par Christine Angot, Ecrivaine publié le 12 avril 2024
L’humour-humiliation, c’est le type de «service public» que la télé française a rendu tous les samedis soir à la société pendant deux décennies, et qui se trouve aujourd’hui honorée des mains du Président quand il décore Ardisson. Une claque annoncée à l’époque par Baffie.
Deux années de suite, 1999, l’année de l’Inceste, 2000, celle de Quitter la ville, j’ai été invitée à l’émission de Thierry Ardisson, Tout le monde en parle, sur le service public.
A l’époque, je publie depuis dix ans, mais c’est la première fois que je suis invitée par des animateurs influents comme Pivot et Ardisson. Je me souviens avoir dit à mon éditeur «je suis à la mode ou quoi ?» Ça me faisait peur. Je craignais que ça fasse comme avec mon père que j’ai rencontré à 13 ans, et qui m’a alors reconnue. Il y a eu huit jours merveilleux, j’avais un père, la mention «de père inconnu» était remplacée sur le livret de famille par «née de Pierre Angot». J’étais enfin comme tout le monde, je portais le nom de mon père, il parlait trente langues, et appartenait à un milieu social supérieur à celui de ma mère. Au bout d’une semaine, il s’approche de moi, et m’embrasse sur la bouche. La honte est immédiate.
A l’instant où votre père vous embrasse sur la bouche, vous avez honte. Le lendemain, quand vous essayez de le dire à votre mère, et n’y arrivez pas, vous avez honte. De retour à l’école, quand vous dites à votre copine de classe que vous avez passé des vacances extraordinaires avec votre père, vous avez honte. Plus tard, quand des garçons attendent des filles à la sortie de l’école, et que, vous, vous rasez les murs, vous avez honte. La première fois que vous êtes avec un garçon, vous avez honte. Vous savez que vous n’êtes pas comme les autres. Vous avez honte tout le temps.
Lui, le père, il a honte ? Non, il est fier. Il se sent au-dessus des lois.
Vous imaginez une société où il y aurait de l’inceste, et où personne n’aurait honte ?
Non. La honte que vous portez est celle que lui n’a pas. C’est : «J’ai honte pour toi.»
Il faut bien que quelqu’un ait honte de l’inceste. Et ce sont les victimes qui la prennent sur leur dos.
«Tu m’écoutes sinon j’te claque»
1999, quand Thierry Ardisson lit ce qu’il appelle le pitch, «son père la forçait à manger des clémentines sur son sexe», les gens rient, David Hallyday, Clémentine Célarié… Lui : «C’est l’inceste hein ! Il la sodomisait.»
Il y avait toujours une belle fille qui ponctuait la parole de Ardisson et de Baffie, son acolyte, cette année-là, c’était Linda Hardy, qui me demande pourquoi je ne souris pas.
Etant donné le style de l’émission, mon éditeur de l’époque a considéré qu’on s’en était bien tiré. Quand Ardisson me réinvite en 2000 pour Quitter la ville, le livre ne marche pas et la presse n’est pas bonne. Et là, c’est la gifle.
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Ils lisent des phrases insultantes qu’il y a eu dans la presse, à propos de moi, et à connotation sexuelle. J’essaye de répondre. Baffie hurle : «Je suis en train de parler Christine : tu m’écoutes sinon j’te claque.»
La scène est dans mon film. Tout le monde peut vérifier.
Quand la belle fille de cette année-là, Sarah Marshall, dit : «Il y aura peut-être pas de prochain bouquin.» Là, c’est trop pour moi. Je m’en vais.
Ils n’ont pas changé d’époque
L’humour-humiliation, c’est le type de «service public» que la télé française a rendu tous les samedis soir à la société pendant tant d’années, et qui se trouve aujourd’hui honorée des mains du Président.
Dans un système où la respectabilité est indexée sur la richesse, la force, le pouvoir, ceux qui les détiennent ne peuvent que recevoir admiration, sourire, médaille, Légion d’honneur.
On a changé d’époque. Mais, eux, ils n’ont pas changé d’époque.
Ils expliquent leur comportement du passé par autres temps autres mœurs. Mais oui bien sûr.
Le duo de l’époque, c’était Ardisson-Baffie.
Là, le duo, c’est Ardisson-Macron.
Thierry Ardisson a reçu la Légion d’honneur le 11 avril de la main du président de la République. C’est une gifle.
Baffie l’avait annoncée : «Je suis en train de parler, Christine, tu m’écoutes, sinon j’te claque.» Macron la donne, la gifle.
C’est une gifle d’autant plus puissante qu’elle ressemble à celle du père. Ne dit-on pas qu’on est des enfants de la République ? C’est la gifle du père protecteur, en qui vous avez confiance, et qui vous bat. Ou qui vous viole, ou toute autre façon d’humilier son enfant.
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