Un rapport parlementaire livre un diagnostic alarmant sur la situation de la psychiatrie en France : la prise en charge des patients est décrite comme « catastrophique ».
C’est un rapport d’initiative parlementaire dont se serait sans doute bien passée la ministre de la santé, Agnès Buzyn. A quelques jours d’une nouvelle journée d’action des personnels paramédicaux des urgences en grève, et quelques mois seulement après des mouvements sociaux d’ampleur dans plusieurs établissements psychiatriques, les députées Caroline Fiat (La France insoumise, LFI, Meurthe-et-Moselle) et Martine Wonner (La République en marche, LRM, Bas-Rhin) livrent, mercredi 18 septembre, un diagnostic explosif de la situation de la psychiatrie en France. « Ce rapport est avant tout un manifeste politique et un cri d’alarme », expliquent les deux élues.
Sans être véritablement inédit, tant les rapports et alertes sur le sujet se sont accumulés ces dernières années, les constats de la mission d’information sur « l’organisation territoriale de la santé mentale » sont très forts. Cette organisation y est qualifiée d’« inefficiente » et d’« inefficace », la filière psychiatrique publique est jugée « au bord de l’implosion », et la prise en charge des patients est décrite comme « catastrophique ». A l’issue de plusieurs semaines d’auditions de soignants et de patients à travers tout le pays, les deux femmes se demandent même si « l’hôpital psychiatrique, tel qu’il existe aujourd’hui en France, peut (…) encore soigner les malades ».
A l’exception de la nomination en avril du professeur Frank Bellivier au poste de délégué ministériel à la psychiatrie, saluée comme une « excellente décision », Caroline Fiat et Martine Wonner ne disent rien des mesures prises depuis janvier 2018 par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, pour tenter d’améliorer la situation de la psychiatrie. Pour les deux élues, les problèmes sont « identifiés », les solutions sont « connues » et « ce qui a manqué jusque-là, c’est une volonté politique suffisamment forte pour faire changer les choses de manière radicale ».
« Millefeuille indigeste » de structures et d’acteurs
Le constat tout d’abord. Soixante ans après sa mise en place, le « secteur », qui structure géographiquement la prise en charge psychiatrique en France, est jugé en « échec ». Au fil des années, le système s’est petit à petit complexifié, devenant progressivement un « millefeuille indigeste » et « illisible » de structures et d’acteurs. Conséquence : « une incompréhension totale du dispositif de la part des patients et de leurs familles », relèvent les députées.
Les centres médico-psychologiques, censés proposer une aide au plus proche du domicile du demandeur, sont saturés.
Le parcours de soins est devenu pour les patients et leurs familles un « parcours du combattant » et un « labyrinthe » à l’intérieur duquel ils se perdent. Outre sa complexité, l’offre de soins est devenue « hétérogène et incohérente », relèvent Mmes Fiat et Wonner. « A moyens équivalents, les pratiques peuvent parfois être extrêmement différentes », comme par exemple le recours à la contention dans les établissements psychiatriques.
Autre constat : les centres médico-psychologiques (CMP), censés proposer une aide au plus proche du domicile du demandeur, sont saturés. Dans ceux destinés aux enfants, le délai d’attente serait d’un an en moyenne. Dans certains de ces centres, les « familles viennent de départements limitrophes et sont prêtes à faire régulièrement plus d’une heure de trajet afin d’obtenir un rendez-vous pour leur enfant ». Si les CMP souffrent d’un tel manque de moyens humains, c’est bien souvent parce que ces moyens ont été progressivement retirés au profit de l’hôpital, « où les coûts sont incompressibles, notamment les coûts immobiliers ».
Conséquence indirecte : les urgences psychiatriques deviennent la porte d’entrée du système et se retrouvent engorgées, au détriment des patients et des soignants. « Face à l’impossibilité d’avoir rendez-vous au CMP ou chez un psychiatre libéral au début de la crise, en particulier le soir et le week-end, les patients se retrouvent inévitablement aux urgences, puis hospitalisés, alors que la crise, si elle avait été traitée en amont, aurait pu être évitée », indiquent Caroline Fiat et Martine Wonner.
« Suroccupation » des lits
Autre indicateur dans le rouge : la croissance – jugée « sans précédent » par le contrôleur général des lieux de privation de liberté – du nombre d’hospitalisation sans consentement. Mille patients supplémentaires ont été hospitalisés sans consentement entre 2017 et 2018, selon les chiffres de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH). « L’augmentation de ces hospitalisations sous contrainte est l’une des raisons de la pression qui pèse aujourd’hui sur l’hôpital psychiatrique public », relèvent les députées.
« A quatre dans une chambre, comment stabiliser un patient ? », a demandé un soignant lors d’une audition.
Quelles réponses apporter à la crise ? Faut-il augmenter les budgets, accroître le nombre de soignants, voire rouvrir des lits, comme le demandent des personnels soignants ? Alors qu’entre 1990 et 2016, le nombre de lits d’hospitalisation pour 100 000 habitants a baissé de moitié, la France continue de se situer dans la moyenne haute des pays de l’OCDE.
Confrontés à l’afflux de patients, certains hôpitaux connaissent une « suroccupation » des lits. A l’hôpital Pinel d’Amiens, le taux d’occupation des lits en hospitalisation à temps complet s’est par exemple établi entre 114 % et 123 % à certains moments de l’année 2017, relève le rapport. « A quatre dans une chambre, comment stabiliser un patient ? », a demandé un soignant lors d’une audition.
Une « augmentation des lits et celle du nombre de soignants à l’hôpital psychiatrique sont, à court terme au moins, une nécessité absolue », estime Caroline Fiat, en désaccord avec Martine Wonner, pour qui cela ne ferait, « au contraire, que reporter les tensions de quelques années ». Mais les deux parlementaires s’accordent sur le fait qu’à long terme, « rajouter des lits d’hospitalisation et des moyens humains à l’hôpital psychiatrique ne suffira pas ». Dès lors, « la réponse ne se trouve pas dans l’hôpital mais en dehors de l’hôpital ». D’ici une dizaine d’années, plaident-elles, 80 % des moyens du personnel de l’hôpital public devraient être consacrés à la prise en charge en ambulatoire, c’est-à-dire sans hospitalisation.
Autre mesure, déjà prônée par Pierre-Michel Llorca et Marion Leboyer, auteurs en 2018 de Psychiatrie : l’état d’urgence (Fayard, 2018), et plus récemment par l’Académie nationale de médecine : mettre en place une agence nationale en charge des politiques de santé mentale, sur le modèle de ce qui avait été fait pour lutter contre le cancer avec la création de l’Institut national du cancer (INCA). Un dispositif dont le coût serait « modeste » au regard des milliards d’euros induits chaque année par les maladies psychiatriques.
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