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samedi 20 avril 2024

Gabriel Attal veut surveiller et punir : un recul pour les droits des enfants

 

par Edwige Chirouter, professeure des universités, philosophie de l’éducation, Nantes-Université  publié le 18 avril 2024

Les annonces sur l’autorité à l’Ecole du Premier ministre signent un retour à une éducation humiliante et dévastatrice. Une nouvelle gifle pour les enseignants et les chercheurs, selon la philosophe Edwige Chirouter.

Comme pour le droit des femmes ou des minorités, les enfants ont acquis tout au long du XXe siècle une vraie reconnaissance de leur statut de personne à part entière pleinement digne d’écoute et de respect. Les enfants sont des êtres humains à égalité de considération et des sujets de droits (mais pas de devoirs) et puisqu’ils sont encore vulnérables, les politiques publiques ont la responsabilité de leur offrir des espaces protecteurs pour qu’ils puissent grandir sereinement et acquérir les ressources intellectuelles et psychiques de leur émancipation.

La déclaration des droits de l’enfant, les progrès de la pédiatrie, la vulgarisation dans les mœurs des apports de la psychologie et de la psychanalyse, le développement de pédagogies plus coopératives et une éducation moins répressive ont permis aux enfants d’acquérir une place enfin digne dans nos sociétés contemporaines. La représentation de l’enfant a connu ainsi une révolution copernicienne dans notre culture occidentale : longtemps méprisés et invisibilisés (Montaigne écrit dans ses Essais qu’il a perdu «deux ou trois enfants non sans regrets, mais sans fâcherie»), notre modernité s’attache désormais à prendre soin de leur bien-être et de leur offrir une éducation ambitieuse et ouverte. Le développement d’une littérature de jeunesse, par exemple, qui aborde sans mièvrerie de grandes questions philosophiques avec beaucoup de subtilité et de poésie montre ce pari de l’intelligence et de la sensibilité enfantine. Claude Ponti a remplacé Martine dans de nombreuses bibliothèques !

Sur les notes d’une musique réactionnaire

Mais ça, c’était avant ? Hélas, comme pour le droit des femmes et des minorités, de sombres nuages semblent planer au-dessus des têtes de nos enfants. Sont par exemple de plus en plus nombreux les lieux où les enfants sont carrément interdits, car gênant la bonne tranquillité d’adultes qui ont les moyens de se payer ces espaces de discrimination des plus faibles… Plus grave, se fait entendre de plus en plus fort une musique réactionnaire qui nous fait revenir à des temps que l’on croyait (presque) oubliés, les temps du martinet et d’une éducation humiliante et dévastatrice. Les uniformes et les groupes de niveaux participent de ce retour de bâton conservateur.

Last but not least, les annonces de Gabriel Attal sur justement le «retour de l’autorité à l’Ecole» enfoncent le clou et signent la fin de la récré pour les progrès des droits de l’enfant et de l’humanisme : se lever quand le prof entre en classe, enfermement dans l’espace scolaire redéfini comme lieu punitif (Foucault se retourne ici dix fois dans sa tombe), inscription au fer rouge sur le front administratif des élèves «perturbateurs» de leur refus de se soumettre à une situation scolaire qui peut les reléguer à un futur qui d’avance les dégoûte. Pas d’angélisme, bien sûr les enfants font des bêtises et peuvent être cruels. Mais c’est évidemment par une compréhension fine et le respect de leur statut de mineur vulnérable qu’il faut résoudre un problème qui est le nôtre collectivement.

Mépris et casse des services publics

Notre société devient de plus en plus profondément inégalitaire et injuste. Cette dérive est le fruit d’une politique de droite libérale choisie et assumée qui casse les services publics, fait la guerre aux pauvres et empêche l’Ecole de fonctionner juste normalement et d’être une vraie oasis de fraternité et de joie d’apprendre et de grandir ensemble. Nous sommes très nombreux et nombreuses aujourd’hui à être très en colère pas seulement parce que le gouvernement méprise les résultats de la recherche universitaire, mais parce qu’il bafoue les valeurs fondamentales pour lesquelles nous avons choisi de faire notre métier d’enseignant·e·s de la maternelle à l’université. Nous n’avons pas choisi ce métier pour trier, stigmatiser, surveiller et punir nos élèves.

La prochaine étape risque d’être l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Tout dans la politique du gouvernement nous y prépare : mépris et casse des services publics, humiliation des plus faibles et des plus pauvres, discours réactionnaire et conservateur. Le pire n’est pas inéluctable, mais il en va de la responsabilité de tous les hommes et femmes de gauche de s’unir pour regagner la bataille culturelle et politique en commençant par défendre les plus vulnérables d’entre nous : les enfants.


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