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vendredi 19 avril 2024

Polar «Peines perdues» : en prison, une jungle avec ses lois




par Didier Arnaud   publié le 2 avril 2024

Pour écrire son nouveau roman, Nicolas Lebel a sollicité d’anciens détenus et matons afin qu’ils lui racontent les conditions d’incarcération en France, cela donne un polar au plus près du réel.

Tout commence par un accident. Théo Pereira a renversé une femme en voiture, un soir de pluie. Il a percuté un abribus où elle s’était abritée. Elle meurt dans ses bras. Cette femme avait un mari, qui ne s’en est toujours pas remis. Pierre Moulins, tous les mois, rend visite à Théo, le «meurtrier» de sa femme, afin qu’il lui raconte, encore et encore, les circonstances de ce drame. En échange, il lui promet de faire tout son possible pour appuyer un témoignage en faveur de sa libération. Mais le deal s’avère être un marché de dupes, car le veuf paie un prisonnier, brute épaisse, pour tabasser «le meurtrier» de sa femme et lui faire vivre un enfer.

Nicolas Lebel, avec Peines Perdues, nous embarque dans l’univers du pénitencier de Brueghel. «Il y a un règlement dans cette cage, un ordre des choses qui s’apprend sur le tas, le plus souvent dans la douleur […] La loi de la jungle reste une loi, avec des articles très clairs. D’abord, ce qui lie le détenu à l’extérieur est effacé, nié. Plutôt, les cartes sont rebattues. Ton passé, ta famille, ta classe sociale, ton boulot n’intéressent personne. Que tu aies été trader ou cordonnier, tu ne vaux pas mieux que le type de la cellule voisine, alors évite de te la jouer seigneur visitant les gueux […].» Lebel excelle à décrire les stratégies d’évitement, les tactiques de survie quotidienne, les alliances qui se nouent. Il parle aussi bien des matons et de leur difficulté à évoluer dans cet enfer. Et voilà la brute, Marco. «On remarque chez lui son nez d’aigle, ses joues creusées, son menton saillant, un visage tout en angles comme un Picasso peint sous crack, dur et froid, qui force les spéculations les plus sordides quant à son enfance, son expérience, son pedigree. Il est notoire que Marco a monté plusieurs braquos à Marseille, des petits d’abord […] puis de plus gros. Sans un seul blessé. Il s’est fait gauler au cours de ce qui devait être son dernier et plus beau coup. Sur radio-prison, le bouche à oreille local, on dit qu’il a été balancé. On dit aussi qu’il a planqué le fric. Beaucoup […].»

Justice réparatrice

Ce n’est pas tendre, la vie en prison. Il y a des morts, des gens qui se vengent, et souvent pas de quartier. «Comme au XIXème siècle, on enferme ici les aliénés. Les plus faibles sont martyrisés. Les plus forts, déjà très loin dans leur psychose, continuent d’attaquer détenus et surveillants, et sont mis à l’écart au mitard, en attendant un improbable transfert vers une unité de soins. Qu’ils appartiennent à la première ou seconde catégorie, ils ressortiront plus violents et dangereux qu’en y entrant.»

Pour écrire cette fiction, Nicolas Lebel a sollicité d’anciens détenus et matons afin qu’ils lui décrivent ces conditions d’incarcération «horribles en France», condamnées par l’Europe. «Je voulais creuser cette idée de travailler sur le roman noir comme une extension de la tragédie, explique-t-il à Libération. Pierre Moulins est l’illustration de cette justice réparatrice «qui permet de faire se rencontrer meurtrier et victime, de favoriser le pardon ou l’échange, cette communication qui a des vertus curatives. J’utilise ce procédé positif pour le pervertir et détruire l’auteur des faits incarcéré.»

L’importance des matons

Selon Nicolas Lebel, «les violences en prison sont tues, la connivence de mauvais garçons face à l’autorité dessert l’ensemble des gens qui y passent. Des suicides, des assassinats, souvent, les gardiens s’en veulent de pas avoir perçu les signes. Ils ont, dans le roman, ce rôle de chœur du théâtre antique. Ils arrivent à voir des choses, renseignent les spectateurs, donnent leur point de vue. Ils sont là pour organiser ce monde de l’intérieur où règnent violences, vols et agressions. Les matons musclés viennent établir une discipline militaire, mais la prison les dévore.»

L’auteur explique aussi que sont venus beaucoup, dans les échanges, «ces souvenirs sensuels, ces odeurs de la prison, des images et des gens, le regret d’une personne suicidée, ou l’impossibilité d’aider. Il y a dans l’esprit des gardiens, toujours, une personne qui restait dont ils se demandaient ce qu’elle était devenue… Des gens qu’ils avaient oubliés. Les matons de mon ouvrage sont importants, déterminants dans la restauration de l’ordre. Ils se disent : “On a assez laissé faire. On va reprendre le contrôle.” Ce faisant, ils nourrissent le chaos, font condamner un innocent. La prison te remodèle un individu. Passé quinze ans en cabane, les gens t’ont oublié, ton monde d’avant n’existe plus. L’heure de réveil, celle de sortie, tout est organisé. La prison met les gens dans un cadre, avec le rendez-vous du repas, la sortie dans la cour. En dehors des murs sans cadre, la question se pose : qu’est-ce que tu fais de toi ? Tu perds tes repères, il te faut retrouver une routine. Les surveillants ont aussi une vie extérieure et vivent dans la ville où ils côtoient ceux qui sont sortis.»

Peines perdues de Nicolas Lebel, le Masque, 350pp,

 

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