Plus de 800 personnes dont 213 enfants sont hébergés par le Samusocial. En Ile-de-France, le parc d’hôtels économiques est saturé et laisse chaque soir 1 000 personnes à la rue.
La sortie Esplanade du RER de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) projette le passant dans l’urbanisme radical des années 1970, ou ce qu’il en reste. Un univers minéral de béton gris, passerelles désertes, escaliers écornés désormais annoncés « dangereux », et jardinières quasi vides où deux arbustes rachitiques soulignent l’absence d’arbres. Seuls les allers et venues des écoliers animent cette place « très prochainement réhabilitée », promet Brigitte Marsigny, la maire (LR) de Noisy.
Quelques dizaines d’enfants se dirigent vers un imposant bâtiment d’angle, la résidence hôtelière « Paris Noisy ». C’est là que vivent 824 personnes, dont 213 enfants, hébergés par le Samusocial dans 171 « suites » de une, deux ou trois pièces, avec kitchenette et salle de bains. « C’est provisoire, en principe, mais ça dure depuis sept ans », explique Aslan (son prénom a été modifié), jeune Tchétchène tout juste bachelier qui entreprend avec enthousiasme des études de sciences, et porte-parole naturel de sa famille.
Ils ont été jusqu’à dix à habiter l’appartement, heureusement l’un des plus grands de la résidence, 80 m2 en rez-de-chaussée, deux chambres et un vrai espace salle à manger.
« C’est confortable mais nous souhaiterions un vrai logement à Noisy-de-Grand, explique Aslan. Nous sommes prioritaires, depuis 2015, pour une HLM, et avons eu une première proposition cet été, malheureusement refusée alors que nous avions déjà fait les cartons… »
« Un combat quotidien contre les souris »
Kamrul, employé d’hôtel, la trentaine, vient du Bengladesh et vit ici depuis cinq ans avec sa femme et ses trois enfants. Pas question de se plaindre… sauf des punaises, « mais il y en a dans tous les hôtels », dit-il en connaisseur. Pour Bakary, venu de Côte d’Ivoire, « tout va bien tant qu’on reste chez soi. Entre résidents et avec le personnel, c’est juste bonjour, bonsoir ».
La famille Doumbia, avec quatre enfants en bas âge, bientôt cinq, est, elle, française, originaire du Sénégal, et vit ici, dans une pièce unique depuis plus d’un an. Tous deux travaillent. Lui, dans un restaurant ; elle, Coumba, jeune et élégante maman, dans la restauration aérienne où elle prépare les plateaux-repas.
Eux aussi attendent avec impatience un vrai logement et fondent leurs espoirs sur le fait d’être tous deux salariés « avec fiches de paye, souligne Coumba. On a poussé les lits contre les murs pour faire le maximum de place aux enfants. On est bien ici, même s’il faut mener un combat quotidien contre les souris, les punaises, les cafards… ».
« Nous changeons régulièrement matelas et draps et vérifions que les résidents entretiennent leurs logements », détaille la directrice de l’établissement, Martine Lebreton, précisant : « C’est un établissement tenu ! »
« La résidence Paris Noisy était, à l’origine, un ensemble de bureaux restés vides, transformé en hôtel pour le tourisme d’affaires, raconte Didier Pignet, président de La Compagnie hôtelière, son gestionnaire pour le compte d’une centaine d’investisseurs. En 2008, faute de touristes, nous avons basculé en hôtel social, ce qui nous a obligés à changer de métier : faire un peu moins l’hôtelier et un peu plus le gendarme. A raison de 12 à 17 euros par personne et par nuit, cela assure un remplissage et un revenu constant, donc une bonne rentabilité. »
Réduire le nombre et le coût des nuits d’hôtel payées par le Samusocial pour héberger les familles sans-abri est un objectif lancinant de tous les gouvernements depuis 2007. Mobiliser les hôtels économiques est coûteux pour la collectivité et pas satisfaisant pour les familles elles-mêmes, certes à l’abri mais pas vraiment chez elles.
Avec ses pass électroniques renouvelés chaque mois, l’interdiction de recevoir la moindre visite, l’absence de parties communes accueillantes, l’impossibilité d’installer ses propres meubles, ou, pour les enfants, de jouer dans les couloirs – sous vidéosurveillance –, d’y entreposer une poussette, et le droit du gérant d’entrer quand bon lui semble dans les logements, la vie dans ce type de résidence n’est pas ordinaire. « J’aimerais bien payer un loyer », résume Bakary.
Emmanuel Macron, son ministre chargé du logement, Julien Denormandie, et le délégué interministériel à l’hébergement, Sylvain Mathieu, ont souhaité, dès 2017, développer une politique dite du « logement d’abord ». Dans l’idéal, l’étape aléatoire de l’« hébergement » serait évitée pour proposer d’emblée un vrai appartement. Mais il n’y en a pas assez.
Faute de sortie vers un logement pérenne, les familles restent coincées là plusieurs années : environ deux ans et demi en Ile-de-France, parfois jusqu’à sept ans. Les hôtels saturent et les places viennent à manquer. Rien qu’en Ile-de-France, le Samusocial mobilise, chaque soir, tout le parc d’hôtels économiques, soit 17 000 chambres pour 45 000 personnes, et ce n’est pas suffisant.
« Il y a quelques années, nous trouvions un toit pour toutes les familles, se souvient Eric Pliez, son président. Depuis cette rentrée, chaque soir, 1 000 personnes, dont 300 gamins et des mères avec leur nourrisson, restent sans solution, à la rue, se désole-t-il. Nous envisageons d’élargir nos recherches d’hôtels au-delà de l’Ile-de-France. »
Loin de réduire, comme espéré, le coût des nuits d’hôtel, l’Etat se voit donc contraint d’y consacrer toujours plus de moyens. En Ile-de-France, cela représente 250 millions d’euros par an.
Vendredi 13 septembre, Julien Denormandie a annoncé pour 2020, et à l’occasion du premier bilan anniversaire de la « stratégie pauvreté », un coup de pouce financier de 45 millions d’euros – non comptés les 15 millions d’euros venus des bailleurs sociaux pour abonder le fonds d’urgence « logement d’abord » – et un doublement de 4 à 8 millions d’euros des crédits pour la résorption des quelque 500 bidonvilles de France. Ces mesures bienvenues ne devraient cependant pas être suffisantes pour débloquer la situation.
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