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jeudi 21 novembre 2019

Le vieillissement va transformer le marché du travail

Sous l’effet de l’allongement de l’espérance de vie, la part des seniors dans la population active va augmenter. Une révolution à laquelle les entreprises, comme la formation, sont encore peu préparées.
Par   Publié le 21 novembre 2019
OLIVIER BONHOMME
Planète grise (4/6). Quelque chose de Robocop, ou bien d’une nouvelle d’Asimov : à première vue, ces étranges accoutrements semblent tout droit sortis d’un classique de science-fiction. Sur l’un des modèles, deux structures métalliques plaquées aux jambes aident à porter des poids élevés. Sur l’autre, une demi-armure fixée aux épaules facilite les mouvements vers le haut, tout en soutenant la nuque.
« Nous testons ces exosquelettes dans de nombreuses usines, comme celle de Munich : ils soulagent les ouvriers effectuant des tâches répétitives sur les chaînes d’assemblage », explique Christin Hölzel, responsable des questions ergonomiques chez BMW. Objectif : protéger au mieux leur santé. En particulier celle des seniors, afin de leur permettre de conserver leur poste aussi longtemps que possible.
Audi, Daimler, Volkswagen : aujourd’hui, la plupart des groupes industriels allemands déploient des technologies similaires, tout en révisant leur organisation du travail pour simplifier le quotidien des salariés les plus âgés.
« Ils ont compris qu’ils n’avaient pas tellement le choix, souligne Hannes Zacher, spécialiste de l’organisation du travail à l’université de Leipzig. Du moins, s’ils veulent être en mesure d’affronter le déclin à venir de la population active. »
Selon une étude du cabinet Deloitte menée auprès de 11 000 entreprises dans le monde, la moitié d’entre elles n’ont rien prévu pour accompagner les salariés de plus de 55 ans
Celui-ci s’annonce vertigineux. D’ici à 2050, l’Allemagne, 83 millions d’habitants aujourd’hui, perdra 11 millions de personnes en âge de travailler, selon la Fondation Robert-Schumann, tandis que la population active de l’Union européenne (UE, 513 millions d’habitants) fondra de 49 millions d’individus. « C’est la double conséquence du vieillissement et de l’allongement de l’espérance de vie : nous allons travailler plus longtemps, et pas seulement pour financer nos retraites, résume Martin McKee, professeur de santé publique à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. A condition de pouvoir le faire dans de bonnes conditions. » Et que des aménagements soient prévus pour ceux qui, en raison de la pénibilité de leur emploi, ne seront pas en mesure de le faire.
Problème : à l’exception de quelques pionniers de l’automobile allemande, très peu d’employeurs sont préparés à cette révolution grise. Selon une étude datée de mars 2018 du cabinet Deloitte menée auprès de 11 000 entreprises dans le monde, la moitié d’entre elles n’ont rien prévu pour accompagner les salariés de plus de 55 ans.

Pis, les clichés sur ces derniers ont la vie dure : 20 % des sondés perçoivent les seniors comme « un désavantage compétitif », voire un obstacle à la promotion des jeunes talents. « Avec le sexe, l’âge est le premier motif de discrimination au travail, loin devant l’origine ethnique », notent Emmanuelle Prouet et Julien Rousselon, spécialistes de l’emploi chez France Stratégie, et auteurs d’un rapport sur le sujet paru en octobre 2018.
Pas étonnant, dès lors, que le taux d’emploi des 55-64 ans soit nettement plus bas que celui des 25-54 ans, en particulier en France : 52,1 %, contre 80,6 % pour les 25-54 ans, d’après Eurostat. S’ils sont en moyenne mieux payés et plus souvent en contrat à durée indéterminée (CDI) que leurs cadets, ils ont en revanche bien plus de mal à retrouver un poste lorsqu’ils sont au chômage.

« Tensions sur certains créneaux »

Pourtant, les études sur leurs performances au bureau battent en brèche les idées reçues sur le sujet : « Les plus de 50 ans ne sont pas moins productifs que les jeunes diplômés », résume Stefano Scarpetta, spécialiste de ces questions à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Mais la nature des compétences évolue : si les seconds sont plus à l’aise avec les changements rapides et les nouvelles technologies, les premiers commettent moins d’erreurs – les vertus de l’expérience – et ont une vue d’ensemble plus fine. « Les entreprises qui l’ont compris privilégient les équipes mixtes, favorisant les échanges entre générations », remarque M. Zacher.
Comme lui, les spécialistes du management prônent une série de mesures favorisant le maintient dans l’emploi des plus de 60 ans : plus de flexibilité horaire, la possibilité de faire du télétravail ou encore de cumuler emploi et retraite. Reste l’épineux sujet des salaires relativement élevés de ces derniers, souvent évoqués comme un obstacle à leur embauche – ou un prétexte à leur licenciement.
La question est plus complexe qu’il n’y paraît. Lorsque l’on quitte les lunettes de l’employeur pour chausser celles du macroéconomiste, le constat varie du tout au tout selon le pays et l’avancement de la transition démographique. Au tournant des années 2000, l’arrivée massive des baby-boomeurs à l’âge de la cinquantaine, conjuguée aux différentes réformes des retraites et à l’augmentation du travail féminin, a fait grimper le taux de participation à l’emploi des 55 à 64 ans de 33 % à 55 % en moyenne dans l’OCDE en vingt ans. Un bond qui a plutôt eu tendance à freiner la hausse des salaires en Europe. Au grand désarroi de la Banque centrale européenne (BCE), désemparée devant la faiblesse de l’inflation.
Mais lorsque les générations d’après-guerre seront massivement parties à la retraite, les tensions sur les salaires pourraient réapparaître, prédisent nombre d’économistes. En particulier sur ceux des 25-30 ans, dont les profils seront en pénurie. Ce qui pourrait profiter… aux seniors. « On observe déjà ces tensions sur certains créneaux, comme l’informatique, confie le DRH d’une PME parisienne. Les diplômés à peine sortis d’école deviennent si gourmands que, désormais, nous préférons embaucher des quinquas. »
Encore faut-il que les compétences de ces derniers soient à jour. L’allongement de l’espérance de vie remet profondément en question le triptyque études-travail-retraite sur lequel nos systèmes sociaux se sont construits à l’après-guerre. « Une partie des enfants naissant aujourd’hui vivront 100 ans : comment imaginer qu’ils arrêtent de se former à 25 ans ? », résume M. Scarpetta. Plus la vie professionnelle sera longue, plus la formation continue et la validation régulière des acquis seront indispensables.

« Automatisation des postes »

D’autant que la nature même de nos emplois va évoluer, en partie sous l’effet de la révolution technologique. « L’automatisation des postes devrait accélérer pour compenser une partie de la baisse de la population active », observe Nicholas Gailey, coauteur d’un rapport sur la démographie pour la Commission européenne. Il faudra des techniciens et des ingénieurs sachant les manœuvrer, et des formations pour ceux dont les emplois seront remplacés.
Ce n’est pas tout : la demande au sein de nos économies va aussi se transformer du fait du vieillissement. Celles-ci seront moins gourmandes en biens industriels, mais plus consommatrices de services, notamment de proximité, prévoit ainsi l’OCDE. Là encore, les qualifications devront s’adapter à ces nouveaux besoins.
Reste une question clé : les pays où l’âge moyen de la population active dépassera les 50 ans seront-ils moins innovants que les nations jeunes – au détriment de la croissance ?
Une fois de plus, la réponse est complexe. Prenons le Japon : ses dépenses de recherche (publiques et privées) sont parmi les plus élevées de l’OCDE (3,20 % du produit intérieur brut, selon la Banque mondiale, contre 2,8 % aux Etats-Unis), et il dépose davantage de brevets (2 063 pour 1 million d’habitants en 2017) que les Etats-Unis (902) ou la Chine (899), à en croire l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Mais ces brevets sont sous-utilisés, car les Japonais créent peu de start-up : les trois quarts des petites entreprises nippones ont plus de dix ans d’ancienneté, contre moins de la moitié dans le reste de l’OCDE.
Dit autrement, l’Archipel ne manque pas d’innovations, mais d’entrepreneurs. Peut-être parce que les seniors ont plus de mal à décrocher des prêts pour lancer leur business. Ou parce qu’en occupant les postes de management clés dans les entreprises, ils empêchent les jeunes recrues d’acquérir les compétences indispensables pour se lancer à leur tour, suggèrent les travaux des économistes James Liang, Hui Wang (université de Pékin) et Edward Lazear (Stanford). Selon eux, l’accroissement d’une année de l’âge médian dans un pays diminue le taux de création de nouvelles entreprises de 2,5 points.
Mais cela ne signifie pas pour autant que les seniors participent moins à la vie commune. « Sans leur implication, le monde associatif, les petites mairies, la garde informelle des enfants ou même les copropriétés ne pourraient tout simplement pas tourner dans notre pays », souligne Alain Franco, président de l’Université inter-âges du Dauphiné. Tout en regrettant que cette précieuse contribution soit trop peu prise en compte dans les représentations sociales, comme dans la mesure de l’activité économique.
La société au défi du vieillissement

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