Pour la pédopsychiatre et psychanalyste Myriam Szejer, on ne mesure pas bien « les répercussions sur les enfants » qui « n’en sortiront pas indemne sur le plan psychique ».
Pédopsychiatre et psychanalyste, Myriam Szejer exerce dans des maternités depuis 1990. Elle est actuellement psychiatre référente au centre de procréation médicalement assistée de l’hôpital Foch. Disciple de Françoise Dolto, elle préside l’association La cause des bébés qui regroupe des professionnels de la périnatalité et de la petite enfance.
Vous avez fait part de vos réserves sur l’extension de la PMA aux femmes seules lors de votre audition devant les membres de la commission spéciale sur la bioéthique. Quels risques soulignez-vous ?
Je travaille depuis vingt-cinq ans dans des maternités et aussi avec des enfants abandonnés, nés sous le secret, et je suis convaincue qu’il faut qu’on parle aux enfants de leurs origines, qu’on leur raconte les circonstances de leur conception pour qu’ils puissent se situer dans un récit familial. C’est ce que la loi prévoit et je m’en réjouis. Mais les rencontres cliniques que j’ai faites m’ont conduite à la conviction que l’intérêt des enfants est rarement pris en compte lors des recours à des tiers étrangers qui permettent à des adultes de devenir parents.
Envisager la bioéthique du côté de l’enfant n’est pas chose facile. Le projet de loi met dans un même sac les femmes homosexuelles et les célibataires, sans nuance, ce qui crée l’amalgame. Lors de notre audition devant la commission, nous étions trois pédopsychiatres auditionnés, et nous avons tous fait part de nos doutes. Les députés étaient d’ailleurs assez étonnés de cette unanimité, mais je ne sais pas si elle sera prise en compte lors de l’examen à l’Assemblée. En substance, nous avons expliqué qu’à partir de notre clinique, nous estimons que l’autorisation de la PMA pour les femmes seules n’est pas sans conséquence sur les enfants qui naîtront dans ce cadre. Cela aura des répercussions sur les enfants qu’on ne mesure pas bien, mais ils n’en sortiront pas indemnes sur le plan psychique.
Que sait-on de la construction des enfants, fruit d’un projet parental solo, qui composent ces familles aujourd’hui ?
J’ai en effet pu observer que les femmes seules qui accèdent à la maternité grâce à un don de sperme portent souvent une culpabilité, qui peut être consciente ou inconsciente, de ne pas avoir donné de père à l’enfant. Cela entraîne chez elles une fragilité, une anxiété qui se transmettra très probablement à l’enfant. Donnons un exemple. Il est très important pour ces femmes de penser qu’elles sont de très bonnes mères, des éducatrices formidables.
Or, à mère parfaite il faut un enfant parfait, ce qui est une vraie tyrannie pour lui. Elles font souvent preuve d’une rigidité pédagogique, d’une exigence particulière pour éviter que la particularité du mode de conception puisse être questionnée. Je pose donc la question : ne joue-t-on pas les apprentis sorciers en ouvrant la PMA aux femmes seules ? Je souligne le risque qu’à leur adolescence, âge auquel la question de la famille est réactivée, ces enfants soient assez difficiles parce qu’ils n’auront pas de père à qui se confronter, et ce sera à la mère, seule, de faire face.
Pourtant, les études menées à l’étranger, dans les pays où la PMA est ouverte à toutes les femmes depuis plusieurs années, ne font pas état de difficultés particulières…
Ces études sont pour la plupart réalisées par des chercheuses militantes, ce qui interroge leur neutralité. Sur la méthode, elles sont réalisées à partir des réponses des parents ou sur des enfants jeunes. Ils sont pris dans un système de loyauté ; bien souvent, ils ne peuvent pas se dire à eux-mêmes que quelque chose ne va pas. Je pense qu’il faut attendre de voir comment évoluent ces enfants lors de l’adolescence, et quand ils deviendront eux-mêmes parents. Il faudra aussi observer les effets sur plusieurs générations : s’ils s’en sortent, comment leurs propres enfants vont s’arranger avec cet ancêtre trou ?
Quelles sont les difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées ces mères ?
Etre seule pour élever un enfant est dur, l’absence de tiers entraîne un face-à-face souvent fusionnel, très difficile à éviter. Le risque est que l’enfant prenne la place du père, ce qui commence très tôt par l’exigence de prendre sa place dans le lit.
Ces femmes qui font le choix de faire des enfants seules, par PMA à l’étranger aujourd’hui et en France demain, revendiquent la présence de référents masculins dans leur entourage qui peuvent remplacer la figure paternelle. Est-ce illusoire à vos yeux ?
Les référents masculins de leur entourage sont très incertains, et ne remplaceront jamais un père au quotidien, même absent. C’est le tiers dans sa présence charnelle qui manque, ce que les enfants expriment très bien en demandant « où est mon père ? ».
Le père est une notion très complexe, pas seulement une question juridico-sociale. Le père s’inscrit dans une histoire, celle de la famille paternelle, de la rencontre des parents. Ces femmes disent que la question du père est présente pour elles, elles ne le nient absolument pas. D’ailleurs toutes disent qu’elles n’ont pas trouvé le bon conjoint, et qu’étant à un âge où la fertilité baisse elles ont choisi de faire un enfant sans, mais il s’agit rarement d’un choix excluant délibérément le père. Beaucoup font le pari qu’un hypothétique conjoint futur puisse reconnaître l’enfant, ce qui est loin d’être garanti.
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