Cet article a été publié dans sa version originale le 07/07/2021.
THE ECONOMIST (LONDRES)
Certains acacias et fourmis vivent dans un échange de bons procédés. Mais l’arbre récompense davantage les fourmis les moins travailleuses parmi celles qui le colonisent.
Les fables d’Ésope [un écrivain de l’Antiquité] sont censées illustrer une morale. Mais s’il avait vécu en Amérique centrale plutôt qu’en Grèce, Ésope aurait peut-être renoncé à en écrire une intitulée La fourmi et l’acacia.
En effet, comme l’ont découvert Sabrina Amador-Vargas et Finote Gijsman, chercheurs [en biologie évolutionniste] au Smithsonian Tropical Research Institute, au Panama, la morale de cette histoire-ci est que la paresse paie.
Nourriture contre tâches domestiques
Les acacias sont très répandus et forment une grande famille. L’un de ses membres, Vachellia collinsii, est célèbre pour sa relation symbiotique avec les fourmis. Les fourmis s’attaquent aux insectes qui mangent les feuilles de l’arbre, éliminent les plantes qui pourraient le gêner et le protègent des maladies en lui fournissant des antibiotiques produits par des bactéries vivant sur leurs pattes.
En retour, l’arbre récompense les fourmis en leur offrant de la nourriture sous la forme de corps beltiens riches en protéines [des excroissances sur les feuilles] et de nectaires [une petite émergence dans laquelle est sécrété du nectar] pleins de sucre, ainsi qu’un logement sûr à l’intérieur de ses épines creuses, qui ont évolué expressément dans ce but.
Des fourmis travailleuses ou paresseuses
Un arrangement confortable, donc. Mais, comme tout accord, il peut être négocié. L’un des symbiotes des acacias les plus connus est Pseudomyrmex spinicola, une fourmi qui fait tout ce qu’on attend d’elle et aide son hôte à s’épanouir. Crematogaster crinosa, en revanche, est une locataire moins désirable. Paresseuse, elle ne se précipite pas pour repousser les insectes herbivores, échoue à éliminer la végétation envahissante et, à ce qu’on en sait, ne distribue pas d’antibiotiques.
Vu la disparité entre les services rendus par ces deux espèces, Sabrina Amador-Vargas et Finote Gijsman se sont demandé si les arbres leur versaient des salaires différents. Et, comme ils l’écrivent dans [leur étudie publiée le 1er juillet dans] The Science of Nature, ils ont découvert que c’était bien le cas. Mais pas d’une façon qu’Ésope aurait approuvée.
Pendant trois mois, les chercheurs ont observé des spécimens de Vachellia collinsii sur deux sites, dont l’un abritait les deux types de fourmis et l’autre uniquement Pseudomyrmex spinicola. Ils ont prêté une attention particulière aux épines, aux corps beltiens et aux nectaires des arbres, et ont également recueilli des échantillons de feuilles grignotées par des insectes. À titre de comparaison, ils ont également étudié des acacias dépourvus de colonies de fourmis.
Inciter au travail avec la nourriture
Ils ont découvert que la quantité et la qualité des hébergements fournis par l’arbre étaient les mêmes, quelles que soient les circonstances. Même en l’absence de fourmis, les acacias développaient à peu près le même nombre d’épines creuses. Les récompenses alimentaires proposées, en revanche, variaient beaucoup.
Les arbres qui hébergeaient des fourmis présentaient 75 % de nectaires en plus que ceux qui n’en hébergeaient pas. Ce qui n’a pas beaucoup surpris les chercheurs. Ce qui les a étonnés, c’est de voir que les acacias traitaient différemment les deux types de locataires. Bien que la distribution des corps beltiens restât inchangée, les acacias accueillant des colonies de Pseudomyrmex spinicola ne présentaient des nectaires qu’à la base de leurs feuilles.
On retrouvait la même chose chez les arbres qui hébergeaient Crematogaster crinosa, mais ils arboraient en plus des nectaires au bout de leurs feuilles. Les ouvrières récalcitrantes étaient ainsi encouragées à traverser la feuille pour atteindre une récompense supplémentaire. Elles pouvaient alors tomber sur des nuisibles dont elles ne se seraient peut-être pas occupées autrement, et les obliger à déguerpir. D’un point de vue anthropomorphique, cela ne semble guère équitable pour l’ouvrière zélée qu’est Pseudomyrmex spinicola, qui n’a pas besoin de ce pot-de-vin pour effectuer le même travail.
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