par Chloé Pilorget-Rezzouk. publié le 13 septembre 2021
Comment améliorer la situation de crise traversée par l’expertise médico-légale en France ? Une lancinante et délicate question à laquelle le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, en visite ce lundi au tribunal de Montpellier (Hérault) souhaite apporter un début de réponse. A l’heure où trouver un expert psychiatre ou psychologue dans des délais raisonnables relève de la gageure, la juridiction a mis en place une permanence avec l’hôpital pour permettre la réalisation d’expertises en continu. C’est donc dans ce lieu, où s’exerce une de ces «bonnes pratiques» chères au ministre, qu’il annoncera «une revalorisation tarifaire» de leur travail. Cinq mois après la décision de la Cour de cassation dans l’affaire Halimi, venue remettre le rôle de l’expertise médico-légale au cœur des débats, et alors que le projet de loi relatif «à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure» sera examiné mardi à l’Assemblée nationale. «Le travail autour de ce projet de loi a été l’occasion pour le ministre de finaliser un dossier enkysté depuis plusieurs années», a fait valoir la chancellerie lors d’un brief presse.
De la garde à vue à l’aménagement de peine, en passant par les affaires de terrorisme ou d’infractions sexuelles, «il y a de moins en moins d’experts alors qu’ils ont pourtant un rôle croissant dans le monde judiciaire avec de plus en plus d’expertises demandées par les juges», reconnaît le ministère de la Justice, qui assure que «l’idée est de sortir de ce cercle vicieux». L’ex-ténor a à cœur de «réparer ce qu’il a vu dysfonctionner durant les années où il était avocat», poursuit son entourage. En 2011, on comptait 537 psychiatres inscrits sur les listes des cours d’appel, contre seulement 356 aujourd’hui. L’an dernier, pas moins de 49 148 expertises psychiatriques ont été réalisées. Un «dangereux effet de ciseaux», soulevé dans un rapport sénatorial rendu en mars. Dans leurs écrits très complets, Jean Sol (LR) et Jean-Yves Roux (PRG) pointaient «d’importantes lacunes dans la rémunération de l’expert».
«Pas une revalorisation, un rééquilibrage»
Première mesure annoncée par Eric Dupond-Moretti et réclamée depuis longtemps : une «revalorisation» du tarif de l’expertise. Depuis 2017, il existe en effet un décalage entre les experts dits collaborateurs occasionnels du service (COSP), majoritairement des praticiens hospitaliers, et les experts libéraux. Cette «revalorisation» entrée en vigueur au 1er septembre «va permettre que tous soient rémunérés dans les mêmes conditions», selon la chancellerie. L’expertise psychiatrique pour les libéraux passera de 429 à 507 euros. En matière d’agression sexuelle, de 448 à 526 euros. «Ce n’est pas une revalorisation, c’est simplement un rééquilibrage, rectifie Laurent Layet, président de la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel. Il était injuste que des experts soient payés différemment en fonction de leur statut pour effectuer exactement les mêmes missions.»
Deuxième mesure : la revalorisation de l’indemnité de comparution, dont la mise en œuvre interviendra prochainement par décret. Aujourd’hui, un expert psychiatre ou psychologue qui vient exposer son travail aux assises est indemnisé… 43,65 euros. Une somme plus que dérisoire au regard du temps consacré et du travail fourni, qui porte un éclairage sagace aux débats et à la compréhension de l’acte. Désormais, la présence de l’expert sera indemnisée à hauteur de 100 euros, «soit une augmentation de 129%», selon la chancellerie. «Il était pertinent de faire un geste symbolique dans l’esprit de l’oralité des débats aux assises», commente Roland Coutanceau, président du syndicat national des experts psychiatres et psychologues.
«Rendre la pratique plus vivable»
Plus réservé, Laurent Fayet, expert psychiatre à la Cour de cassation, rappelle que «nous sommes les seuls experts dont l’intervention reste forfaitisée». Parlant de «pourboire des assises», le docteur Daniel Zagury abonde : «C’est un peu moins ridicule, mais ce n’est pas la révolution…» Lors de sa déposition au procès Troadec en juillet, l’expert psychiatre (COSP) avait d’ailleurs fait savoir qu’il avait refusé les 312 euros forfaitaires pour son rapport, long de plusieurs dizaines de pages, sur le meurtrier Hubert Caouissin, jugé pour le quadruple meurtre de sa belle-famille. «Un tel manque de considération pour notre travail, ce n’est pas possible», avait tonné ce spécialiste des affaires criminelles, selon les live tweets de journalistes présents.
Troisième mesure : la «simplification» du recours à l’expertise «hors norme», tarifée à 750 euros et réservée aux libéraux. Accordée sur des affaires requérant un travail sur des questions complexes, «comme les dérives sectaires», elle verra ses critères assouplis. Jusqu’à maintenant, il en fallait trois cumulatifs : que la mission comporte des questions inhabituelles nécessitant des recherches spécifiques ; que la procédure soit d’une complexité particulière ; que l’expert réside à plus de 200 kilomètres. «Il était impossible de réunir ces trois critères en même temps. Or, on fait presque tout le temps des expertises hors normes !» signale Laurent Layet. En 2018, seules 50 expertises de ce type ont été diligentées. A présent, le critère géographique sera supprimé et les deux autres n’auront plus à s’ajouter. «Ce sont des annonces positives, salue le psychiatre Roland Coutanceau. Pour susciter des vocations, il faut rendre la pratique plus vivable.» Son confrère Daniel Zagury, lui, estime qu’il faut aller encore plus loin dans «une réforme globale» du système : «On ne pourra pas sortir de tout ça tant qu’on rémunérera l’expertise lapidaire d’un voleur de poules comme l’expertise très fouillée d’un Guy George.»
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