par Elsa Maudet publié le 17 septembre 2021
Serait-ce l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ? Ou du journaliste qui a vu le journaliste qui a vu le hashtag ? A lire la presse, les élèves nés en 2010 vivent un enfer. La faute à TikTok, où des vidéos «anti 2010» pullulent, qui invitent à s’en prendre aux élèves actuellement en sixième. La FCPE, principale fédération de parents d’élèves, a même fait un communiqué titré «Les enfants de 2010 sont devenus une cible : la FCPE demande au gouvernement d’agir en urgence !» Si des vidéos dénigrant, insultant voire menaçant les jeunes de 11 ans existent bien, la plupart des spécialistes du harcèlement contactés par nos soins sont bien en peine de parler d’un véritable problème de masse.
«Tous les collégiens qu’on rencontre sont tout à fait au courant de ce phénomène, affirme la directrice générale de e-Enfance, Justine Atlan. Après, ça n’a pas la même gravité qu’un harcèlement personnalisé puisque justement c’est un harcèlement très massif, qui touche une classe d’âge. Je n’ai aucune intention de tirer une sonnette d’alarme pour dire que c’est très grave.» Au 119, le numéro de l’enfance en danger, on n’est pas au courant dudit phénomène, si ce n’est via les articles de presse parus. «Je ne vois pas du tout de quoi on parle, nous répond quant à lui Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du syndicat majoritaire chez les chefs d’établissement, le SNPDEN-Unsa, par ailleurs père d’une fille née en 2010. Hier, on était en conférence nationale, donc on était quand même 70, et on était incapables de trouver un collègue qui avait entendu parler du sujet.»
«Je ne ferai pas peur aux gens»
Du côté de l’association les Papillons, qui installe des boîtes aux lettres dans les écoles afin que les élèves y postent le récit de leurs souffrances, «on a récupéré, mardi dans un collège, un mot d’enfant qui nous parlait de ce hashtag, “né en 2010”, en disant qu’il commençait à subir des incivilités, raconte le fondateur de l’asso, Laurent Boyet. On lui disait “t’es bien un 2010 pour t’habiller comme ça”, “t’es un 2010, tu joues pas au foot avec nous”. On ne sentait pas dans son mot un malaise trop fort mais un énervement, un agacement.» Pour autant, «je n’ai pas du tout de vague d’enfants de sixième déprimés parce que nés en 2010. Si vraiment tous les collégiens entrés en sixième y étaient soumis, ils nous l’écriraient.»
L’association Marion la main tendue organisait justement jeudi soir une réunion avec des parents d’élèves pour parler, entre autres, de ce harcèlement pesant sur «les 2010». «Les parents ont été alertés par la presse», note la présidente Nora Tirane Fraisse. L’association, elle, n’a rien constaté de particulier. «Je n’ai pas de chiffres disant que tous les collèges sont en feu. Tant que je n’ai pas de données, je ne ferai pas peur aux gens», rétorque Nora Tirane Fraisse.
Une seule association, Hugo !, nous l’affirme : «C’est alarmant, c’est inquiétant. Il n’y a pas de chiffres, je vous dis juste que c’est énorme.»La structure a reçu «une dizaine de signalements cette semaine». Selon son président, Hugo Martinez, des collégiens filtrent les comptes TikTok en fonction des années de naissance des utilisateurs et bombardent d’insultes et de menaces ceux nés en 2010. «On est en train de basculer dans une société où il y a du harcèlement envers des individualités et aussi des nouvelles formes de harcèlement envers des générations entières», prévient-il.
«L’arbre qui cache la forêt»
Au dire des associations, les sixièmes de 2021 subissent la même chose que leurs aînés, à savoir une forme de «bizutage» propre aux petits nouveaux et sans gravité. Reste que l’arrivée au collège est toujours une période à risque. «Ce qui déclenche le harcèlement, c’est un état de vulnérabilité supposé. Un sixième est plus petit de taille et surtout est le nouveau, il n’a pas encore de parcours, de réseau et c’est facile de s’attaquer à cette personne-là», avertit Nora Tirane Fraisse.
Même si «les 2010» ne vivent pas un réel cyberharcèlement générationnel, «c’est intéressant parce que ça donne l’occasion de faire de la prévention beaucoup plus large sur le harcèlement en soi et sur la façon de se comporter sur les réseaux sociaux», estime Justine Atlan. «Pour moi, le sujet, ce n’est pas juste le hashtag 2010, ça, c’est l’arbre qui cache la forêt. Sinon, ça veut dire que les 2011 ne se font pas harceler. Certains vont se dire “Je suis de 2009, je me fais taper : pourquoi ?”», abonde Nora Tirane Fraisse.
Qu’ils soient nés en 2010, en 2005 ou n’importe quand, des jeunes subissent chaque année du harcèlement, en ligne ou de visu. A tous, il convient de rappeler que des solutions existent, notamment le 3018 en cas de harcèlement numérique et le 3020 en cas de harcèlement entre élèves à l’école.
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