Une ingénieure fait l’inventaire des paillettes de sperme, le 9 septembre au CHU de Nantes. Photo Alban Lécuyer pour Libération
Chef du service d’aide à la procréation au CHU de Nantes, le Pr Fréour bat en brèche les inquiétudes autour d’une réforme attendue.
Trente-neuf ans, cinq enfants bien à lui mais des milliers de bébés à son actif. Quand on pénètre dans le bureau de Thomas Fréour, on entre d’emblée dans le vif du sujet : dessins d’enfants au mur et gros spermatozoïde en porcelaine à côté de l’ordi. Depuis six ans, le biologiste est chef du service d’aide médicale à la procréation du CHU de Nantes, deuxième plus gros centre public de France. Soit une grosse machine à aider les couples infertiles. Une sympathique fabrique de nourrissons (300 à 400 par an) avec quelque 1 100 fécondations in vitro annuelles et un service intégré de dons de sperme et d’ovocytes.
Ici, pas de blouses blanches (sauf pour ceux qui manient les quelque 50 000 paillettes de gamètes et embryons conservés bien au froid dans des cuves) : «On évite la verticalité. On n’oublie pas que les gens qui viennent ici nous confient leur intimité et leurs espoirs de devenir parents. Donc nous veillons à ne pas tenir un langage trop technique et à être dispo, empathiques. Le désir d’enfant n’est pas un caprice, c’est tripal.»
En début de mois, le Pr Thomas Fréour a été auditionné par la commission spéciale chargée de plancher sur la loi bioéthique et sa fameuse PMA pour toutes, attendue à l’Assemblée mardi. A ses côtés sur le banc des spécialistes, Michaël Grynberg, médecin de la reproduction à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine) qui a vu la naissance du premier bébé-éprouvette français, Amandine, en 1982 ; Nathalie Rives, présidente de la Fédération française des Cecos (centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) ; et Rachel Lévy, vice-présidente de la Fédération nationale des Blefco (biologistes des laboratoires d’étude de la fécondation et de la conservation de l’œuf). L’occasion de porter la voix du terrain sur la mise en œuvre de la future loi.
Heureux ou inquiet face à l’arrivée de la PMA pour toutes ?
Je suis très heureux de vivre ça. Pendant un an, avec ma femme qui est gynécologue, nous avons travaillé dans la clinique Eugin de Barcelone qui, depuis des années, accueille de nombreuses Françaises, lesbiennes ou célibataires, qui ne pouvaient mener un projet d’enfant en France. C’était triste de voir ces femmes malheureuses et contraintes de s’expatrier à cause de notre législation restrictive. Quand un projet parental se manifeste dans la tête d’un couple d’hétéros, de lesbiennes ou de femmes seules, il n’y a pas d’échelle du désir ou de la souffrance à établir. Tous les projets sont respectables.
Ne craignez-vous pas, comme certains de vos confrères, un afflux massif de demandes ?
Je ne crie pas du tout au loup. Dans les années 80-90, avant que les techniques de procréation médicalement assistée ne s’améliorent, le recours au don de sperme était beaucoup plus fréquent, et on gérait. Cela étant dit, oui, il va y avoir de l’activité en plus. Mais on ne sait pas vraiment comment l’évaluer. On peut regarder les pays voisins mais l’estimation risque d’être grossière. On peut aussi demander aux cliniques étrangères combien de Françaises elles prennent en charge, mais seules celles qui en ont les moyens s’y rendent, sans compter les couples hétéros qui sont sur liste d’attente en France. En fait, ce que l’on ne mesure pas bien, c’est combien de femmes seules ou en couple qui s’étaient jusque-là interdit de réfléchir à un projet parental vont y songer. La loi va-t-elle libérer des réticences ? C’est ce que pensent les associations de femmes seules.
La ministre de la Santé avance les chiffres de 2 000 femmes en plus.
Le nombre de demandes d’insémination avec donneur, qui se situe actuellement entre 2 000 et 3 000, peut effectivement doubler. Mais les inséminations ne représentent que 10 % des actes de procréation médicalement assistée. Même en doublant, cette activité restera limitée. Et absorbable.
Mais les délais d’attente sont déjà longs…
Au CHU de Nantes, on attend de six à neuf mois avant d’avoir un don de sperme. Cela peut aller jusqu’à douze à dix-huit mois dans d’autres centres. Cette attente est insupportable. Et cette loi est sans doute l’occasion de moderniser notre organisation et de réfléchir en profondeur à la façon dont on gère le don de gamètes en France.
De nombreux médecins prédisent une pénurie de sperme. Et ce d’autant plus que l’anonymat des donneurs va être levé. Réel, ce risque ?
Nous sommes un pays de plus de 65 millions d’habitants. Pour être donneur il faut avoir entre 18 et 45 ans et être en bonne santé. Cela fait une cible de 20 millions de candidats potentiels. Or nous n’en avons que 360 par an. Je ne peux pas croire qu’il n’y ait pas une marge de progression. Chaque année, 15 000 personnes s’inscrivent sur le registre du don de moelle et 600 donnent un rein. Or donner un rein, ce n’est pas rien… Aujourd’hui, c’est vrai que nous sommes à flux tendu sur les stocks. Mais il y a de grosses disparités géographiques sur le territoire. Il faudrait que les Cecos se décident à publier les statistiques d’activité centre par centre, pour identifier où sont les manques. Il y a forcément des dysfonctionnements. Pourquoi la population française serait-elle plus généreuse à un endroit qu’à un autre ?
Le docteur dépose un embryon dans l’utérus de sa patiente.
Photo Alban Lécuyer pour Libération
Qu’avez-vous suggéré comme solutions ?
D’abord, il faut que les unités qui gèrent les dons de gamètes ne soient plus séparées des centres de PMA. A Nantes, tout est intégré. Et c’est plus logique. Ensuite, je sais que ce n’est pas consensuel mais je suis favorable à ce que le secteur privé puisse aussi pratiquer le recueil et le stockage de dons de gamètes, jusqu’alors réservés aux centres publics, comme les Cecos. Cela permettra un meilleur maillage territorial. Un amendement a été voté en ce sens : on verra s’il reste dans la loi. L’idée n’est pas de tout libéraliser. D’ailleurs, ne nous leurrons pas, le privé ne va pas vraiment gagner en notoriété et en argent avec cette activité. Mais il pourra sans doute offrir une amplitude horaire supérieure, plus adaptée aux contraintes de ceux en mesure de donner. Chez nous, les donneurs et donneuses peuvent venir le samedi matin mais peu de CHU offrent cela. En revanche, nous fermons à 17 heures. Peut-être qu’ouvrir jusqu’à 19 heures, c’est plus arrangeant…
Vous parlez de modernisation.
Oui de délais plus courts, de ne pas revoir les donneurs de gamètes 15 fois avant de passer au geste, de prises de rendez-vous rapides. Quand on propose à un donneur de venir dans un mois et demi, on le perd. Plutôt que de crier au chaos, en disant, comme certains, qu’on ne pourra plus prendre en charge les couples hétéros, je dis réformons. Je suis convaincu qu’on peut avoir 600, 800, 1 000 donneurs français sans trop de difficultés. Quand l’été, il y a une pénurie de sang, on ne dit pas «j’arrête les transfusions». On fait de la communication, on mobilise. Et ça marche. Il faut reconnaître que l’Etablissement français du sang (EFS) accueille très bien les gens, il propose des horaires souples et envoie des bus dans les villages. Certes, on ne va pas envoyer des bus pour récolter du sperme mais réfléchissons. Les campagnes nationales de recrutement de donneurs de l’Agence de la biomédecine sont tristes, médicalisantes, culpabilisantes. Quand je vois des pubs avec des couples qui disent «on aimerait tellement se réveiller la nuit pour s’occuper d’un bébé», je me demande comment cela peut inciter des jeunes à se lancer.
Il va falloir, à terme, détruire les stocks de ceux qui ont donné anonymement…
On ne le fera qu’en dernier recours. Quand la loi va passer, on arrêtera de prendre des donneurs anonymes. Et on écoulera autant que faire se peut nos stocks.
Comptez-vous recontacter les anciens donneurs pour savoir s’ils seraient prêts à révéler leur identité ?
La loi ne le prévoit pas. Et je comprends que ceux qui sont nés avant celle-ci soient fous de rage. Nous avons envisagé de les recontacter mais je ne sais pas si c’est légal. Et nous allons devoir mettre beaucoup d’énergie à recruter de nouveaux donneurs non anonymes…
Vous étiez pour cette levée de l’anonymat ?
Oui. Même s’ils s’en défendent, les Cecos étaient dans une philosophie du secret qui avait son sens dans les années 70-80. A cette époque, ce n’était pas accepté socialement qu’on ait recours à un don de gamètes. Mais cela a changé. En outre, dans les pays scandinaves qui ont levé l’anonymat depuis longtemps, seule une minorité d’enfants adultes ont demandé à avoir l’identité du donneur.
Si au début cela cafouille, comment allez-vous trier les dossiers ?
C’est la première ligne de la loi : l’accès égal à toutes. Donc, tout se fera par ordre d’arrivée et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. La seule nuance, c’est que la nature n’est pas très sympa avec les femmes en matière de fertilité. Et il arrive parfois que, malgré l’ordre d’arrivée, certaines, qui sont plus dans l’urgence en raison de leur âge, soient prises en charge un peu plus vite.
Justement, est-ce une bonne chose que la future loi permette aux femmes de congeler leurs ovocytes ?
Je précise que, là, c’est le cheval de bataille du Pr Grynberg et il a mille fois raison. Si militer pour la maîtrise de leur fertilité par les femmes, c’est être féministe, oui je le suis.
La prochaine loi a-t-elle fait de grosses impasses ?
Oui. Pour l’heure, le diagnostic préimplantatoire des embryons est réservé aux couples hétéros qui risquent de transmettre une maladie génétique grave. Or l’espèce humaine, parmi tous les mammifères, est celle qui se reproduit le moins bien. Les couples où tout va bien n’ont pas plus d’1 chance sur 4 tous les mois d’avoir un bébé, donc 3 chances sur 4 que cela ne marche pas. Car il y a beaucoup d’erreurs de construction dans la fabrication des gamètes, surtout des ovocytes. Cela a pour conséquence une absence de grossesse ou des fausses couches précoces.
Les couples qui en appellent à la PMA font un long parcours pour obtenir ces précieux embryons. Ceux-là ont tous la même tête, se développent à peu près de la même manière, mais l’on sait pertinemment que la moitié d’entre eux, voire 80 % à 90 % chez les femmes plus âgées, sont anormaux au niveau chromosomique. Le résultat, c’est que la majorité de ceux qu’on dépose dans l’utérus ne vont pas s’implanter ou donner de grossesse. Or, via un petit prélèvement, nous pouvons procéder à un comptage du nombre de chromosomes et nous assurer qu’il y en a le bon nombre. Il s’agit de repérer d’éventuelles erreurs, aucunement de chercher à les corriger ou d’aller voir si le gène des yeux bleus est présent. Ce comptage nous permettrait de n’implanter que les embryons qui ont une chance de se développer. Et donc d’éviter des transferts voués à l’échec et de la douleur. Ce n’est pas de l’eugénisme. Ou alors on ne fait plus de dépistage de la trisomie 21, qui est, lui, autorisé. Un paradoxe, non ?
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