Diplômée en marketing, cette femme de 27 ans a créé le compte @PepiteSexiste et épingle depuis un an et demi les publicités sexistes ou stéréotypées sur les réseaux sociaux. Premier volet de notre série sur les nouveaux visages du féminisme.
Marion est la créatrice du compte Twitter @PepiteSexiste, et de ses homologues sur Facebook et Instagram. Derrière ce compte anonyme à la bannière bleue et rose, elle épingle, inlassablement, toutes les opérations marketing reposant sur des stéréotypes de genre et diffusant des messages sexistes. A raison de plusieurs signalements par jour, elle a permis le retrait de 40 « pépites sexistes », reçu plusieurs messages d’excuses des marques, et a forgé sa réputation de vigie sur les réseaux sociaux. Cet été, elle a obtenu des excuses de Cultura, qui a retiré la différenciation entre des agendas dans l’un de ses magasins concernés. Pour d’autres, il faudra en revanche être encore patient.
Dis-moi @LeclercBonPlan c’est quoi la différence entre un « agenda garçon » et un « agenda fille » ? Je croyais que chaque élève suivait la même année scolaire pourtant ?
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Jouer sur l’image publique des marques
Le compte @PepiteSexiste est né un 9 mars, le lendemain de la Journée internationale des droits des femmes. La veille, Marion n’avait pas pu passer à côté des campagnes de promotions pour des produits de beauté, vêtements, accessoires de cuisine réalisées à l’occasion de « la journée de la femme ». « Qu’une journée comme celle-là soit encore l’occasion pour le marketing de véhiculer des stéréotypes sexistes en 2018… C’était trop », explique-t-elle.
#8mars : La journée des droits des femmes est une nouvelle fois l’occasion pour les marques de nous bombarder de messages publicitaires & promos HS.Voici un fil des Pépites que vous m’avez envoyées (attention risque de facepalm).On commence avec @LeclercBonPlan @Nocibe et Dodo
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L’idée avait déjà germé dans son esprit lors de ses études de marketing, terminées deux ans plus tôt. On ne lui y a pourtant jamais appris à éviter les stéréotypes. Ce sont les discussions avec sa sœur jumelle qui lui « ouvrent les yeux sur les problèmes de la séparation genrée des produits et l’impact des stéréotypes » véhiculés par le marketing. « C’est elle la féministe de nous deux, elle m’a un peu tout appris ! », plaisante Marion.
Son diplôme en poche après un mémoire sur le sujet, elle cherche un moyen d’agir à son échelle. Des associations comme Les Chiennes de garde ont déjà fait du sexisme dans la publicité leur cheval de bataille mais, l’après-#metoo aidant, la jeune femme est convaincue que les réseaux sociaux sont une arme puissante dont il faut se servir pour dénoncer d’une même voix un certain marketing, qu’elle qualifie volontiers de fainéant.
« Les marques, quelles qu’elles soient, sont de plus en plus présentes sur les réseaux sociaux pour attirer de nouveaux clients ou fidéliser les anciens. Une personne qui leur envoie un mail a peu de poids, mais des milliers qui les interpellent sur leur image publique créent une pression très forte. Cela facilite les prises de conscience. »
Les signalements sur son compte personnel ont cependant trop peu d’influence, elle crée donc @PepiteSexiste dans l’espoir qu’un compte anonyme à la vocation explicite pourra « fédérer une communauté ». Elle passe les premiers mois à traquer elle-même les « pépites », et les premiers « buzz », comme le signalement d’ateliers de Center Parcs pour « les garçons courageux et les gentilles petites filles » ou d’affiches présentant des femmes dénudées pour vendre de l’essence dans un Super U de l’Indre, font connaître son action. Son pari est gagné. Marion n’a désormais plus qu’à relayer ce que les internautes lui envoient. « Je croule sous les messages », confie-t-elle, aussi coupable que satisfaite de ne plus avoir le temps de tous les lire, même en ne travaillant plus et en se consacrant à @PepiteSexiste à plein temps. Tous réseaux confondus, ses comptes sont désormais forts de 80 000 abonnés.
« Le pire, ce sont les stéréotypes »
Dans sa ligne de mire, on trouve, évidemment, le marketing reposant sur l’objectification des femmes, à l’image de ces affiches pour une veste ou une doudoune portée par une femme à moitié nue (et les mêmes par un homme entièrement vêtu).
Une étude du Conseil supérieur de l’audiovisuel réalisée en 2017 montrait que 67 % des publicités sexualisées mettaient en scène des femmes, et que les femmes étaient aussi plus nombreuses que les hommes à apparaître nues, ou partiellement nues, dans des publicités. « Derrière ça, il y a l’idée, aussi dégradante pour les femmes mises en scène que pour les hommes ciblés par les pubs, que le sexe ferait vendre, même pour du carrelage. C’est déplorable pour l’égalité, et ce n’est même pas bon d’un point de vue marketing ! » assure Marion.
Mais ce n’est pas le combat le plus difficile, à en croire la jeune femme. « Le pire, ce sont les stéréotypes, surtout ceux qui touchent les enfants », assure-t-elle. Un rapport sénatorial dénonçait en 2014 cette tendance croissante du marketing à différencier les jouets filles et garçons depuis les années 1990 dans le but de vendre davantage (voire de vendre plus cher un article dans sa version féminine que dans sa version masculine), tout en exploitant et en pérennisant des stéréotypes et des inégalités plus marqués encore que dans le monde réel.
« Le marketing façonne notre vision du monde, même si c’est de manière plus passive que la famille ou l’école. Seriner sur des tee-shirts qu’une petite fille est jolie et râleuse quand un garçon est fort et intelligent, montrer des filles sur les boîtes de dînettes et des garçons sur les kits du parfait chimiste, ce sont autant de stéréotypes qui s’impriment dans l’esprit des enfants et sont au fondement même des inégalités que l’on retrouve dans le couple ou dans le monde du travail. »
“glamour queens” ou “champions”?Non vous ne rêvez pas, @migros a réussi à genrer des soupes, en mettant les stéréotypes qui vont bien, évidemment(Pépite repérée par @lousarabadzic @madhucapelli)
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Comme souvent sur les réseaux sociaux, les critiques sont violentes. Quand elle épingle – jusqu’à la faire retirer – la publicité d’un centre commercial de Roubaix qui fait campagne pour les soldes à coup de « Seulement 4 mots peuvent rendre leur sourire aux femmes : “Je t’aime” et “Soldes” », on lui reproche sa « paranoïa », son « manque d’humour ». Lorsque @PepiteSexiste montré du doigt une différenciation filles-garçons dans les rayons de jouets, on raille la « futilité » de son action et on lui suggère de s’engager pour de « véritables causes » comme l’excision ou l’égalité salariale. Loin d’ébranler son féminisme, ces attaques la font sourire. Elle les comprend même :
« Bien sûr que les stéréotypes peuvent paraître anecdotiques à côté de la lutte contre les violences ! Certains me disent “ça ne fait de mal à personne”, et, au sens littéral, c’est vrai. Mais c’est un continuum, les luttes féministes ne se segmentent pas. Les stéréotypes et les images dégradantes de femmes dont se sert le marketing participent des violences que subissent les femmes. »
Une “mini-vaisselle” pour faire “comme maman” @IKEA_France on est en quelle année selon vous ? Les autres dites rien ;)
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Changer les réflexes du marketing
Marion est néanmoins optimiste. « De nombreux directeurs marketing suivent @PepiteSexiste, des marques me disent qu’elles espèrent ne jamais être taguées sur ma page, d’autres, de ne pas hésiter à leur signaler les problèmes… Beaucoup sont réceptives », explique-t-elle, même si certaines marques, y compris des grandes, font encore la sourde oreille.
La jeune femme voudrait maintenant aller plus loin. Au mois de mars, elle a fait de @PepiteSexiste une association, pour laquelle elle recrute des bénévoles qui allégeront un travail qu’elle peine à faire seule, et que la reprise d’une activité professionnelle salariée rendra définitivement impossible à assumer à temps plein. Elle souhaite aussi créer un site où les internautes pourraient retrouver toutes les « pépites » ainsi que des ressources plus pédagogiques sur le sexisme et les stéréotypes de genre.
« On est tous ou presque sensibilisés à l’égalité hommes-femmes, mais il manque encore une éducation aux stéréotypes », estime Marion, qui n’aurait rien contre l’idée d’en faire un nouvel axe de son engagement pour changer les réflexes du marketing. Elle qui a longtemps voulu rester anonyme est aujourd’hui conviée au ministère de l’économie pour parler avec les industriels du jouet, et est ravie que des enseignants se servent de son compte pour sensibiliser leurs élèves.
Envisagera-t-elle alors des actions en dehors du seul champ d’Internet ? Elle rit. « Je suis aussi cette fille qui interpelle les responsables des rayons dans les magasins quand je vois le même article décliné en rose et en bleu, avec le rose plus cher », précise-t-elle. Il n’est pas impossible que d’autres osent en faire de même en sachant qu’ils ont le soutien d’au moins 80 000 personnes, fussent-elles sur les réseaux sociaux.
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