Une équipe allemande a appris à des rongeurs les règles du jeu ancestral. Ils ont intégré toutes les subtilités d’usage.
Quiconque a observé un tant soit peu la vie des animaux ne peut en douter : ils jouent. Peut-être pas les libellules ou les papillons. Mais les ânes, les singes, certains oiseaux, et évidemment les animaux de compagnie, chats et chiens. « Ils jouent entre eux ; ils jouent avec leur maître, quand ils en ont un ; ou ils jouent tout seuls, avec des objets, répète depuis des années Marc Bekoff, célèbre éthologue américain, qui a consacré au sujet plusieurs ouvrages. Ils le font parce que c’est important pour leur développement et parce que ça les rend heureux. » Ceux qui en doutent devraient changer d’avis à la lecture de l’étude publiée vendredi 13 septembre dans la revue Science.
L’équipe de chercheurs en neurosciences dirigée par Michael Brecht, à l’université Humboldt de Berlin, y détaille des parties de cache-cache particulièrement spectaculaires entre des rats et des humains. Le tout sans la moindre récompense matérielle – du moins pour les rongeurs.
Les scientifiques ont commencé par habituer dix rats à leur présence et à leur contact. Puis, par éloignement progressif, ils leur ont appris à retrouver un expérimentateur caché derrière certains obstacles dans une pièce de 30 mètres carrés, puis à changer de rôle et à eux-mêmes se dissimuler. « Notre première surprise a été la rapidité de leur acquisition, raconte Konstantin Hartmann, un des signataires de l’article. En deux jours, tous ont compris comment et où nous chercher. En une semaine, tous sauf un savaient se cacher. »
« Un plaisir manifeste à jouer »
Lors de cette phase d’apprentissage, aucune récompense alimentaire ne leur a été offerte, comme le veut la coutume dans les études de comportement animal. Juste la poursuite d’un autre jeu, à base de chatouilles. Quant au rôle qui leur était assigné, il leur était signifié par l’ouverture ou la fermeture de la porte de la cage dont ils venaient d’être libérés et par la présence ou non de l’expérimentateur – son absence marquant la position du chasseur.
Les parties qui ont suivi et l’analyse du comportement des animaux ont livré des résultats impressionnants. « D’abord, un plaisir manifeste à jouer, souligne Konstantin Hartmann. Quand on trouvait un animal, il tentait de nous échapper pour filer dans une autre cachette pour poursuivre la partie. Cela revient à remettre à plus tard la récompense. Pour eux, jouer à cache-cache vaut donc autant que jouer aux chatouilles… »
En position de gibier, l’animal évite de choisir deux fois de suite le même abri.
Deuxième enseignement majeur : leur stratégie. Chassés, les rats privilégient les cachettes opaques par rapport aux boîtes partiellement transparentes. Chasseurs, ils ne manifestent aucune préférence, passant en revue tous les écrans susceptibles de dissimuler l’expérimentateur. Même différence dans la récurrence des cachettes. En position de gibier, l’animal évite de choisir deux fois de suite le même abri. A l’inverse, lorsqu’il traque son complice humain, il privilégie au contraire la dernière cachette « gagnante ».
Les scientifiques ont également enregistré les ultrasons émis par les rats pendant le jeu. Ils ont constaté une augmentation des cris émis à chaque sortie de la boîte de départ, quelle que soit la position. En revanche, s’ils continuent à faire du bruit quand ils traquent, ils se montrent silencieux quand ils se cachent. Même lors de la phase de découverte, celui qui trouve apparaît plus bruyant que celui qui est trouvé. Toute ressemblance avec de jeunes enfants serait évidemment totalement fortuite.
Excitation à chaque début de partie
Quoique… L’équipe allemande est parvenue à installer, dans un second temps, des micro-électrodes dans le cerveau des rats, avec une transmission sans fil des résultats. Elle a constaté une activation de 30 % des neurones du cortex préfrontal, une zone qui, chez de nombreuses espèces, est associée aux interactions sociales et au traitement des règles. De quoi nourrir un peu plus l’hypothèse que les rats, comme nous, et comme les chiens de Marc Bekoff, « jouent pour jouer ».
La volonté d’enchaîner les parties plaide en ce sens. Mais aussi l’excitation à chaque début de partie. Ou encore la différence de sons émis par celui qui est trouvé et celui qui trouve : « Si la récompense devait constituer leur première motivation, les deux positions entraîneraient la même réaction », souligne l’article. Enfin, ils sont apparus fatigués après vingt essais. « Or lors de conditionnements avec de la nourriture, les rongeurs poursuivent des centaines d’essais sans relâche », précisent les chercheurs, avant de conclure : « Mais tout cela ne constitue que des preuves indirectes, il faut poursuivre le travail. »
Voir par exemple s’ils sont dotés de la « théorie de l’esprit », cette capacité qui permet à des individus d’attribuer des états mentaux à d’autres individus. Prévoir par exemple ce que l’autre va faire, compte tenu des informations dont il dispose. « Pour le moment, cette étude ne le montre pas. Mais la façon dont les chercheurs ont utilisé des comportements spontanés plutôt que de leur inculquer des tâches fait toute la beauté de ce travail », remarque le primatologue Frans de Waal. « Une bouffée d’air frais, renchérit sa collègue française Elise Huchard. (…) De quoi changer notre regard sur les rats (et sur les animaux en général) : joueurs, interactifs, enthousiastes, stratèges, attentifs à leur partenaire de jeu et peut-être même dotés d’un sens de l’humour… » Pas exactement l’imagerie populaire associée au rongeur.
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