C’est une présence solaire, une grande tige blonde yeux bleus qui vous serre deux fois la main, qui sourit d’emblée jusqu’aux oreilles, qui semble portée par un courant d’air. Elle à 56 ans, elle en fait au bas mot dix de moins. L’interview devait durer une heure, elle dépasse les deux sans qu’on les sente passer tant elle est présente, parlante, éloquente. Maude Julien adore les animaux depuis l’enfance, elle a un tempérament de poulain, elle en a d’ailleurs les jambes, longues et nerveuses. Au total, exactement l’inverse de ce à quoi on s’attendait, une petite souris effacée et saturnienne. Et pour cause.
Maude Julien a vécu cloîtrée de 4 à 19 ans, séquestrée par ses parents, coupée de toute communication avec l’extérieur, dans une sorte de château entre Lille et Dunkerque. Ce kidnapping correspondait à un projet de son père, qui l’avait en tête… vingt ans avant sa naissance. Cet ex-chef d’entreprise prospère (dans le secteur automobile) se doublait d’un franc-maçon paranoïaque, persuadé que «l’homme est profondément mauvais et le monde profondément dangereux», d’où la nécessité de «préserver de la pollution des autres» sa fille dont il entendait faire «une élue», un «être supérieur» auquel reviendrait à un moment donné la tâche de «relever l’humanité». Il avait dans ce but choisi la mère, la fille d’un mineur qui la lui avait confiée enfant, en échange de l’assurance d’une bonne éducation. Il reviendrait à cette génitrice soumise de transmettre à l’enfant son savoir tout en relayant la pensée du père, ce rhizome de salmigondis jalonné d’interdictions tous azimuts et d’épreuves dignes d’un entraînement militaire. En vrac, on citera : rester en toute circonstance indéchiffrable («exercices d’impassibilité»), nager dans une piscine d’eau glacée, ne rien déplacer ne serait-ce que d’un millimètre dans «le château», rester seule et sans broncher, en pleine nuit, dans la cave où courent les rats, se laver (très rarement) dans l’eau stagnante du père, se charger du pot de chambre dans lequel il pisse. C’est bien simple, à la lecture de Derrière la grille qu’elle publie là, on se demande comment tout cela a seulement pu exister, et comment le produit d’un tel conditionnement a pu intégrer la société. On prévoit au minimum une agoraphobe, une empêchée, une flippée, une traumatisée. Une Natascha Kampusch, cette jeune Autrichienne enlevée et murée pendant huit ans dans un sous-sol par celui qui exigeait d’être appelé «Maître». Rencontrer Kampusch quatre ans après sa «sortie» (1) était une épreuve. Zombie en mode automatique, elle restait en partie coincée dans la bulle mur érigée en réponse à la folie de son geôlier.