16.12.2016
Est-il de moins en moins bon... Ou pas si mauvais que ça, finalement ? Pour Claude Le Pen, Guy Vallancien, Didier Tabuteau et Yann Bourgueil, le système de santé français reste une référence, mais ses défauts sont de plus en plus perceptibles. Et, si tous ne sont pas toujours d’accord sur la potion à administrer, chacun convient qu’il faut changer la donne. C’est le moment !
Cocorico ! En 2000 l’OMS désignait le système de santé français comme le meilleur au monde. 16 ans après la perception est plus contrastée. Mais il reste, malgré tout un modèle. Yann Bourgueil, directeur de recherche à l’Irdes, est souvent au contact d’observateurs étrangers : « On n’arrête pas de me dire qu’il se passe des choses extrêmement intéressantes en France, que notre système de santé mérite d’être observé et pourrait servir d’exemple », assure-t-il. Même écho chez Didier Tabuteau : « Notre système suscite beaucoup d’intérêt parce qu’il est très spécifique, il présente une vraie originalité en Europe », explique le responsable de la « chaire santé » de Sciences Po Paris. « Souvent, mes collègues étrangers me disent : il a tout pour ne pas fonctionner, et pourtant il fonctionne pas si mal », ajoute-t-il.
Des soignants au top.
Il y a peu de médicaments dont les Français sont privés
Claude LE PEN
Professeur d’économie à Paris-Dauphine
Car le système de santé français conserve des atouts pour bien figurer au niveau européen et mondial. Une de ses forces réside notamment, tous les experts s’accordent là-dessus, dans la qualité des soins et des soignants. « Nous avons des acteurs de qualité qui se défoncent et une formation qui est encore à un assez bon niveau », souligne le Pr Guy Vallancien, ancien chef du département d’urologie à l’Institut Montsouris. Cela se traduit par des résultats sanitaires plutôt bons qui s’appuient, entre autres, sur un système hospitalier dense. « Pour les malades, le système est très performant, vous êtes pris en charge rapidement », confirme Yann Bourgueil.
L’autre réussite du système, c’est son système d’assurance maladie universelle qui couvre beaucoup de dépenses et assure l’efficacité du système. « Il existe en France une prise en charge collective qui induit un reste à charge faible. Il n’y a pas de rationnement explicite des soins en France et un large accès à l’innovation, surtout pour ce qui est du médicament. Il y a peu de médicaments dont les Français sont privés », analyse Claude Le Pen, professeur d’économie à Paris-Dauphine.
Beaucoup de soins, pas assez de prévention ?
L’hôpital est l’échec d’un système de santé
Guy VALLANCIEN
Directeur de l’École européenne de chirurgie
Et, paradoxalement, les forces du modèle français révèlent sous un jour cru certaines de ses faiblesses. « La France a été une terre de santé publique avec les courants hygiénistes au XIXwe siècle. Aujourd’hui, on l’est moins, on a plutôt valorisé et payé le soin curatif et on est en retard sur la prévention », souligne Claude Le Pen. « L’hôpital est l’échec d’un système de santé. Cela veut dire que l’on n’a pas su prévenir ou traiter à temps avant d’y arriver », avance même Guy Vallancien. La prévention, un point noir en France ? « Nous sommes très performants pour les individus et moins en termes d’approche globale », explique Yann Bourgueil. « La politique de prévention en France reste plus rhétorique que réelle. Nous faisons de la prévention tertiaire, pour le cholestérol, l’hypertension artérielle, mais la prévention primaire est moins développée », détaille Claude Le Pen. Selon lui, « le message passe mal. On le voit avec la vaccination, le tabagisme chez les jeunes ou le suicide, par exemple ».
On voit parfois dans ces défauts la conséquence d’un système davantage axé sur le curatif que le préventif. Les experts critiquent également notre modèle pour son hospitalo-centrisme. Une caractéristique qui n’a pas toujours été une faiblesse mais le devient. « L’organisation de la médecine libérale ou le fonctionnement hospitalo-universitaire tels qu’on les connaît ont été performants en période de croissance des maladies aiguës. Mais, aujourd’hui, avec les enjeux d’efficience économique d’un côté et la modification des besoins avec les maladies chroniques de l’autre, cette organisation n’est plus adaptée », estime Yann Bourgueil. En France, la division entre ville et hôpital est tellement forte, que les grands moyens sont parfois nécessaires pour changer la donne : « Quand il faut que le législateur vote un article pour prévoir une lettre de sortie de l’hôpital, cela montre à quel point il y a une coupure entre la ville et l’hôpital. C’est une césure très préjudiciable », estime Didier Tabuteau.
Trop de pilotes dans l’avion
Cette division se retrouve d’ailleurs aussi dans la gouvernance du système. « L’état est le pilote incontestable de l’hôpital et l’assurance maladie, avec l’Unocam, celui de la médecine de ville. La convention médicale est négociée indépendamment des grandes orientations hospitalières », constate Didier Tabuteau. à tous les étages, la complexité, le manque de lisibilité des règles entre les acteurs mais aussi du fonctionnement général pour les patients sont vécus comme un talon d’Achille important. « Au-delà du côté suradministré, notamment à l’hôpital, le système est aussi très fractionné. Il y a beaucoup de caisses, beaucoup de régimes de santé différents hérités de 1945. Cela n’est pas forcément légitime alors qu’on a tous à peu près la même protection et qu’on paie tous la même CSG », remarque, pragmatique, Claude Le Pen. « Les tarifs sont également peu lisibles pour les profanes. Qui comprend le principe de franchise de 50 centimes avec récupération ? », ajoute-t-il.
Complexité du système de santé français générateur d’un autre problème : les inégalités d’accès aux soins liées à l’organisation sociale. « Il y a une dichotomie entre l’assurance maladie à vocation universelle et un pôle croissant pour les assurances complémentaires qui est très producteur d’inégalités », analyse Didier Tabuteau. Différences de couvertures inductrices de renoncements aux soins, mais aussi disparités géographiques... « On ne sait pas bien adapter l’organisation des interventions à des populations spécifiques. Dans certains quartiers, dans certaines zones, il faudrait se déplacer au domicile des personnes ou encore entamer des actions pour expliquer le fonctionnement du système de santé », estime ainsi Yann Bourgueil.
Autre tare du système, il coûte cher. « Avec d’autres pays, comme l’Allemagne, la Suisse ou les Pays-Bas, la France consacre entre 10 et 12 % de son PIB à la santé. C’est un système qui est en déficit, sous-financé, avec pas assez de ressources », diagnostique Claude Le Pen. Pour l’économiste, le modèle peine aussi par une régulation non durable : « Il est soumis à un régime amaigrissant mais sans restructuration, donc ce n’est pas pérenne. On essaie de maintenir la croissance du système autour de 2 %, mais pour cela, on recourt à des outils assez conjoncturels comme les tarifs. »
Vers un système « généraliste centré » ?.
Tout le monde est d’accord pour réorganiser, la difficulté réside dans le comment
Yann BOURGUEIL
Directeur de recherches à l’Irdes
Alors que faire pour améliorer l’équation ? « Aujourd’hui, des choses sont faites qui vont dans le bon sens, engagées par le gouvernement actuel comme par le précédent », souligne Yann Bourgueil. Et le chercheur de citer : virage ambulatoire, maîtrise des dépenses, meilleure définition des parcours de soins, réduction des inégalités d’accès, réorganisation des études de médecine... « Tout le monde est d’accord pour réorganiser, la difficulté réside dans le comment », estime-t-il.
Le virage ambulatoire ? Oui, à condition qu’il repose sur les acteurs, soutient pour sa part Guy Vallancien. Pour l’urologue, « il faut inverser complètement les choses et revenir à un système généraliste-centré. Et c’est à partir d’eux et des infirmiers, qui feront la veille sanitaire, que l’on pourra revoir les choses. Le généraliste est la clé de demain, c’est lui qui doit être le mieux payé », poursuit-il. Analyse très proche du côté de l’Irdes : « On désigne toujours les professionnels de santé comme les obstacles, les résistances au changement, mais il faut s’appuyer sur eux. S’ils sont le problème, c’est qu’ils sont la solution », considère Yann Bourgueil, qui voit d’ailleurs dans l’époque actuelle une opportunité de changer les choses : « On arrive à un stade au niveau démographique où il va y avoir une bascule en termes de générations. Celle du baby-boom part à la retraite et vont arriver des jeunes. Il faut s’appuyer sur eux. Prendre en compte la façon dont ils veulent travailler et les former dans ce sens ».
Regroupement des professionnels, meilleurs coordinations et parcours de soins devant, selon lui, permettre de rééquilibrer le rapport de force ville-hôpital. Encore faudrait-il aussi simplifier la gouvernance, suggèrent les experts, qui pour autant ne penchent pas tous pour la même solution. « Il faut que l’Unocam et l’état soient intégrés dans un pilotage unifié qui pour moi revient logiquement à l’état. L’assurance maladie doit être sous l’autorité du ministre », défend Didier Tabuteau. Quand Claude Le Pen imagine plutôt « un organisme de l’assurance maladie qui gérerait de manière conventionnelle à la fois les soins de ville et d’hôpital ». Pour mener la politique de santé, Guy Vallancien, quant à lui, verrait bien, sur le modèle US, un « Food and Drug Administration (FDA) à la française ». « Il faut créer un grand ministère qui regroupe santé, agroalimentaire et environnement avec trois bureaux. Le premier qui s’occuperait de la prédiction, de la prévention et de la veille sanitaire. Un autre pour la pertinence et la qualité de soins. Et le dernier pour la qualité des prestations et produits médicaux ».
Prendre en compte la dimension culturelle
Les professionnels ont tout à perdre à dépendre des complémentaires. L’interlocuteur naturel, c’est l’assurance maladie universelle
Didier TABUTEAU
Responsable de la « chaire santé » à Sciences Po
Changer de paradigme signifie aussi donner priorité à la prévention. Claude Le Pen préconise de « sortir du discours et de faire de vrais plans. Il faut mobiliser des acteurs avec des objectifs précis, des moyens, un responsable, des dates et des bilans », détaille-t-il ! Quant à la réduction des inégalités, certains préconisent de s’appuyer sur ce qui fait encore l’une des forces du système, son universalité. « Il faut que l’assurance maladie rembourse de mieux en mieux les soins. Les complémentaires ne doivent pas s’étendre, car, par nature, elles sont en concurrence. Les professionnels ont tout à perdre à dépendre d’elles. L’interlocuteur naturel, c’est l’assurance maladie universelle », assure Didier Tabuteau. Un avis grosso modo partagé par Yann Bourgueil : « Un système de santé, c’est aussi un réservoir de valeurs », affirme-t-il. C’est pourquoi il faut se méfier du copier-coller. Même si d’aucuns citent de bons exemples : la prévention dans les pays scandinaves, l’autonomie des hôpitaux en Angleterre et même les résultats du système cubain avec peu d’argent. « Il ne faut pas oublier que la santé est une question culturelle, avant même d’être technique ou administrative », rappelle Didier Tabuteau.
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