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mardi 6 octobre 2020

Covid-19 : la crise sanitaire a fait basculer un million de Françaises et de Français dans la pauvreté

Ils sont étudiants, intérimaires, artisans. Selon les associations caritatives, une nouvelle population a basculé dans la précarité depuis le début de la pandémie.

Par  et  Publié le 6 octobre 2020


Distribution de produits alimentaires dans une antenne des Restos du cœur, en juin à Paris.

Etudiants, intérimaires, chômeurs, mais aussi autoentrepreneurs et artisans. Selon les associations caritatives, la crise sanitaire a fait basculer dans la pauvreté un million de Français, qui s’ajoutent ainsi aux 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté monétaire – à 1 063 euros par mois et par unité de consommation, il concernait 14,8 % des ménages en 2018, selon l’Insee.

Dix représentants d’associations (Fondation Abbé Pierre, Médecins du monde, Secours catholique, ATD Quart Monde, Emmaüs…) ont été reçus pour la première fois, vendredi 2 octobre, par Jean Castex, pour demander une hausse des principaux minima sociaux, ainsi que l’ouverture du RSA dès 18 ans. « Nous avons eu une écoute attentive de la part du premier ministre, qui est sensible au sujet de la précarité. Mais nous restons déçus, impatients, faute de réponses immédiates, a résumé Christophe Devys, président du collectif Alerte. Nous avons repris rendez-vous pour le 17 octobre. » Cette date symbolique, celle de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, verra, espère-t-il, l’annonce de nouvelles mesures. 

« Ce chiffre d’un million supplémentaire de pauvres est malheureusement une estimation basse, compte tenu des 800 000 pertes d’emploi attendues fin 2020 », redoute Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). La Banque de France confirme en anticipant un taux de chômage au-dessus des 10 % en 2020, puis de 11 % dès le premier semestre 2021. Partout en France, les indicateurs virent au rouge.

  • Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire bondit d’environ 30 %

L’un des signes les plus spectaculaires de cette crise est l’explosion de l’aide alimentaire : la Fédération française des banques alimentaires, qui approvisionne 5 400 structures, a augmenté ses distributions de 25 %, « et la demande ne faiblit pas, en août, en septembre, à tel point que nous avons dû piocher dans nos stocks de longue durée », confie Laurence Champier, sa directrice générale. Le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, avançait, le 8 septembre, le chiffre de 8 millions de personnes ayant besoin de cette aide, alors qu’elles n’étaient que 5,5 millions en 2019.

A Lyon, sous les capuches dégoulinantes de pluie, ce 1er octobre, les nouveaux visages de la pauvreté s’alignent dans la file d’attente des Restos du cœur du centre Henry-Vallée. Renata, 34 ans, prend des provisions pour la semaine. Œufs, lait, riz, pâtes… « juste ce qu’il me faut, je peux encore acheter le complément », s’excuse l’étudiante en master de droit social, venue en France pour valider son diplôme brésilien et qui travaille, le soir, comme assistante de vie. Mais sans aide sociale ni bourse, une fois le loyer et les charges payés, ses revenus ne suffisent pas pour assurer son alimentation. C’est aussi le cas de Juan, 46 ans, qui vient chaque semaine, depuis six mois, s’approvisionner en légumes et conserves : « J’ai été licencié sans aucun droit, j’attends une décision du tribunal », explique ce père de deux enfants.

Installé dans le 7e arrondissement de Lyon, ce Resto du cœur a, en septembre, aidé 428 familles, contre 330 en mars. Dans le même temps, la fréquentation individuelle est passée de 391 à 1 106 personnes. Les courbes ascendantes sont affichées sur un mur, près de la remise, tel un indicateur de la paupérisation. « Depuis le confinement, nous voyons de plus en plus de jeunes et d’étudiants qui ne faisaient pas partie de nos bénéficiaires auparavant, des apprentis qui n’ont pas trouvé de stage », confirme Josiane Chevauchet, 77 ans, bénévole au centre de distribution des Restos du cœur, à Perrache (2e arrondissement).

De son côté, le Secours populaire a, depuis mars, enregistré une hausse de 45 % des demandes d’aide alimentaire dans le département du Rhône, la même qu’au niveau national. « Nous voyons des publics nouveaux, des autoentrepreneurs, des artisans, observe Sébastien Thollot, responsable départemental. Des événements inattendus, des frais d’obsèques, par exemple, les font basculer dans la précarité. »

La banque alimentaire des Bouches-du-Rhône, qui distribuait 50 tonnes de nourriture chaque semaine avant le confinement, a doublé son flux, soit l’équivalent de 200 000 repas fournis. Dans les quartiers nord de Marseille, le McDonald’s de Sainte-Marthe est devenu une plate-forme de distribution essentielle. « Une machine de guerre qui, par semaine, distribue 700 colis alimentaires et en livre près de 170 chez ceux qui ne peuvent pas se déplacer, explique Kamel Guemari, leader syndical et figure de ce restaurant occupé depuis plusieurs mois par ses employés. Entre nous, on l’appelle le Ubersolidaire », déclare-t-il en souriant, avant de redevenir sérieux : « Dans les files d’attente, je vois des gens que je connais, qui avaient un job, une situation stable et qui, aujourd’hui, sont obligés de venir ici. »

  • 10 % de demandeurs du revenu de solidarité active en plus

Autre signe de paupérisation, les départements voient arriver de nouveaux demandeurs du revenu de solidarité active (RSA), en moyenne + 10 % sur l’ensemble du pays. Tous les types de territoires sont touchés, ruraux ou urbains, des grandes ou des petites villes… D’après l’Assemblée des départements de France (ADF), sur un échantillon de quinze départements, les dépenses consacrées au RSA ont bondi de 9,2 % en août par rapport à la même période en 2019.

En Seine-Saint-Denis, par exemple, le nombre d’allocataires a augmenté de 4,7 % entre juin 2019 et juin 2020, la hausse la plus forte observée depuis 2014. A ce rythme, ils devraient être 90 000 fin 2020, contre 85 000 en mars, et représenter un surcoût qui met les finances du département en tension. Le territoire consacre déjà 532 millions d’euros à cette prestation sociale, dont 207 millions à sa charge car non compensés par l’Etat.

Dans le Loir-et-Cher, la hausse est plus forte encore : + 14 % d’allocataires entre août 2019 et août 2020, soit 7 217 contre 6 318, et une rallonge de 4 millions d’euros à la charge du conseil départemental. Dans le département voisin du Cher, la hausse atteint 7,5 %, et les nouveaux allocataires sont souvent de jeunes couples qui n’ont pas vu leur contrat à durée déterminée ou leur mission d’intérim renouvelés.

Dans les Bouches-du-Rhône, le nombre d’allocataires du RSA a fait un bond de 11 % depuis janvier, à désormais 78 713, pour la plupart marseillais. En Haute-Garonne, l’évolution atteint + 6,7 %. La métropole de Lyon reçoit, chaque mois, 2 500 nouvelles demandes, contre 2 000 par mois courant 2019, entraînant une hausse de leur nombre de 10 % depuis janvier. Elle est plus forte encore dans le Maine-et-Loire, de 11 % depuis le début de la crise sanitaire.

Le département du Val-de-Marne est également durement touché par le chômage, avec, en particulier, l’arrêt des activités de l’aéroport d’Orly, ses commerces, sa sécurité, et le ralentissement du marché de Rungis où les achats par les restaurateurs s’effondrent. « Nous comptons 10 % de chômeurs de plus et une demande grandissante de RSA, avec 5 000 nouveaux dossiers entre février et juin, un flux qui ne se tarit pas en septembre, détaille Christophe Blesbois, directeur de l’action sociale du département. C’est simple, en fin d’année nous aurons dépensé 20 millions d’euros de plus qu’en 2019, alors que les recettes, par exemple les droits de mutation des transactions immobilières, diminuent. Cet effet de ciseau entre recettes et dépenses nous inquiète pour 2021. »

En Ille-et-Vilaine, les services sociaux ont reçu 1 200 demandes de RSA au deuxième trimestre, une hausse « brutale » et « inédite » de la précarité (19 000 bénéficiaires au 1er juillet), selon Jean-Luc Chenut, président (PS) du conseil départemental, et qui coûtera au moins 10 millions d’euros. « Notre seule variable d’ajustement pour assumer cette charge ? L’épargne. Si la situation se poursuit en 2021, nous n’aurons plus de capacité d’investissement », avertit l’élu, qui appelle l’Etat à participer au financement des nouvelles demandes de RSA.

Entre février et septembre, le département du Nord est passé de 100 000 à 107 000 allocataires. Cette forte augmentation est-elle liée à l’arrêt, durant le confinement, des contrôles auprès des bénéficiaires que le département avait intensifiés ces trois dernières années, se félicitant d’ailleurs d’avoir ainsi économisé 12 millions d’euros entre 2017 et 2020 ?

Les associations de lutte contre la pauvreté réclament depuis longtemps la création d’un revenu minimal garanti accordé dès l’âge de 18 ans, contre 25 ans aujourd’hui. La crise sociale et sanitaire donne un écho renforcé à cette revendication. « Autant le gouvernement a, dans la crise, été réactif sur les aides d’urgence, alimentaires et d’hébergement, et attentif aux demandes des associations, autant il semble réfractaire à l’idée même de, par exemple, revaloriser le RSA et l’ouvrir aux jeunes », observe Florent Guéguen.

« Il faut faire confiance aux jeunes, cesser de demander des contreparties à la moindre aide, comme attester d’une recherche active d’emploi, plaide Véronique Fayet, présidente du Secours catholique. C’est une maltraitance institutionnelle qui sanctionne et insécurise en coupant les vivres. »

  • Les impayés de loyers touchent surtout le secteur HLM

La pandémie et le confinement ont provoqué un pic d’impayés de loyers qui s’est atténué après le 11 mai et a principalement touché le parc social à qui il manque, en septembre, 100 millions d’euros de loyers (sur plus de 20 milliards d’euros). Ainsi, l’office HLM Seine-Saint-Denis Habitat a constaté 18 % d’impayés en avril, mais ils sont redescendus à 11,8 % en septembre – leur niveau habituel – soit 2 500 ménages ayant une dette moyenne de 500 euros. Le département a débloqué une aide exceptionnelle, grâce à son fonds de solidarité logement, qui aura donc, au 31 octobre, bénéficié à quelque 1 000 ménages à hauteur de 480 euros chacun.

Le bailleur social de la capitale, Paris Habitat (125 000 logements), a, lui, enregistré, durant le confinement, un taux d’impayés de 7,6 %, un peu supérieur à l’ordinaire. « Nous avons entre 5 000 et 6 000 locataires primo-débiteurs qui ne connaissent pas tous les mécanismes de prévention et d’étalement des dettes, explique Stéphane Dauphin, son directeur. Les services publics qui pourraient leur venir en aide ne sont accessibles que sur rendez-vous et les dossiers traînent en longueur pour obtenir le RSA, renouveler son titre de séjour, toucher une indemnité ou sa retraite… Ces obstacles fragilisent les ressources de nos locataires. » Ainsi, sur une recette annuelle de loyers de 620 millions d’euros, il manque 47 millions d’euros à Paris Habitat.

Le conseil départemental de Maine-et-Loire a, lui aussi, dû abonder son fonds de solidarité logement de 500 000 euros, en plus des 3 millions d’euros prévus, et relever l’aide maximale accordée à chaque ménage de 988 euros à 1 739 euros.

Le parc locatif privé, lui, est un peu l’angle mort des politiques sociales. « Nous avons beaucoup de mal à communiquer avec les locataires et les bailleurs, qui sont loin des institutions, remarque Christophe Blesbois, du département du Val-de-Marne, mais nous n’en sommes pas moins inquiets puisque nous recevons de plus en plus de demandes d’aide financière de la part des locataires. Leur nombre est passé de 2 000 par mois, en février, à 3 600 en juillet, avant de retomber à 3 300 en septembre. Le risque, c’est que ces locataires nous sollicitent trop tard, juste avant l’expulsion. »



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