Alzheimer et la volonté de «ne pas vivre sans avoir toute sa tête»
C’était ce week-end à Rennes, lors du Forum de Libération. Olivier Saint-Jean, chef de service de gériatrie à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, s’interrogeait sur la question du respect, due à une personne âgée qui n’a plus toute sa tête. Respecter certes, mais qui ? Quand ? Et surtout respecter quelle personne, celle d’aujourd’hui ou celle d’hier ?
Et ce gériatre raconte une histoire : «C’est une femme qui nous avait toujours dit qu’elle ne voulait pour rien au monde vivre si elle perdait la tête. Elle nous l’avait dit avec insistance. Je l’ai revue. Elle était alors atteinte très lourdement de la maladie d’Alzheimer. Elle ne se souvenait plus de rien. Je la vois dans un atelier peinture, comme il y en a tant dans les maisons de retraite. Ces ateliers peuvent paraître toujours un rien grotesques. On lui prenait les doigts, on les mettait dans de la peinture, et après elle dessinait sur une feuille. Mais voilà, elle était heureuse, elle souriait comme tout.»
Qu’en déduire ? Une vie chasserait l’autre… «D’ailleurs, ajoute ce professeur de gériatrie, d’ordinaire plutôt pessimiste,je suis agacé par le catastrophisme autour de la maladie d’Alzheimer. Et nous, gériatres, nous en sommes un peu responsables. Nous l’avons toujours présentée comme un drame et une douleur absolue. Or, on le voit, ce n’est pas toujours le cas. Ce sont des petites démences, gentilles, qui vous accompagnent doucement en fin de vie.» Certes, mais dans son histoire, que faire, qui respecter ? Ecouter cette vieille dame qui a l’air toute heureuse en train de patauger dans sa peinture, ou bien respecter plutôt la volonté d’hier de cette personne quand elle avait toute sa tête. «A priori, explique Olivier Saint-Jean, moi je retiendrais plutôt ce qui fait sens aujourd’hui pour la nouvelle tête qui sourit.»
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A l'écoute d'Alzheimer, par petites touches
03.05.11
Lorsqu'elle prépare des tartelettes au citron et s'affaire d'une table à l'autre, c'est comme si elle était revenue trente ans en arrière. Rolande Borel est résidente à l'accueil de jour de la maison de retraite de La Salette-Bully (Rhône), un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Le lieu accueille chaque semaine depuis fin 2007 une cinquantaine de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés, soit une dizaine chaque jour. Au total, 88 personnes, âgées de 88 ans en moyenne, résident à "La maison des aînés".
Lorsqu'elle s'occupe dans l'atelier cuisine, Mme Borel retrouve d'anciennes sensations : elle a tenu un restaurant dans la commune voisine de Tarare. C'était avant qu'elle ne soit touchée par la maladie d'Alzheimer et que sa mémoire ne lui fasse défaut. "C'est très sympathique, des personnes s'occupent de moi", dit avec le sourire cette dame de 82 ans qui vit seule depuis qu'elle a perdu son mari en 2006 et qui vient quatre fois par semaine à l'accueil de jour.
Dans une autre salle, deux femmes et deux hommes confectionnent des papillons en tissu et crépon. "Le but est de faire travailler l'imagination, en mélangeant les couleurs, les perles, de faire toucher les matériaux", explique Gisèle Ganne, animatrice et art-thérapeute. Un monsieur a le regard absent. "On a le droit de ne rien faire", insiste Gaby Montoya, la directrice de l'établissement.
Tout près, en silence, une institutrice à la retraite découpe avec application un papillon. Puis elle s'assoit dans un fauteuil et parle à un chat en peluche qu'elle serre dans ses bras. Ces jouets, adaptés aux enfants handicapés, ont été commandés pour tous les services, car ils permettent aux pensionnaires de retrouver un contact, un toucher, qu'ils ont parfois perdus. De petites choses qui sont réconfortantes. "Ici, on est bien soigné, c'est tout !", lance Claudia Granjard, qui vient deux fois par semaine. Une stagiaire lui fait une manucure. "Nous proposons des soins de bien-être, sans prétention, des mises en plis. Parfois, on fait prendre des douches à nos résidents, qui ne le font pas forcément chez eux", dit Josiane Soupramanien, aide médico-psychologique.
A l'origine, l'endroit était un garage. Mais la volonté de Gaby Montoya, qui dirige l'établissement depuis dix-sept ans, est forte. Pour raviver la mémoire, un terrain vague a été transformé en jardin. Plantes aromatiques, légumes et fruits poussent, et sont récoltés par les résidents. Ce jour-là, un pensionnaire est allé acheter des plantes. L'établissement n'est pas un endroit comme les autres. "On ne sait pas comment soigner la maladie d'Alzheimer, on avance par petites touches, les soignants attendent des recettes, or il n'y en a pas. A nous de les trouver. Il y a autant de cas que d'individus, avoue Mme Montoya, avec humilité, les clés sont à chaque fois différentes." L'une des "clés" : Kawane, une femelle labrador noire qui vit dans la maison de retraite depuis 2009. Elle "fait son tour" le soir avec la veilleuse "pour souhaiter bonne nuit" aux pensionnaires.
Après avoir constaté que des pensionnaires étaient fatigués, anxieux, l'équipe soignante de La Salette a voulu savoir ce qui se passait (Le Monde du 2 février 2008). Les uns se plaignaient d'être réveillés par d'autres, ce qui est assez fréquent en maison de retraite. Une soignante a alors passé la nuit dans l'unité pour observer. Certains ne dormaient pas de la nuit et avaient juste besoin d'être rassurés ou de manger. Mimant le comportement de sa vie d'avant, une résidente, ancienne infirmière de nuit, ne dormait pas et prenait des somnifères. Elle n'en prend plus aujourd'hui. "On réfléchit sur l'ouverture de l'accueil de nuit comme l'accueil de jour, notamment pour des personnes qui inversent les cycles de sommeil, ce qui permettrait à des aidants de se reposer, de passer une bonne nuit de temps en temps", explique-t-elle.
"On n'est pas non plus dans l'acharnement sur les médicaments, assure Mme Montoya, il vaut mieux passer du temps avec les résidents." Dans certains cas, des traitements médicamenteux anti-Alzheimer ont été arrêtés, en accord avec le médecin. Le peu d'efficacité de ces médicaments est souvent évoqué. Certaines familles disent : "Ça ne sert à rien que je vienne la voir, elle ne se rappelle pas.""Je m'insurge contre cela, c'est le moment présent qui compte, répond Mme Montoya. On est souvent dans le curatif mais on gagnerait à être dans le préventif." Pour cela, elle voudrait plus de personnel. Elle emploie aujourd'hui 65 personnes, dont 53 équivalents temps-plein.
"Je me suis battue six ans pour avoir un art-thérapeute en tiers de temps - ce serait le Pérou si on avait un temps plein -, et cinq ans pour avoir un psychologue à mi-temps", plaide-t-elle. Or, les budgets pour 2011 n'augurent rien de bon. "Difficile de motiver les personnels dans ces conditions, d'autant qu'il n'est pas facile de trouver des personnes qui travaillent en gériatrie. Et dans ces métiers, nous souhaitons des personnes qui aiment ce public. On a besoin de personnel qualifié, mais pas forcément des soignants au sens strict", insiste Mme Montoya qui connaît chaque résident. Pour elle, c'est une sorte de sacerdoce, un engagement.
"Je ne suis pas là pour remplir des tableaux, pour être dans mon bureau toute la journée. Or les agences régionales de santé veulent des gestionnaires", regrette-t-elle. Le plan Alzheimer est peut-être une bonne chose pour la recherche, mais elle n'en a vu aucun effet sur le terrain. Or, les soignants sont les plus concernés dans la prise en charge des personnes atteintes par la maladie d'Alzheimer.
Pascale Santi
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