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Devant le collège de Conflans-Sainte-Honorine où
enseignait Samuel Paty, le 16 octobre.
Photo Bertrand Guay. AFP
TÉMOIGNAGES
Le choc, la colère, puis le temps des questions. Que peuvent dire les enseignants à leurs élèves après l’assassinat d’un des leurs ? Comment adapter leur discours selon l’âge ? Et, plus globalement, comment aborder avec eux des sujets sensibles ? Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie dans un collège tranquille de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), a été tué il y a quinze jours pour avoir montré, dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, des caricatures de Mahomet à ses élèves de quatrième. Lundi, alors que les écoles, collèges et lycées rouvrent en plein confinement, les enseignants vont retrouver leurs élèves, avec qui ils observeront une minute de silence en hommage à Samuel Paty.
Avant ce retour en classe si particulier, Libération a tenu à offrir une tribune à ces enseignants qui exercent dans toute la France, du primaire au lycée. Ils ont accepté d’écrire pour défendre un métier souvent méprisé, et pourtant jugé indispensable pour guider de jeunes esprits vers la connaissance, un rempart contre l’obscurantisme et les fake news. Les enseignants le savent : le savoir est la meilleure arme face aux idées fausses et aux préjugés.
Devenir enseignant, c’est devenir incompris
Par Alexis Potschke 31 ans, professeur de français dans un collège de la région parisienne
Il y a ce moment que redoutent tous les enseignants dès lors qu’ils s’aventurent en dehors de leur maigre zone de confort - à l’occasion d’un repas de famille, d’un verre avec des inconnus - ; ce moment où votre métier en est réduit à de vagues préjugés. Pour les uns, vous êtes au mieux un fainéant qui n’enseigne que pour profiter des vacances, au pire un lâche, habitué à faire profil bas ; d’autres vous disent, clichés à l’appui mais croyant vous faire plaisir, qu’ils ne pourraient pas faire votre travail quand ils apprennent que vous enseignez en banlieue, ou alors remettent en question le bien-fondé de vos séquences patiemment préparées, pensant secrètement, mais sans vous le dire, que vous êtes un idiot. A ce moment, vous savez que la soirée est gâchée. Tout en vous mordant les joues, vous apprenez à ne plus réagir que lorsqu’on attaque vos élèves : pour vous-même, c’est peine perdue. Le mépris, c’est l’ordinaire des enseignants. Et puis, le mépris, c’est visqueux, c’est contagieux. A la fin, tout le monde se sent en droit non pas de discuter ou de réfléchir avec vous, mais de vous faire la leçon.