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lundi 18 novembre 2019

Les Brésiliens « terreplatistes » se sentent pousser des ailes avec Bolsonaro

Au Brésil, 7 % de la population est convaincue que la Terre est plate. Les réseaux sociaux, les Eglises évangéliques et le complotisme de certains membres du gouvernement n’arrangent rien.
Par   Publié le 18 novembre 2019

La Terre vue de la Lune, en 1968.
La Terre vue de la Lune, en 1968. HO / AFP
LETTRE DE SAO PAULO

Pour des « raisons de sécurité », le lieu du rassemblement a été tenu secret jusqu’à la dernière minute. C’est finalement dans un théâtre du quartier de Liberdade, dans le centre de Sao Paulo, qu’a eu lieu dimanche 10 novembre la première « Flat Con » du Brésil. A savoir, un congrès réunissant les adeptes de la théorie pour le moins farfelue selon laquelle la terre serait plate. Oui, plate.
Quelque 500 « terraplanistas » (« terreplatistes » en français) étaient venus écouter une dizaine de conférenciers décidés à faire un sort à la « théorie héliocentrique de la boule mouillée pivotante » et aux affreux « globoloïdes », qui osent croire que la planète est bel et bien ronde. Dans leur ligne de mire, la NASA, qualifiée d’« agence d’Hollywood » par les intervenants et accusée d’être à la tête d’une vaste conspiration internationale, visant à maintenir les humains « éloignés de la vérité » pour les rendre « plus faciles à manipuler ». Rien que ça.

Arguments ubuesques

Car oui, la Terre serait plate. Les organisateurs de la « Flat Con », avec leur tête Jean Ricardo Martins, « journaliste » autoproclamé, « terraplanista » de profession, en sont convaincus. Tous offrent au public des arguments plus ubuesques les uns que les autres : l’horizon et les eaux marines seraient plats, les photos prises de l’espace truquées, les avions en vol ne piquent pas du nez pour éviter de se retrouver dans l’espace… « La Terre plate est simple. La Terre ronde, non », a soutenu Prisca Côco, youtubeuse de mode reconvertie en géophysicienne pour l’occasion.

A l’entrée du théâtre, les participants posent face à une carte de la « vraie Terre », à la forme d’un disque (ou d’une pâte à pizza mal étalée, c’est selon). Dans le monde fantasmagorique des « terreplatistes », il n’existe ni système solaire ni univers en expansion. La Terre serait simplement recouverte d’un genre de dôme (appelé « Firmament ») où seraient « fixées » les étoiles et où se mouvraient en cadence le soleil et la lune (qui seraient bizarrement de la même taille). Mais pour celui qui s’aventurerait au « bord » de la carte, pas d’inquiétude : « l’Antarctique servant comme un mur de glace » empêcherait le commun des mortels de « tomber » dans l’espace…

7 % de Brésiliens convaincus

Tout cela pourrait prêter à sourire. Et pourtant : l’événement a été largement couvert par la presse brésilienne. Car les « terreplatistes » bénéficient d’une popularité inédite dans le pays. Selon un sondage récent publié par l’institut Datafolha, 7 % des Brésiliens estimeraient que la Terre est plate – soit 11 millions d’habitants. Les plus convaincus se trouvent dans les catégories populaires et les moins éduquées. Là, une personne sur dix s’imagine la Terre plate comme une limande.
Sur les réseaux sociaux a essaimé toute une constellation de groupes et de leaders « terreplatistes », suivis par des milliers d’adeptes. Ces derniers ne se contentent pas de crucifier Eratosthène. Plusieurs intervenants du « Flat Con » en viennent également à nier le réchauffement climatique, la théorie de l’évolution, le bien-fondé des vaccins, et, évidemment, la gravité, le décollage des fusées, les sorties dans l’espace et l’existence d’un voyage de l’homme sur la Lune.
Le « terreplatisme » est aujourd’hui lié à plusieurs mouvements de fond de la société brésilienne, à commencer par l’explosion des réseaux sociaux, mais aussi à la radicalisation religieuse et à la montée en puissance des Eglises évangéliques, volontiers créationnistes, qui rassemblent près d’un quart de la population brésilienne. « Il n’existe pas d’univers infini et chaotique qui se serait créé tout seul. Nous avons un créateur et nous avons un but ! », soutient ainsi sur sa chaîne YouTube le « Professeur Terre Plate », dont les vidéos sont visionnées jusqu’à 300 000 fois.

Théorie du complot et post-vérité

Et pour ne rien arranger, il y a le gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro« Ce pouvoir se nourrit et renforce les fake news. Il donne de la place aux complotistes et promeut une soi-disant post-vérité. Les ministres font des discours niant ouvertement les faits, la science ou même les connaissances de base, promeuvent une vision du monde fondée sur l’idéologie et le préjugé. C’est très dangereux et rend difficile le travail des scientifiques », s’alarme Thiago Signorini Gonçalves, astronome et professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ).
Au ministère des sciences et technologies siège certes le célèbre Marcos Pontes, premier astronaute brésilien à s’être rendu dans l’espace. Mais le gouvernement, comme le Parlement, accueille dans ses rangs de nombreux disciples d’Olavo de Carvalho, ancien astrologue vivant aux Etats-Unis, devenu la référence intellectuelle du bolsonarisme. « Je n’ai pas étudié le sujet de la Terre plate. J’ai juste regardé quelques vidéos d’expériences qui montrent la platitude des superficies aquatiques, et jusqu’à présent je n’ai rien trouvé qui réfute cela », a tweeté au mois de mai le « philosophe » (qui, entre autres, juge la cigarette bonne pour la santé et soupçonne Pepsi d’utiliser des fœtus avortés pour sucrer ses boissons).
Parmi les disciples « olavistes » du gouvernement, on compte rien de moins que le ministre des affaires étrangères, Ernesto Araújo, qui lui-même ne croit pas au changement climatique (une « invention marxiste » selon lui). « Pour moi la Terre est ronde. Mais peut-être l’intention du professeur Olavo était d’attirer l’attention sur la nécessité de mieux comprendre la méthodologie scientifique. La science a besoin d’être questionnée », a cru bon de rappeler, dans une interview, le chef de l’Itamaraty (le Quai d’Orsay brésilien), soupçonné un temps de sympathies « terreplatistes ». Un comble pour un responsable qui parcourt sans cesse le globe terrestre à bord de son avion.

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