Par Audrey Garric Publié le 14 septembre 2021
D’après une étude approuvée par la revue « The Lancet Planetary Health », 45 % des jeunes sondés dans dix pays affirment même que l’écoanxiété affecte leur vie quotidienne.
« J’ai grandi dans la peur de me noyer dans ma propre chambre. » Comme Mitzi Jonelle Tan, une défenseuse de l’environnement de 23 ans qui vit aux Philippines, un pays particulièrement exposé aux typhons et à l’élévation du niveau des mers, de plus en plus de jeunes sont profondément inquiets du changement climatique. Ils n’ont plus confiance en l’avenir, se sentent trahis, impuissants face à la crise environnementale et à l’inaction des gouvernements.
Voilà les conclusions de la plus vaste étude jamais réalisée sur l’anxiété climatique chez les jeunes, qui montre pour la première fois que la souffrance psychologique liée au climat est plus importante lorsque les individus jugent inadéquate la réponse des gouvernements. Ces travaux, dont les résultats ont été rendus publics mardi 14 septembre, viennent d’être validés en vue d’une publication dans le journal scientifique The Lancet Planetary Health.
L’étude, menée par des chercheurs d’universités britanniques, américaines et finlandaise et financée par l’ONG Avaaz, s’appuie sur un sondage réalisé entre mai et juin par l’institut Kantar auprès de 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans dans dix pays, du Nord comme du Sud (Australie, Brésil, Etats-Unis, Finlande, France, Inde, Nigeria, Philippines, Portugal et Royaume-Uni). Avant de répondre, les participants n’étaient pas au courant du sujet de l’enquête.
L’écoanxiété plus forte dans les pays pauvres
Dans le détail, 59 % des jeunes sondés déclarent être « très » ou « extrêmement inquiets » du changement climatique, tandis que 45 % affirment que l’anxiété climatique affecte leur vie quotidienne de manière négative, qu’il s’agisse de dormir, de se nourrir, d’étudier, d’aller à l’école ou de s’amuser.
Pire, 75 % jugent le futur « effrayant », 56 % estiment que « l’humanité est condamnée », 55 % qu’ils auront moins d’opportunités que leurs parents, 52 % que la sécurité de leur famille « sera menacée » et 39 % hésitent à avoir des enfants. Plus de la moitié des sondés déclarent se sentir apeurés, tristes, anxieux, en colère, sans défense ou coupables. Moins de 30 % se définissent comme optimistes.
Les pays où l’écoanxiété est la plus prégnante sont le plus souvent les plus pauvres ou ceux les plus affectés par le dérèglement climatique, comme les Philippines, l’Inde ou le Brésil. Dans les pays développés, c’est au Portugal, qui a connu une forte augmentation des incendies depuis 2017, que la préoccupation est la plus importante.
« On savait que l’écoanxiété progressait, notamment parmi les jeunes, qui représentent la population la plus vulnérable, mais on ignorait que cette souffrance psychologique était si étendue et ce mal-être était si profond », réagit la psychologue Caroline Hickman, professeure à l’université de Bath (Royaume-Uni) et première autrice de l’étude. Et encore, note-t-elle, le sondage a été mené avant l’enchaînement de catastrophes climatiques meurtrières de cet été, qu’il s’agisse des inondations en Allemagne, en Belgique ou en Chine, du cyclone Ida aux Etats-Unis ou des incendies en Californie, en Grèce, en Turquie ou en Sibérie.
Un effet durable sur la santé mentale
Pour les jeunes générations, la crise climatique ne représente en effet pas un futur lointain, mais une réalité qui affecte et va affecter leur présent et leur futur. « On a un point d’horizon dramatique : on sait que la crise va être terrible, mais sans savoir précisément comment elle va nous toucher. Personne ne peut répondre à nos angoisses et les scientifiques tirent toujours davantage la sonnette d’alarme, mais personne ne les écoute »,témoigne Marie Chureau, 19 ans, membre de Youth for Climate France et étudiante en droit franco-allemand. Elle regrette que les jeunes ne soient « pas écoutés et n’aient pas leur mot à dire », alors qu’ils vont « affronter la crise climatique » toute leur vie.
La détresse des jeunes n’est pas seulement liée à la crise environnementale, « mais aussi à l’échec des plus puissants – les adultes et les gouvernements – à y répondre », note Caroline Hickman. Ainsi, 65 % des sondés estiment que les gouvernements manquent à leurs devoirs concernant les jeunes, 64 % jugent qu’ils mentent, 58 % se sentent trahis. Moins d’un tiers des 16-25 ans ont l’impression que les gouvernements les protègent « eux, la planète et/ou les générations futures », qu’ils peuvent faire confiance aux dirigeants et que ces derniers « font assez pour éviter la catastrophe » et prennent leur inquiétude « au sérieux ». Les Français, s’ils sont un peu moins pessimistes que la moyenne, s’avèrent en revanche plus critiques que leurs voisins vis-à-vis du gouvernement.
Les auteurs de l’étude, qui évoquent « une crise de santé publique émergente », mettent en garde sur le fait que « de tels niveaux de souffrance », avec des facteurs de stress « multiples et chroniques », auront des « effets négatifs et durables sur la santé mentale des enfants et des jeunes ». « Le sentiment d’impuissance et d’injustice est ce qu’il y a de pire pour la santé mentale. Ceux qui perdent confiance en l’avenir sont plus sujets aux dépressions », confirme Guillaume Fond, psychiatre à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille et chercheur à l’université d’Aix-Marseille, qui n’a pas participé à l’étude.
Ce « fardeau psychologique » du changement climatique s’ajoute à d’autres conséquences plus directes, alors qu’un milliard d’enfants sont « très fortement exposés » aux effets des canicules, des cyclones ou des inondations, selon un rapport de l’Unicef publié fin août. La « blessure morale infligée aux jeunes » n’est rien de moins qu’une « violation des droits humains », prévient Caroline Hickman, rappelant qu’ils se tournent de plus en plus vers les tribunaux pour « sauver les écosystèmes, mais aussi leur futur ».
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