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samedi 21 septembre 2019

Dominique Mehl : « Je n’ai rencontré parmi ces mères seules aucune femme toute-puissante »

Pour la sociologue, il n’y a aucune raison de ne pas accorder de légitimité au modèle de familles construites grâce au recours à la procréation médicalement assistée.
Par   Publié le 21 septembre 2019
Dominique Mehl est sociologue au CNRS. Spécialiste de bioéthique et des questions relatives à la procréation et à la filiation, elle a réalisé une enquête auprès des mères célibataires françaises ayant eu recours à une procréation médicalement assistée (PMA) à l’étranger. Ce travail a été publié en 2016 sous le titre Maternités solo, aux Editions universitaires européennes.

Le projet de loi sur la bioéthique prévoit que les femmes seules pourront accéder à la PMA. Est-ce que vous vous réjouissez de la reconnaissance de ces modèles familiaux spécifiques ?

Les maternités célibataires ont toujours existé. La loi est là pour donner des autorisations et fixer des interdits, pas pour juger de la qualité du projet parental. Il ne s’agit pas d’encourager ces modèles, mais simplement de dire qu’ils ont la même légitimité que les autres. Ce projet de loi est une façon de reconnaître que toutes les façons de faire famille se bricolent, s’inventent, qu’elles ne sont pas fixées d’avance, ce qui me paraît en effet être une avancée.

La PMA pour les femmes seules suscite de nombreux débats, y compris chez les partisans de l’extension de ces techniques aux couples de lesbiennes. Les mères qui font ce choix dérangent-elles plus que les couples de femmes notre rapport à la norme ?

J’ai tout de suite été intriguée, quand la loi a commencé à être évoquée, par le fait qu’on parlait de l’extension de la PMA aux couples de lesbiennes et « aux autres ». Il existe de nombreuses études et des témoignages sur l’homoparenté, en revanche les mères « solos » sont assez ignorées par les sciences sociales, ce qui m’a amenée à m’y intéresser. L’enquête sociologique que j’ai menée auprès d’un échantillon de mères célibataires françaises ayant eu recours à des PMA à l’étranger et qui est racontée dans mon livre prouve que cela reste encore tabou.
Après 1968, on revendiquait des modèles de parenté alternatifs, sans homme notamment. Mais je me suis rendu compte que les femmes qui décident de faire seule un enfant en utilisant la PMA ne le disent pas forcément à leur entourage. Ces familles sont encore aujourd’hui associées à deux images négatives : celle de la figure du bâtard, de la relation illicite, et celle de l’élimination du masculin.
C’est différent pour les couples de femmes qui se voient ouvrir ce droit aussi. Le grand mouvement social qui a abouti à la loi sur le mariage pour tous a complètement changé nos représentations de l’homoparenté. C’est un modèle qui est rentré dans les mœurs.

Vous qui avez rencontré ces « mères solos », quelle est votre réponse face aux arguments des adversaires de l’extension de la PMA, qui invoquent par exemple les conséquences négatives pour la construction des enfants de l’absence de figure paternelle ?

Cette question de l’absence du père ne leur est pas du tout indifférente, au contraire ça les préoccupe. Je n’ai rencontré parmi elles aucune femme toute-puissante. Pour répondre à cette absence paternelle, elles sont très attentives à faire de la place à des présences masculines, des parrains. C’est souvent l’occasion pour elles de se rapprocher de leur famille pour les aider sur ce plan.

Selon vous, n’y a-t-il pas une difficulté supplémentaire pour ces mères qui assument seules l’éducation et la charge d’un enfant ?

Il faut bien faire la différence entre les « maternités solos » et les monoparentés qui sont le résultat d’un couple qui échoue, ce qui entraîne bien souvent une grande précarité, à la fois sur les plans économique et psychologique. On parle ici d’un engagement d’une femme, pas d’un schéma familial qui suit le deuil d’une relation. Sur le plan financier, ces femmes, en général, ont de l’argent. D’ailleurs, vu le coût financier de la PMA à l’étranger, les femmes modestes ne peuvent pas se le permettre. La loi va permettre de mettre à égalité toutes les femmes qui ont ce désir d’enfant.
Je ne suis pas plus inquiète pour elles que pour les couples traditionnels. Toutes les parentés sont à risques. Celles-ci en ajoutent peut-être certains mais elles échappent aussi à des difficultés, comme les disputes conjugales. La question qui se pose cependant, et à laquelle on aura des réponses plus tard, ce sont les effets sur les enfants issus de ces familles.

Est-ce que cette disposition, si elle était votée, serait à vos yeux une victoire pour le droit des femmes à disposer de leur corps ?

C’est sans conteste une victoire en termes de liberté procréative. C’est un droit nouveau pour les femmes, même si les féministes, en dehors des féministes LGBT, ne se sont pas tellement battues pour. C’est intéressant parce que le projet de loi fait coexister deux thématiques : celle, d’ordre politique, qui touche à l’égalité des droits, et une autre qui est la reconnaissance d’une légitimité équivalente pour la diversité des familles. Une autre thématique avait été abordée lors de l’examen des lois de bioéthique en 1994, par Robert Badinter, c’est justement la liberté de procréer, qui avait été jugée contradictoire à l’époque avec la tradition bioéthique française. Avec l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, on assiste aujourd’hui à son retour.

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