contact avec la maladie. Ils soufflent alors qu’il s’agit d’un « métier passion », ou encore de « dévotion », en référence à l’époque lointaine des bonnes sœurs, ces toutes premières infirmières dont ils ont découvert l’héritage en classe.
Rémi Van der Vynckt, 30 ans, étudiant en deuxième année après avoir raté deux fois médecine et embrayé sur un master en neurosciences à Bordeaux, chérit aujourd’hui l’envie de « contribuer à un monde meilleur ». « J’aimerais propager du bien-être, dit-il. A la manière d’un virus contagieux. Sans décoration ni médaille, je veux soigner pour soigner. Sans rien attendre en retour, mais sans me sacrifier non plus. »
Plus pragmatiques, les formateurs mettent en lumière de solides arguments qui jouent en faveur des études en soins infirmiers. Avec un maillage territorial conséquent et des débouchés variés, il s’agit d’une formation courte, étalée sur trois ans, que l’on peut suivre près de chez soi, avec peu de risques de chômage une fois diplômé. Les candidats sont avant tout locaux : à l’IFSI du CHU de Rennes, sur les 152 étudiants de première année, 111 viennent de Bretagne.
Depuis 2010, le diplôme vaut aussi « grade de licence », permettant de poursuivre en master si l’étudiant le souhaite. Depuis 2019, on parle ainsi de l’« universitarisation » des formations en santé, structurées en unités d’enseignement avec davantage de contenus théoriques s’ajoutant à la pratique. « Il est très récent que les élèves des IFSI accèdent au statut officiel d’étudiant, précise Florence Douguet, maître de conférences en sociologie et responsable d’un master en intervention et développement social à l’université Bretagne-Sud. Ils ont enfin accès aux droits afférents : la médecine préventive, les activités sportives, la bibliothèque universitaire… mais aussi à cette figure de liberté et d’autonomie que peut représenter l’étudiant universitaire. »
De nombreux abandons post-diplôme
Aux yeux de Marylène Oleron, formatrice à Rennes depuis vingt ans, les étudiants infirmiers « apprécient surtout d’être dans une structure moins grande que l’université, plus accompagnés, plus cadrés, avec une alternance intéressante entre les cours et les stages ». Consciente des difficultés récurrentes du métier, elle-même diplômée depuis 1983, elle compare l’hôpital au « mammouth qu’est l’éducation nationale », regrettant l’idée d’une possible diminution de l’espérance de vie professionnelle d’une infirmière.
Dans les rangs syndicaux, on avance que 30 % des jeunes abandonnent dans les cinq années qui suivent leur diplôme. Lors du Ségur de la santé, 2 000 places supplémentaires ont été proposées dans les IFSI pour la rentrée 2020. Si des revalorisations ont également été annoncées, le revenu moyen net d’une infirmière hospitalière était de 1 820 euros en 2017 – en bas de la fourchette de distribution générale des salaires, selon une comparaison de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
« Il doit y avoir un peu de masochisme là-dedans ! », ironise Jean-Marie Leboucher, étudiant à l’IFSI après avoir été un ambulancier « acharné » pendant six ans. « On sait que ça ne paye pas bien, que l’hôpital est dans un état lamentable, que ce n’est en rien un travail reposant… Mais on a envie de le faire quand même. » Pour lui, le Graal serait de devenir infirmier anesthésiste, pour « l’adrénaline » du SAMU ou des urgences. Il le dit simplement : c’est là qu’il se sent vivant.
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