Propos recueillis par Florence Rosier Publié le 11 septembre 2021
Grâce à ses découvertes en matière de neuroprotection des patients atteints de Parkinson, Alim-Louis Benabid, neurochirurgien français, améliore le quotidien des malades sans verser dans le transhumanisme.
Du 6 au 9 septembre, un Sommet des neurosciences s’est tenu à Crans-Montana, en Suisse. Objectif : accélérer la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques. A cette occasion, un point sur les nouvelles neurotechnologies pour les maladies neurodégénératives a été fait par le neurochirurgien français Alim-Louis Benabid. Membre de l’Académie des sciences, il a reçu le prix Lasker pour la recherche clinique 2014 (le Nobel américain) pour la mise au point de la stimulation cérébrale profonde (SCP) qui a révolutionné le traitement de la maladie de Parkinson avancée.
Comment avez-vous découvert les effets de la SCP, qui réduit les troubles moteurs des patients ?
Il faut savoir que la maladie résulte de la dégénérescence des neurones qui produisent la dopamine. Ces cellules se trouvent dans la « substance noire », une petite zone du tronc cérébral. En temps normal, elles libèrent leur dopamine dans des structures cérébrales profondes, les « noyaux gris centraux », impliqués dans la motricité notamment. Un patient parkinsonien perd chaque année 10 % de ses neurones dopaminergiques. Quand 30 % à 50 % de ces cellules ont disparu, il développe des symptômes moteurs : tremblements, akinésie, soit la difficulté à initier le mouvement, et rigidité musculaire.
Dans les années 1970, on avait observé qu’en détruisant par électrocoagulation certaines zones du thalamus, une structure reliée aux noyaux gris centraux, on supprimait ces tremblements. Mais si l’on se trompait de cible, on pouvait provoquer des effets indésirables irréversibles (paralysies, pertes de sensibilité…) ! Il fallait donc identifier avec soin la zone à détruire. Pour cela, on stimulait les régions voisines à l’aide de fines électrodes délivrant un courant alternatif de basse fréquence (moins de 100 hertz). Le patient, éveillé, nous décrivait ce qu’il ressentait. Cela permettait de ne cibler que la « bonne » zone. Le risque d’erreur, cependant, nous hantait.
C’est là qu’intervient la part de la chance dans votre découverte…
Oui, et de la curiosité ! En 1987, j’ai voulu connaître quels seraient les effets d’une stimulation à haute fréquence (130 hertz) du thalamus. A ma grande surprise, les tremblements disparaissaient ! En 1997, la technique a été améliorée en changeant de cible, et le neurologue Pierre Pollak a affiné les paramètres de la stimulation. Chez les parkinsoniens, on stimule désormais le noyau sous-thalamique, une structure de la taille d’un petit pois qui va agir sur les noyaux gris centraux pour inhiber non seulement les tremblements, mais aussi l’akinésie et la rigidité. Pour cela, le neurochirurgien implante dans le cerveau de très fines électrodes qui sont reliées, par des câbles sous-cutanés, à un pacemaker implanté sous la clavicule. Gros atout, ce traitement est parfaitement réversible, car on peut stopper la stimulation. C’est une sécurité, d’où une flambée d’intérêt pour cette intervention. Plusieurs centaines de milliers de parkinsoniens en ont bénéficié dans le monde. Mais la procédure reste invasive, donc réservée aux stades évolués de la maladie.
Quels sont ses derniers développements ?
Dans un Parkinson très évolué, les patients souffrent de troubles de l’équilibre et de la coordination des mouvements. La stimulation à basse fréquence d’une autre cible, le noyau pédiculopontin, peut alors être efficace. Dans certaines formes d’épilepsies très sévères, le noyau sous-thalamique est une cible d’intérêt. Contre les dystonies de l’enfant, c’est le pallidum qui est stimulé. Contre les troubles obsessionnels compulsifs sévères, on vise une autre structure cérébrale. Et contre les troubles alimentaires sévères (anorexie et boulimie), la technique peut aussi être efficace.
Ce qui est remarquable avec cette intervention, c’est que ses effets sont immédiats et durables. Quand on stimule avec précision la bonne cible, c’est très efficace. Sur le clavier de cette technique, on peut donc jouer toute une gamme de notes – comme les fréquences de stimulation – pour agir sur une partition de symptômes variés. Mais les maladies neurodégénératives tendent à s’aggraver avec l’âge : il faut parfois réajuster les paramètres de stimulation. De plus, cette intervention ne traite pas les causes de ces maladies.
Vous développez une autre stratégie, la neuroprotection par la lumière infrarouge…
Mon équipe étudie cette question depuis 2011 au centre Clinatec du CEA, que j’ai cofondé en 2008 à Grenoble. L’enjeu final, dans Parkinson, est de ralentir voire stopper la dégénérescence des neurones à dopamine. Une molécule à l’origine de ce déclin est la cytochrome c oxydase, présente dans les mitochondries (les usines à énergie des cellules). En temps normal, elle alimente ces dernières en énergie en absorbant la lumière dans le proche infrarouge (near infrared, ou NIR). D’où l’idée que nous avons eue avec John Mitrofanis, de l’université de Sydney : pourrait-on la réactiver en l’irradiant dans cette gamme de longueurs d’onde ? Avec cet espoir : si cette molécule réinjecte cette énergie dans le processus biologique, les mitochondries pourront redémarrer et les neurones refabriquer de la dopamine.
La stratégie a d’abord été évaluée chez des rats. Une lumière NIR a été diffusée tout près de leurs noyaux gris. Ce traitement a bloqué le développement de la maladie et, chez des rongeurs déjà atteints, amélioré les symptômes. Chez le singe, ensuite, nous avons testé un dispositif transposable à l’espèce humaine. Nous avons implanté dans la boîte crânienne une diode délivrant une lumière NIR. Cette diode était collée à une fibre optique qui descendait à travers les ventricules cérébraux jusqu’entre les deux substances noires (qui abritent les neurones à dopamine). Résultat, au bout de trois à quatre semaines, les symptômes des singes parkinsoniens se sont améliorés.
Les essais cliniques chez l’homme ont-ils démarré ?
Il nous a fallu trois ans pour obtenir, fin 2020, une autorisation de l’Agence nationale française de sécurité du médicament et des produits de santé. Certains neurologues nous prenaient pour des fous furieux ! Une première patiente a été opérée en mars 2021. Au total, l’essai inclura 14 parkinsoniens diagnostiqués depuis environ deux ans. Un tirage au sort déterminera qui bénéficiera de cette intervention (7 patients) ou non (7 patients). Ils seront suivis durant quatre ans : on évaluera leurs symptômes cliniques et l’on mesurera, par PET-scan, l’évolution du nombre de leurs neurones à dopamine résiduels.
Vous étudiez aussi les lésions de la moelle épinière…
A Clinatec, nous nous intéressons à des patients tétraplégiques. Leurs quatre membres sont paralysés à la suite d’une lésion complète de leur moelle épinière, au niveau des cervicales. Leur cerveau est toujours capable de produire les ordres qui font bouger les bras et les jambes, mais ils sont incapables de les exécuter. Dans notre prototype, des électrodes sont implantées dans leur cerveau. Elles vont capter les signaux neuronaux de l’encéphale, puis les traduire en signaux moteurs qui seront pris en charge et exécutés par un exosquelette. Grâce à quoi ces patients pourront faire des mouvements de préhension ou marcher suspendus à un harnais, car ils n’ont pas d’équilibre. Ce domaine des interfaces cerveau-machine est en plein essor. Notre prototype est le fruit de dix ans de recherches, mais il ne faudrait pas qu’il soit arrêté !
Notre approche est complémentaire de celle de l’équipe suisse de Grégoire Courtine. A l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, cette équipe s’intéresse à des patients paraplégiques, atteints de lésions incomplètes de la moelle épinière. Fin 2018, elle a obtenu de très beaux résultats : ces patients ont bénéficié d’une stimulation électrique ciblée de la moelle épinière grâce à un implant inséré juste au-dessus de leur lésion, dans le bas du dos –un dispositif semblable à celui employé contre les douleurs chroniques rebelles. Après une longue rééducation, trois d’entre eux ont recouvré le contrôle volontaire de leurs jambes paralysées. Nous développons un projet commun avec cette équipe. Dans le protocole suisse, les patients paraplégiques doivent appuyer sur un déclencheur avec leur pouce pour activer le dispositif qui stimule leur moelle épinière. Pourrait-on aller rechercher cet ordre dans leur cerveau pour libérer leurs mains ?
Que répondez-vous à ceux qui dénoncent la finalité d’homme augmenté de ces neurotechnologies ?
C’est un reproche fréquent. Mais l’homme augmenté, je ne sais pas faire ! Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est de l’homme réparé. Avec cette stimulation cérébrale, nous supprimons un trouble moteur handicapant. Il est vrai que pour d’autres interventions, la limite n’est pas toujours claire. L’exemple classique est celui des prothèses de jambe des athlètes. Courent-ils mieux avec un Flex-Foot [un pied prothétique] qu’ils ne couraient avant l’accident qui les a privés de leur vraie jambe, par exemple ? Un individu augmenté est quelqu’un dont les performances ont été accrues par une technologie ou par un médicament. Pour ma part, j’avoue que si j’étais atteint de légers troubles de la mémoire et que je savais comment positionner des électrodes dans mon cerveau pour réparer ce déficit, je n’hésiterais pas à demander cette intervention ! Il n’est pas impossible que, dans le futur, nos stimulations cérébrales bien intentionnées – dans un but de réparation – parviennent à augmenter certaines performances cognitives. Pour moi, il n’y aurait là rien de pernicieux, à condition que l’intervention n’occasionne aucun effet indésirable.
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