blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mercredi 4 mai 2011

Neuropolice





Le fugitif est mort - L’image de l’homme qui court pour échapper à ses poursuivants, cette image ne veut plus rien dire. Ce n’est pas rien, une image qui meurt. Une vérité humaine disparaît, il faut en prendre la mesure. Fuir, pour quoi faire ?
  • Apeurement — Par Georges Marbeck Apeurement : n.m. (de apeurer), action délibérée d’une autorité consistant à semer la peur pour en tirer un profit politique et une réduction des
    libertés publiques.
    Inutile d’ouvrir le dictionnaire, le mot n’existe
    pas.

  • L'oeil absolu — Par Gérard Wajcman Sous le règne de la surveillance générale, l’OEil absolu, la tyrannie de la transparence, l’idéologie du Tout-Visible, notre monde hypermoderne décide que si tout le réel est visible, alors tout ce qui n’est pas visible n’est pas réel.
  • Vers une neurojustice — Par Catherine Vidal Administrer la preuve incontestable de la culpabilité de façon rapide et scientifique, sans mener d’enquête, est un vieux rêve policier depuis que le docteur Cesare Lombroso a inventé « les criminels nés » en 1876. Il anime toujours certains
    biologistes et les milieux sécuritaires.

  • Autonomie appliquée : comment résister à la surveillance générale ? Comme beaucoup, vous n’avez rien à vous reprocher, mais l’idée d’un oeil universel suivant le moindre de vos déplacements, catégorisant vos comportements comme « normaux » ou suspects, de puces RFID ou de futurs scanners rétiniens vous contrôlant à distance, vous semble insupportable – et vous ne le supportez plus ? Des méthodes simples et concrètes ont été expérimentées par divers groupes de résistants. En voici une sélection non-exaustive.

    Lire la suite ici




Lectures du rêve Monique Lauret

PUF


L’« acte » psychique du rêve est un acte riche et porteur de sens. Lire ce que dit le rêve permet au sujet d’élargir sa conscience en verbalisant une part de lui-même qui n’apparaît qu’en images. La lecture de cet « écrin » de la subjectivité qu’est le rêve est une recherche dans le passé-présent d’un individu, dans sa culture, qui a valeur d’une expérience archéologique, anthropologique et phénoménologique. Le rêve est ainsi cette « voie royale » qui mène vers la connaissance de l’inconscient vérité.
À partir de l’historique de l’Interprétation du rêve de Freud, Monique Lauret revisite les différents apports théoriques des continuateurs de l’œuvre freudienne : Ernest Jones, Melanie Klein, Hanna Segal, Wilfred R. Bion, Jacques Lacan…

Lire la suite ici

Les Livres de Psychanalyse

L'appel de la transe
Catherine Clément

6
Avril 2011 - Stock, Paris - Collection L'autre pensée

L'appel de la transe est un livre magnifique qui nous conduit aux frontières de l'inavouable : insaisissables et toujours indicibles, ces états de transe, d'éclipse hors de la vie que cherche tout être humain en quête de sens. Des cérémonies initiatiques à la crise d'hystérie, de la tentative de suicide au ravissement des sorcières, Catherine Clément explore avec érudition et simplicité ce que les civilisations ont proposé comme réponse à ce besoin de disparaître. La règle sociale et religieuse persécute ces êtres dont l'état limite inquiète. Des possédées de Loudun aux actuels chamans de Mongolie, des convulsionnaires de Saint-Médard aux Grecs d'aujourd'hui qui dansent sur les braises, l'auteur questionne dans des récits limpides les façons innombrables dont se sert le désir pour repousser les limites du corps. Elle montre comment le coup de foudre amoureux, l'anorexie, le rock, le rap, la réassignation sexuelle, l'érotisme ou les vampires du genre Twilight dévoilent cette petite mort de la transe, de l'Antiquité dionysiaque à nos jours.

Colloque Faire corps : articuler savoir et êtres au-delà de leur parallélisme moderne

Les 21, 22 et 23 octobre prochain se tiendra à Montréal un colloque international dont le thème est Faire corps : articuler savoir et êtres au-delà de leur parallélisme moderne
.  Ce colloque organisé par Calame - groupe de recherche psychanalyse et anthropologie historique réunira des conférenciers de différents horizons allant de la physique quantique à la philosophie, en passant par la psychanalyse, l’anthropologie et la médecine. Il s’agira de passer par le biais du corps (matériel, physique ou social) afin de réfléchir sur la façon que l’humain a de se penser et de penser la science. 

Les sciences modernes montrent des signes d’essoufflement. Elles semblent avoir atteint les limites de leurs capacités d’innover sans nuire; à l’encontre de la prescription d’Hipocrate : «D’abord ne pas nuire».

De plus en plus de disciplines, scientifiques et culturelles, même les plus en pointe, semblent vouloir se démarquer de la modernité. Elles le font avec une certaine discrétion. Nous avons décidé de rassembler ces disciplines dans un même colloque, afin qu’elles partagent leurs signes distinctifs et tracent, ce faisant, le tableau de leur épistémologie nouvelle.

L’élan premier nous viendra de la physique quantique et de son célèbre principe d’incertitude. Il bouleverse la physique moderne dans ses prétentions les plus ambitieuses à la certitude.  Il est curieusement possible, et ce sera un des buts de ce colloque, de retrouver le principe d’incertitude dans les sciences humaines sous des formes encore inaperçues.

Lire la suite ici
 

Alzheimer et la volonté de «ne pas vivre sans avoir toute sa tête»

Par ERIC FAVEREAU

C’était ce week-end à Rennes, lors du Forum de Libération. Olivier Saint-Jean, chef de service de gériatrie à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, s’interrogeait sur la question du respect, due à une personne âgée qui n’a plus toute sa tête. Respecter certes, mais qui ? Quand ? Et surtout respecter quelle personne, celle d’aujourd’hui ou celle d’hier ?

Et ce gériatre raconte une histoire : «C’est une femme qui nous avait toujours dit qu’elle ne voulait pour rien au monde vivre si elle perdait la tête. Elle nous l’avait dit avec insistance. Je l’ai revue. Elle était alors atteinte très lourdement de la maladie d’Alzheimer. Elle ne se souvenait plus de rien. Je la vois dans un atelier peinture, comme il y en a tant dans les maisons de retraite. Ces ateliers peuvent paraître toujours un rien grotesques. On lui prenait les doigts, on les mettait dans de la peinture, et après elle dessinait sur une feuille. Mais voilà, elle était heureuse, elle souriait comme tout.»

Qu’en déduire ? Une vie chasserait l’autre… «D’ailleurs, ajoute ce professeur de gériatrie, d’ordinaire plutôt pessimiste,je suis agacé par le catastrophisme autour de la maladie d’Alzheimer. Et nous, gériatres, nous en sommes un peu responsables. Nous l’avons toujours présentée comme un drame et une douleur absolue. Or, on le voit, ce n’est pas toujours le cas. Ce sont des petites démences, gentilles, qui vous accompagnent doucement en fin de vie.» Certes, mais dans son histoire, que faire, qui respecter ? Ecouter cette vieille dame qui a l’air toute heureuse en train de patauger dans sa peinture, ou bien respecter plutôt la volonté d’hier de cette personne quand elle avait toute sa tête. «A priori, explique Olivier Saint-Jean,
moi je retiendrais plutôt ce qui fait sens aujourd’hui pour la nouvelle tête qui sourit.»

Lire la suite ici


A l'écoute d'Alzheimer, par petites touches


L
orsqu'elle prépare des tartelettes au citron et s'affaire d'une table à l'autre, c'est comme si elle était revenue trente ans en arrière. Rolande Borel est résidente à l'accueil de jour de la maison de retraite de La Salette-Bully (Rhône), un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Le lieu accueille chaque semaine depuis fin 2007 une cinquantaine de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés, soit une dizaine chaque jour. Au total, 88 personnes, âgées de 88 ans en moyenne, résident à "La maison des aînés".

Lorsqu'elle s'occupe dans l'atelier cuisine, Mme Borel retrouve d'anciennes sensations : elle a tenu un restaurant dans la commune voisine de Tarare. C'était avant qu'elle ne soit touchée par la maladie d'Alzheimer et que sa mémoire ne lui fasse défaut. "C'est très sympathique, des personnes s'occupent de moi", dit avec le sourire cette dame de 82 ans qui vit seule depuis qu'elle a perdu son mari en 2006 et qui vient quatre fois par semaine à l'accueil de jour.


Dans une autre salle, deux femmes et deux hommes confectionnent des papillons en tissu et crépon. "Le but est de faire travailler l'imagination, en mélangeant les couleurs, les perles, de faire toucher les matériaux", explique Gisèle Ganne, animatrice et art-thérapeute. Un monsieur a le regard absent. "On a le droit de ne rien faire", insiste Gaby Montoya, la directrice de l'établissement.


Tout près, en silence, une institutrice à la retraite découpe avec application un papillon. Puis elle s'assoit dans un fauteuil et parle à un chat en peluche qu'elle serre dans ses bras. Ces jouets, adaptés aux enfants handicapés, ont été commandés pour tous les services, car ils permettent aux pensionnaires de retrouver un contact, un toucher, qu'ils ont parfois perdus. De petites choses qui sont réconfortantes. "Ici, on est bien soigné, c'est tout !", lance Claudia Granjard, qui vient deux fois par semaine. Une stagiaire lui fait une manucure. "Nous proposons des soins de bien-être, sans prétention, des mises en plis. Parfois, on fait prendre des douches à nos résidents, qui ne le font pas forcément chez eux", dit Josiane Soupramanien, aide médico-psychologique.


A l'origine, l'endroit était un garage. Mais la volonté de Gaby Montoya, qui dirige l'établissement depuis dix-sept ans, est forte. Pour raviver la mémoire, un terrain vague a été transformé en jardin. Plantes aromatiques, légumes et fruits poussent, et sont récoltés par les résidents. Ce jour-là, un pensionnaire est allé acheter des plantes. L'établissement n'est pas un endroit comme les autres. "On ne sait pas comment soigner la maladie d'Alzheimer, on avance par petites touches, les soignants attendent des recettes, or il n'y en a pas. A nous de les trouver. Il y a autant de cas que d'individus, avoue Mme Montoya, avec humilité, les clés sont à chaque fois différentes." L'une des "clés" : Kawane, une femelle labrador noire qui vit dans la maison de retraite depuis 2009. Elle "fait son tour" le soir avec la veilleuse "pour souhaiter bonne nuit" aux pensionnaires.


Après avoir constaté que des pensionnaires étaient fatigués, anxieux, l'équipe soignante de La Salette a voulu savoir ce qui se passait (Le Monde du 2 février 2008). Les uns se plaignaient d'être réveillés par d'autres, ce qui est assez fréquent en maison de retraite. Une soignante a alors passé la nuit dans l'unité pour observer. Certains ne dormaient pas de la nuit et avaient juste besoin d'être rassurés ou de manger. Mimant le comportement de sa vie d'avant, une résidente, ancienne infirmière de nuit, ne dormait pas et prenait des somnifères. Elle n'en prend plus aujourd'hui. "On réfléchit sur l'ouverture de l'accueil de nuit comme l'accueil de jour, notamment pour des personnes qui inversent les cycles de sommeil, ce qui permettrait à des aidants de se reposer, de passer une bonne nuit de temps en temps", explique-t-elle.


"On n'est pas non plus dans l'acharnement sur les médicaments,
assure Mme Montoya, il vaut mieux passer du temps avec les résidents." Dans certains cas, des traitements médicamenteux anti-Alzheimer ont été arrêtés, en accord avec le médecin. Le peu d'efficacité de ces médicaments est souvent évoqué. Certaines familles disent : "Ça ne sert à rien que je vienne la voir, elle ne se rappelle pas.""Je m'insurge contre cela, c'est le moment présent qui compte, répond Mme Montoya. On est souvent dans le curatif mais on gagnerait à être dans le préventif." Pour cela, elle voudrait plus de personnel. Elle emploie aujourd'hui 65 personnes, dont 53 équivalents temps-plein.


"Je me suis battue six ans pour avoir un art-thérapeute en tiers de temps - ce serait le Pérou si on avait un temps plein -, et cinq ans pour avoir un psychologue à mi-temps"
, plaide-t-elle. Or, les budgets pour 2011 n'augurent rien de bon. "Difficile de motiver les personnels dans ces conditions, d'autant qu'il n'est pas facile de trouver des personnes qui travaillent en gériatrie. Et dans ces métiers, nous souhaitons des personnes qui aiment ce public. On a besoin de personnel qualifié, mais pas forcément des soignants au sens strict", insiste Mme Montoya qui connaît chaque résident. Pour elle, c'est une sorte de sacerdoce, un engagement.


"Je ne suis pas là pour remplir des tableaux, pour être dans mon bureau toute la journée. Or les agences régionales de santé veulent des gestionnaires"
, regrette-t-elle. Le plan Alzheimer est peut-être une bonne chose pour la recherche, mais elle n'en a vu aucun effet sur le terrain. Or, les soignants sont les plus concernés dans la prise en charge des personnes atteintes par la maladie d'Alzheimer.

Pascale Santi


Aire-sur-l'Adour

Une journée au cirque

 Les enfants ont découvert le cirque par la pratique.  photo m. m.-D.

Les enfants ont découvert le cirque par la pratique.
photo m. m.-D.

Mercredi, c'était jour de cirque pour les enfants du service de pédopsychiatrie du Centre hospitalier de la Côte basque (CHCB). Il ne s'agissait pas pour eux d'assister à un spectacle, mais bien d'approcher les arts circassiens par la pratique. Cette journée fait suite à un projet mené par Élodie Darengosse, Nicolas Etcheverry, Yoann Lafon, Audrey Majeste et Xan Ondicola, étudiants en master management de la santé du campus de Bayonne. Ils ont mis en relation le pôle de psychiatrie infanto-juvénile du centre hospitalier et l'Afca (Association française de cirque adapté) d'Aire-sur-l'Adour.

Lire la suite ici

Saint Martin de Vignogoul : « Le pouvoir soignant dans tous ses états » (le 20 et 21 mai 2011)

19 avril 2011
Par Collectif des 39

Le patient  souffre toujours d’une difficulté de la relation : à l’autre, au monde, à soi. C’est pour cette raison que la mise en place d’un dispositif soignant nécessite que la dimension relationnelle prenne  la place de pivot central.

Cette relation soignant-soigné procède d’une asymétrie fondamentale, quelque soit le modèle relationnel, le contexte, le statut des soignants.

Mais n’est ce pas au sein de cette asymétrie nommer un certain pouvoir ? Et de quel pouvoir s’agit-il ? Celui de refuser ou d’accepter, d’accueillir ou de rejeter, de dire non, de dire oui, de permettre ou d’interdire ? Dans tous les actes de la vie quotidienne vient se nicher cette abyssale question : le pouvoir de l’un et l’apparente absence de pouvoir de l’autre.

Reconnaître que dans tout acte de soins vient se poser cette question ouvre la voie à une réflexion indispensable : comment identifions nous ce pouvoir, qu’elle est sa fonction, comment intervient il dans l’échange avec le patient, avec les collègues, avec la hiérarchie, avec les structures administratives ?

Et puis il y a le pouvoir qui nous est attribué, dénié, confié, confisqué. Avec ce risque de l’assimilation réductionniste qui, avec les diplômes, les connaissances, la science nous assureraient d’un savoir-pouvoir qui injecterait dans la sphère sociale une bien dangereuse confusion entre savoir et vérité.

Mais, pour interroger les effets de ce pouvoir, nous avons besoin d’indépendance professionnelle, de sécurité psychique, de temps, de confiance. Les conditions actuelles d’exercice de la psychiatrie le permettent-elles ? Quels sont les effets sur le soin des processus de certification, de protocolarisation, de standardisation 

Ne sommes nous pas tentés, avec ces rituels de soumission sociale, de vouloir assurer et délimiter « notre pouvoir », ne serait il qu’illusoire ou pris dans un infini petit territoire ? Le délitement du travail en équipe, l’abrasion de la notion même de « collectif », «  l’oubli » de la dimension relationnelle de tout acte de soins ne sont ils pas le reflet d’une tentative de prise de pouvoir autoritariste et écrasante, où s’infiltrent alors mépris et rejet pour les patients ?

Or ceux ci ont sans doute besoin, à travers cette asymétrie de la relation, que le pouvoir exercé par le soignant  lui permette aussi  d’interroger le sien.
L’autorité soignante, nécessitant l’existence d’un tiers structurant, se différencie fondamentalement de l’autoritarisme : l’une peut permettre l’ouverture d’un espace de création, l’autre l’interdit. Alors dans quel état se trouve le pouvoir soignant ? Dépressif, mélancolique, délirant, maniaque, narcissique, désemparé, fier de lui ? 

Hervé BokobzaLire la suite ici

Ces crimes qui nous font jouir

29.04.11
  • Crimes, de Ferdinand Von Schirach et Un jour, le crime, de J.-B. Pontalis
"Crimes", de Ferdinand Von Schirach et "Un jour, le crime", de J.-B. Pontalis

Depuis que la justice a renoncé aux jugements de Dieu, la procédure pénale s'est embarquée dans une aventure périlleuse : celle de dire la vérité à propos des crimes que leurs auteurs cherchent à dissimuler, de les rendre "clairs comme le jour".
Or, à la place de cette vérité glorieuse, la justice produit des récits plus ou moins vraisemblables, bâtis à partir d'indices, de présomptions et de régularités statistiques. C'est au nom de ces sortes de fictions qu'elle établit les faits et décrit les âmes, qu'elle condamne ou acquitte les accusés. Le récit policier est né au XIXe siècle, sous la plume d'Edgar Allan Poe (1809-1849), pour contester cette prétention de la justice pénale à raconter l'"histoire vraie" de tel ou tel forfait.

Explorant cette question, deux livres parus récemment aux éditions Gallimard analysent le crime en mettant l'accent sur la jouissance délicieuse et mystérieuse que produit sa mise en récit : Crimes, un recueil de nouvelles signé par l'avocat berlinois Ferdinand von Schirach, et Un jour, le crime, un essai du psychanalyste J.-B. Pontalis. Ce dernier part d'une hypothèse sadienne : nous sommes tous des criminels-nés.


Certains d'entre nous commettent des crimes, d'autres les jugent, d'autres encore s'en indignent et haïssent les criminels, mais, ce faisant, nous satisfaisons tous les mêmes pulsions violentes. Un peu comme la littérature, le fait divers a l'étrange puissance de nous faire vivre chacun de ces rôles, celui de l'assassin et du bourreau, du monstre et du juge. En nous positionnant au seuil de l'horreur mais sans nous y faire entrer véritablement, ces récits nous permettent d'éprouver un plaisir esthétique tout en demeurant presque innocents.


C'est pourquoi Pontalis écrit qu'il aurait pu donner comme titre à son ouvrage Je suis un criminel innocent et que "ce titre-là, chacun d'entre nous pourrait se l'approprier". Si l'on suit son raisonnement, l'individu qui commet un crime se donne à la collectivité : il devient une chair à récits, à plaisirs esthétiques, comme s'il se sacrifiait pour la jouissance de tous. Indispensable au fonctionnement de la procédure pénale, le récit criminel aurait donc aussi une autre fonction tout aussi importante : celle de satisfaire nos désirs de meurtre, de répression et de poésie.


C'est dans ce même souci d'explorer la mise en récit des faits criminels que l'avocat Ferdinand von Schirach a rédigé ses Crimes, livre qui reçut le prix Kleist en 2010, après un large succès de librairie. Dans ce livre, il ne construit pas des théories mais des fictions. Car son but est plus ambitieux et plus modeste que celui de J.-B. Pontalis. Ces nouvelles, tirées d'affaires qu'il a eu à traiter, ont l'audacieuse particularité d'être construites suivant les règles d'écriture de la procédure pénale elle-même. Ainsi, dans la forme, le sens et l'enchaînement des phrases qui composent ces textes, on voit la fragilité, le caractère purement conjectural mais aussi la grande beauté des formes de production de la vérité pénale.


Les onze nouvelles criminelles de ce recueil sont sans décors, sans sons, sans visages. On n'y trouve que l'essentiel, comme si elles constituaient des schémas, des esquisses, des notes. Les phrases sont sèches, trop précises, pleines d'avarice : "Toute une vie en trois minutes", comme le dit Theresa, l'héroïne tragique de la nouvelle "Violencelle", à propos du prélude d'une sonate. C'est par cette économie, par cette austérité que les phrases de von Schirach condensent leur force pour devenir des coups de poing qui nous coupent le souffle.


Grâce à leur ascétisme, ces phrases puissantes évitent de se lier complètement les unes aux autres, de composer une masse lisse, une unité signifiante sans failles ni fissures. Elles sont comme séparées par des blancs, des interstices, des trous, des abîmes. Si bien que le lecteur se trouve bientôt happé, séquestré et contaminé par le plaisir d'imaginer d'autres intrigues, d'autres dénouements possibles. Car, dans leur style, ces récits assument leur statut de pures hypothèses tricotées par des détails insignifiants, par des indices réversibles qui nous permettent d'en tirer à chaque fois une autre histoire, d'en faire une matrice pour fabriquer un nombre infini de récits tout aussi vraisemblables les uns que les autres.


Que s'est-il passé pour que Friedhem Fähner, paisible médecin de province de 72 ans, et jusqu'alors le plus inoffensif des hommes, téléphone un jour à la police de la ville de Rottweil pour lui annoncer : "J'ai découpé Ingrid. Venez immédiatement" ? Voici une photo de leur voyage de noces en Egypte, voici le souvenir de la voix métallique de cette femme, voici une promesse chuchotée dans un lit cinquante ans plus tôt : "Je te protégerai toujours." C'est avec ces presque riens que Ferdinand von Schirach reconstitue, dans la nouvelle "Les Pommes", le mystère de Fähner en narrateur tout à la fois omniscient et amnésique, impartial et intéressé, sincère et menteur, sans jamais tenter de concilier, arrondir ou dissimuler ses failles et ses contradictions. Si les romans policiers nous ont habitués à nous méfier des formes de vérité produites par la justice pénale, Crimes nous permet aussi de les considérer, pour les mêmes raisons, comme de merveilleux protocoles narratifs.


Chacun à sa manière, ces deux beaux livres ont la rare puissance de semer le trouble et de nous remplir d'inquiétudes. Car en déplaçant l'analyse du crime vers les jouissances suscitées par sa mise en récit, ils nous permettent de comprendre l'écart qui existe entre, d'un côté, ce qu'une société croit faire lorsqu'elle juge des hommes et des femmes pour leurs crimes, et, de l'autre, ce qu'elle fait véritablement. Et ce qu'ils nous montrent, c'est une société plus assoiffée de fiction que de justice, de plaisirs artistiques que de vérité.


Voilà pourquoi ces livres nous permettent d'espérer qu'un jour, peut-être, les crimes mais aussi les châtiments seront remplacés par la production d'un nouveau genre de fictions. Celles-ci nous réjouiraient sans que l'on ait besoin de vraies victimes ni de vraies prisons. Tel fut sans doute le projet politique du marquis de Sade : à ses yeux, la violence meurtrière, cette violence qui nous constitue, ne peut aspirer à l'absolu qu'une fois transformée en récit, grâce au pouvoir de notre imagination.


UN JOUR, LE CRIME de J.-B. Pontalis. Gallimard, 180 p. CRIMES (VERBRECHEN) de Ferdinand von Schirach. Traduit de l'allemand par Pierre Malherbet. Gallimard, "Du monde entier", 216 p.

Julia Kristeva : "L'humanisme ne sait pas accompagner la mortalité"
29.04.11

"Leur regard perce nos ombres" (Fayard, 240 p., 18 euros) est votre correspondance, en 2009 et 2010, avec Jean Vanier, le fondateur de L'Arche. Pourquoi votre intérêt pour ce lieu ?

L'Arche est une fédération regroupant 140 communautés à travers le monde, chacune constituée de foyers, ateliers et lieux de vie pour des personnes en situation de handicap. Elle s'inspire de la foi catholique mais accueille aussi des non-croyants ou d'autres religions, et propose une vie ensemble, partagée avec des personnes valides. A priori, rien ne me destinait à m'approcher de L'Arche.

Nous étions à la recherche d'une "structure innovante" pour notre fils David, atteint d'une maladie neurologique, qui puisse lui permettre une vie autonome et protégée. Après des années d'efforts, de promesses, la Ville de Paris, qui développe une politique solidaire dans le domaine du handicap, a brusquement arrêté le projet. Pénurie de moyens, les handicapés ne sont pas un lobby intéressant en temps de crises... Plus étonnant, le conseil du maire : "Allez voir chez les religieux !" Une faillite de plus de la République ?

Philippe Sollers, plus attentif que moi à l'humanisme catholique, m'a encouragée à essayer. J'ai repris contact avec Jean Vanier que j'avais déjà rencontré. J'ai visité L'Arche de Compiègne où il habite, j'ai été bouleversée par la généreuse solidarité des "copains" (c'est ainsi qu'ils s'appellent entre eux) qui y résident. Et tandis que David cherche toujours une solution, l'idée est née de faire se rencontrer nos expériences du handicap par un échange de lettres. Sans nous enfermer dans des revendications techniques ou communautaires, mais en "désinsularisant" le handicap : en reliant les angoisses et les combats qu'il suscite aux divers domaines de la vie auxquels nous participons au quotidien.

En 2003, vous avez remis au président de la République un rapport sur le handicap...

Des états généraux ont suivi ma Lettre au président de la République sur les citoyens en situation de handicap à l'usage de ceux qui le sont et de ceux qui ne le sont pas (Fayard, 2003). Et la loi de 2005 fut une conquête majeure dans cet esprit, notamment par le principe de la "compensation" qui engage la communauté nationale à assurer l'intégration des handicapés et l'interaction avec eux, par un accompagnement personnalisé, à l'école, au travail, dans la vie familiale...

Cette loi est en cours d'application, mais beaucoup d'insuffisances perdurent et le mécontentement s'accroît. L'information et la sensibilisation de l'opinion sont en panne. L'encadrement scolaire est loin des attentes. Les entreprises préfèrent être "taxées" au lieu d'embaucher. La création de lieux de vie reste un problème. Le droit à la vie affective, sexuelle et familiale est encore un tabou...

Vous parlez de "cette exclusion impartageable qu'est le handicap". Comment changer le regard sur le handicap ?

La philosophie des droits de l'homme nous apprend à résister au racisme, à la persécution religieuse, de classe ou de sexe. Il n'en va pas de même pour l'exclusion de la personne handicapée. Car le handicap ouvre chez celui qui n'en est pas atteint la peur de la mort physique et psychique, l'angoisse de l'effondrement et de voir exploser les frontières de l'espèce humaine elle-même. Aussi le handicapé est-il exposé immanquablement à une discrimination impartageable.

Sournoisement, le théomorphisme tend à reléguer la fragilité, le handicap, dans l'ombre non pas du péché, mais de la honte, de la culpabilité, ou - en envers symétrique - dans l'obstination héroïsante : l'écran ne supporte les handicapés que médaillés olympiques ! L'humanisme ne sait pas accompagner la mortalité : je ne dis pas "la mort" ; nous sommes si forts en commémorations ! Je parle de la mortalité en nous. La mortalité qui sculpte le vivant jusqu'à le rendre parfois handicapé se conjugue au singulier, elle est créatrice de surprises, parfois de créativités insoupçonnées. En somme, à partir du microcosme du handicap et par nos lettres, c'est l'introuvable débat sur la laïcité que nous essayons de mener, en repensant l'héritage religieux tout autant que la refondation de l'humanisme.

"Je sens monter en moi la colère contre la tyrannie de la normalité"
, écrivez-vous...

Le culte de la performance-excellence-jouissance devient la norme de la modernité sécularisée, et il se répand en doublure du sécuritarisme comme défense contre les menaces économiques et climatiques. Le spectacle, l'image et l'hyperconnectivité en font des schémas de comportements et de valeurs adaptés aux conventions, qui capturent les consommateurs. Etre singulier dans ce contexte est une liberté fondamentale, mais qui demande une force psychique inouïe. C'est ainsi que j'entends le sens de l'expérience psychanalytique : décoller la personne des normes qui la brident, pour qu'elle ne cesse de recréer son langage.

Hélas, une tendance "politiquement correcte" incite certains militants dans les associations de handicapés à inverser leur exclusion en déni de leur différence : "Nous sommes comme tout le monde, pourquoi ce rejet ?" Au contraire, paradoxalement, le handicap offre aussi une chance : de nous faire admettre l'incommensurable singularité de cette femme-ci, de cet homme-là, jusqu'aux limites de la vie.

La mère d'un enfant handicapé doit "accompagner, traverser et traduire la rencontre avec cette irrémédiable différence qu'est la déficience"...

La sécularisation est la seule civilisation qui n'a pas de discours sur la maternité. On croit savoir ce qu'est une mère juive, ou une mère qui prie la Vierge Marie. Mais une mère "moderne" ? Après Freud, Winnicott a fait connaître "la suffisamment bonne mère" ; les psys distinguent aujourd'hui l'"amante" de la "mère" et essaient de les faire coexister, etc. La vocation propre à la passion maternelle qui donne et accompagne la vie reste toujours énigmatique. Antigone, Ophélie, la Pietà en font partie, et leur destin n'est pas seulement masochiste ou mélancolique, mais révèle une extraordinaire maturité que les mères déploient pour assurer ce que j'appelle la reliance de leurs enfants. Les relier à eux-mêmes, à elles-mêmes, aux autres.

Que se passe-t-il quand arrive l'irrémédiable différence de la déficience ? C'est pareil, mais à l'excès, et donc d'une clarté dramatique. L'amour de la vie en bord à bord avec l'impossible se traduit alors en la capacité de partager les défaillances comme les fulgurances. Au sens fort du mot "partager" : prendre part à la particularité, participer sans gommer que chacun est "à part", et en reconnaissant sa propre "part" impartageable, la part de l'irrémédiable.

Pour Jean Vanier, la tendresse est le principe fondateur de l'Arche...

Jean Vanier exprime souvent son engagement exceptionnel en termes chargés d'affects, comme "plaisir" et "tendresse". Comme je le comprends ! Mais je sais qu'il n'est pas dupe des divers abus que ces mots véhiculent. A ces moments de notre correspondance, je pense au "corpus mysticum" que Kant envisageait pour fonder un monde moral. Et j'ajoute que cette métaphore mystique de l'union avec soi-même et avec le tout autre ne peut s'entendre au sens galvaudé de la seule "solidarité".

Le pacte avec le tout autre - la personne handicapée en étant un emblème et une réalité proche - ne se réduit pas aux seules lois morales, il les transforme en amour. La séduction exercée par le discours mystique révèle une absence : il nous manque une expérience et un discours amoureux modernes. En découvrant et en accompagnant la personne en situation de handicap, certains d'entre nous essaient de les réinventer.
Josyane Savigneau (Controverse)



Droit des enfants
30 avril 2011

La fessée et la gifle (légitimement) en question

La campagne médiatique de Fondation pour l’enfance pour en terminer avec la pratique de gifle et la fessée à l’encontre des enfants malgré sa qualité au mieux fait une nouvelle fois sourire, au pire apparait totalement inadaptée quand il faut au contraire nous dit-on asseoir l’autorité des parents sur les enfants.

80% des français revendiquent sans, état d’âme d’avoir pratiqué la fessée et 60 % estiment que cela a été une bonne chose.  Bien évidemment on passe trop vite de la fessée à la maltraitance à enfant. Nombre de parents qui pratiquent la fessée ou la gifle ne sont pas de parents maltraitants ; il n’en reste pas moins qu’ont raison ceux qui développent que poser l’interdit de la violence physique aux enfants contribuera  à délégitimer ces « abus de violence « que sont les actes de maltraitance. Surtout il faut que nous progressions encore collectivement dans cette idée qu’on peut exercer de l’autorité sur un enfant sans exercer de la violence physique à son égard.

J’ai déjà témoigné ici combien notamment des parents issus de l’immigration africaine sont convaincus de n’avoir plus d’autorité sur leurs enfants en France car ils se voient dénier le droit de les maltraiter.

Tous les pédagogues et psychologues le disent et l’affirment : la fessée et la gifle sont l’arme d’adultes en situation de faiblesse qui croient que ce passage à l’acte est de nature à souffler la flamme de l’opposition infantile ; en fait, ils se font du bien pour dépasser leur colère ou gérer leur angoisse d’adultes mais ils ne règlent aucun problème. Au mieux, cette séquence violente va ouvrir une  nouvelle séquence qui inéluctablement sera celle du dialogue.

Lire la suite ici