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samedi 20 avril 2024

Interview Attaque au couteau à Souffelweyersheim : «On voudrait toujours qu’il y ait des paroles miracles qui rassurent les enfants, mais il n’y en a pas»

par Alexia Lamblé   publié le 19 avril 2024 

Au lendemain de l’attaque près d’une école en Alsace, la psychanalyste Claude Halmos analyse auprès de «Libération» les conséquences de ces épisodes de stress intense pour la santé mentale des enfants et les manières de les accompagner.

Après l’attaque aux abords d’une école à Souffelweyersheim, en Alsace, et le décès d’une adolescente victime d’un malaise cardiaque alors qu’elle était confinée dans son école, ce jeudi 18 avril, la psychanalyste Claude Halmos revient sur les conséquences que ces situations peuvent entraîner chez les enfants.

Quelles angoisses les attaques, les confinements au sein des écoles et les exercices de sécurité peuvent engendrer chez un enfant /adolescent ?

Les événements de jeudi constituent pour les enfants un traumatisme, c’est-à-dire un événement extrêmement violent qui arrive brutalement et qui comporte un danger de mort réel. Un traumatisme – que l’on soit adulte ou enfant – est quelque chose de trop important pour que le psychisme puisse s’en débrouiller normalement. Le psychisme fonctionne en effet à la façon d’un compteur électrique : il peut supporter une certaine charge, mais au-delà il saute. Face à un traumatisme, il se protège donc par ce que l’on appelle la dissociation : il fait en sorte qu’une partie de ce qui est vécu ne parvienne pas à la conscience, et reste dans les émotions et dans le corps. Cette partie reviendra ensuite sous forme d’angoisse, de cauchemar, de phobie ou dans certains cas d’excès de violence. Les enfants ont vécu jeudi dans la réalité une situation (quelqu’un qui débarque avec un couteau) qui arrive normalement dans les cauchemars : ce n’est pas supportable. En plus, ils l’ont vécu dans un lieu qu’ils pensaient protégé et qui désormais, pour eux, ne le sera plus.

Il y avait pourtant des adultes autour d’eux…

Ils étaient entourés d’adultes, certes, mais ces adultes, inévitablement, avaient peur. Or le calme d’un adulte, qu’un enfant sent toujours, le rassure car il met une limite à son angoisse ; alors que, si même les grandes personnes ont peur, cela redouble son angoisse. De plus, rassurer les enfants revient habituellement à l’éloigner de ses fantasmes, en le ramenant à la réalité. Or là, c’est la réalité qui est effrayante.

Comment accompagner les enfants après ces actes en tant qu’enseignant ou parents ?

Il y a eu tout de suite, certainement, des enseignants qui se sont mobilisés, une cellule psychologique mise en place, ce qui a permis aux enfants de parler. Mais il faut avant tout les écouter, car ce qu’ils pensent est souvent très inattendu et très étonnant, pour les adultes. Il est important de leur dire que tout le monde est bouleversé, même les «grandes personnes», et que c’est normal. Et en discuter en groupe, avec chacun d’entre eux. Préciser que ce qui s’est passé est atroce, mais exceptionnel. Ensuite, il faut savoir que l’on voudrait toujours qu’il y ait des paroles miracles qui rassurent les enfants, mais il n’y en a pas. Mais que, en revanche, on peut les accompagner, être là, même physiquement, en mettant un bras autour d’eux pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls. Et c’est petit à petit que l’on peut, à l’école ou en famille, rassurer un enfant, en étant à l’écoute tous les jours. Souvent, ce sont les enfants qui tendent la perche pour qu’on leur parle. Ils ne disent pas forcément ce qu’ils ressentent, mais le manifestent par une parole, un dessin…

Les exercices de sécurité dans les écoles, se font sous le «jeu du silence» pour ne pas rendre la situation stressante. Existe-t-il une solution plus douce pour confiner les enfants sans trop de stress dans les écoles ?

C’est un rêve que l’on aurait tous : faire, dans un monde de violence, des bulles de douceur pour les enfants. Quand un danger survient et qu’il faut tout de suite confiner les enfants, on n’a pas le temps de les préparer avec douceur à ce que l’on va devoir faire, et on ne peut pas le leur cacher. La seule chose que l’on peut faire, c’est les préparer toute l’année à affronter les difficultés, leur donner le plus d’éléments pour construire des armes intérieures pour qu’ils aient moins peur, pour qu’ils se sentent plus solides, et surtout pour qu’ils se sentent avec les autres, dans une entraide. Parce que, dans l’instant où un événement traumatique survient, on est toujours dans une solitude radicale, même s’il y a mille personnes autour. De plus, le jeu du silence est un mensonge (face à un danger réel, on ne peut pas jouer). D’autant plus grave qu’il peut montrer à l’enfant que les adultes peuvent le tromper (pour son bien) : comment pourrait-il dès lors leur faire confiance ? De plus, ce «jeu» supposerait des adultes capables de «rester zen», en n’éprouvant aucune émotion dans une situation de ce genre : c’est impossible.

Quelles sont les conséquences psychiques que cela peut avoir sur le long terme pour les enfants ?

Le problème des angoisses, c’est qu’une fois qu’elles sont là, elles peuvent revenir à tout moment, d’autant que les traumatismes, quand ils surviennent, «réveillent» ceux que l’on a pu vivre précédemment. Mais il n’y a pas lieu de s’affoler pour autant. Car écouter l’enfant permettra alors de comprendre ce qu’il se passe, et d’y répondre. Et il faut que les parents sachent qu’ils ne sont pas obligés de tout comprendre tout seuls. Ils n’ont pas tous les mêmes expériences de vie, et donc pas tous les mêmes difficultés. Ils peuvent donc s’entraider. Si les parents s’entraident entre eux, si les enseignants s’entraident entre eux, si les parents et les enseignants s’entraident, et si tous écoutent les enfants, ils peuvent s’en sortir.


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