Des personnalités politiques appellent à rendre le futur vaccin obligatoire, mais ce débat est faussé tant les inconnues sont nombreuses. Explications.
Faut-il rendre la vaccination contre le Covid-19 obligatoire ? Le débat a surgi dès l’annonce par Pfizer et BioNTech de résultats intermédiaires très positifs quant à l’efficacité de leur vaccin, lundi 9 novembre. « C’est obligatoire », tranchait dès le lendemain l’écologiste Yannick Jadot sur Franceinfo. Plusieurs autres personnalités lui ont emboîté le pas depuis, comme le président Les Républicains (LR) du Sénat, Gérard Larcher, ou encore Daniel Cohn-Bendit.
L’idée ne fait cependant pas l’unanimité. La dirigeante du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, a ainsi estimé sur BFM-TV que les Français devaient rester libres « de se faire vacciner ou non ». Le gouvernement reste à ce stade prudent. S’il confiait samedi au Monde avoir la « crainte » que « les Français ne se fassent pas assez vacciner », le premier ministre, Jean Castex, ne plaide pas en faveur d’une vaccination obligatoire pour l’heure.
Derrière la multiplication des déclarations sur ce thème se cache en réalité un débat plus complexe qu’il n’y paraît. Et probablement prématuré à ce jour, tant les inconnues sont nombreuses. Explications.
1. Pas un, mais plusieurs vaccins
La première limite au débat sur la vaccination obligatoire tel qu’il a pu être posé ces derniers jours, c’est qu’il n’y a en réalité par un, mais plusieurs candidats-vaccins sur la table. Trois d’entre eux ont récemment fait l’objet d’annonces très enthousiastes quant à leur efficacité potentielle :
- Le candidat-vaccin de Pfizer et BioNTech, présenté comme efficace « à 90 % » selon des résultats intermédiaires mentionnés dans un communiqué du laboratoire, lundi 9 novembre ;
- l’institut de recherche russe Gamaleya, qui revendique pour son produit une efficacité supérieure (92 %) ;
- le vaccin de Moderna, qui serait quant à lui efficace « à 94,5 % », a annoncé la biotech américaine, lundi 16 novembre.
Tous les candidats-vaccins ont leurs caractéristiques propres, d’autant qu’ils ont été élaborés selon des procédés différents. Les produits de Pfizer et Moderna sont des vaccins « à ARN messager », qui utilisent des morceaux de matériel génétique modifié. Tandis que celui de Gamaleya est « à vecteur viral », utilisant comme support un autre virus qui est modifié pour l’adapter à la lutte contre le coronavirus SARS-CoV-2.
« Les gens parlent souvent du vaccin. En réalité, nous allons vraisemblablement avoir des vaccins, aux caractéristiques différentes », résume la vaccinologue Marie-Paule Kieny dans un entretien au Monde publié le 14 novembre.
2. Questions sur la stratégie de vaccination
Les chiffres spectaculaires sur l’efficacité supposée des candidats-vaccins cachent par ailleurs une réalité plus complexe. Il s’agit de résultats obtenus dans les semaines qui ont suivi la deuxième injection du vaccin, ce qui ne nous donne, à ce stade, pas de recul pour savoir quelle sera l’immunité conférée, par exemple, six mois après.
De même, on ne sait pas aujourd’hui si ces vaccins protègent uniquement la personne vaccinée contre le Covid-19 et ses symptômes, réduisant ainsi le nombre de cas graves, ou s’ils l’empêchent également de transmettre la maladie. Pas plus qu’on ne sait à quel point ils se révèlent efficaces sur différents types de publics.
Autant de points qui ne relèvent pas du détail dans l’optique de l’élaboration d’une stratégie vaccinale. A gros traits, on peut par exemple distinguer au moins deux scénarios possibles, parmi d’autres :
- Les vaccins disponibles dans un futur proche présentent des caractéristiques adaptées à une vaccination « de masse » visant à réduire très fortement la circulation du coronavirus SARS-CoV-2, voire à l’éradiquer ;
- ces vaccins n’offrent pas les garanties suffisantes pour rechercher une immunité collective, mais offrent une protection individuelle intéressante pour les publics considérés comme à risque.
Où l’on voit bien que l’idée d’imposer une vaccination générale n’aurait pas forcément de sens dans tous les cas de figure. Le ministre de la santé, Olivier Véran, ne disait pas autre chose sur BFM-TV mardi : c’est la haute autorité de santé (HAS) qui devra déterminer les publics prioritaires en matière de vaccination, a-t-il indiqué. Mais elle ne pourra le faire que « quand elle aura accès aux données scientifiques [car] on parle dans le vide » aujourd’hui, a-t-il estimé.
3. Sérieuses questions logistiques
Une éventuelle campagne de vaccination de masse, a fortiori obligatoire, suppose également de disposer de moyens logistiques adéquats. A titre d’exemple, la campagne prévue pour la vaccination contre le virus H5N1 s’est appuyée sur 1 168 centre de vaccination. Ce qui permettait de vacciner de l’ordre de 6 millions de personnes par mois, selon le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur cette question publié en 2010. Généraliser la vaccination contre le Covid-19, en réalisant deux injections pour chaque patient, supposerait donc des moyens bien supérieurs. Cela sans compter la question de la disponibilité des vaccins. La Commission européenne a, à ce stade, conclu quatre contrats pour obtenir de premières livraisons de vaccins avec l’alliance Pfizer/BioNTech, AstraZeneca, Johnson & Johnson et Sanofi-GSK. Un autre pourrait suivre avec Moderna.
Quoi qu’il en soit, ces stocks ne devraient pas permettre de vacciner l’ensemble de la population française dès le premier semestre de 2021. Pour prendre l’exemple du vaccin Pfizer/BioNTech, la France, pourra, dans un premier temps, compter sur 30 millions de doses, ce qui permettrait de prendre en charge 15 millions de personnes (puisqu’il faut deux injections par patient), selon Olivier Véran.
D’autant que d’autres facteurs logistiques s’ajoutent à l’équation. Le candidat-vaccin de Pfizer/BioNTech doit ainsi être conservé et transporté à une température de – 72 oC, ce qui nécessite des appareils spécifiques. Le vaccin de Moderna évite cependant cet écueil, selon l’entreprise.
Reste malgré tout que l’acheminement de centaines de millions de doses de vaccin représente un défi logistique immense, qui pourrait malgré tout allonger les délais. Si la France se prépare pour être capable de démarrer la vaccination contre le Covid-19 au début de l’année 2021, il est prématuré d’imaginer l’étendre à l’ensemble de la population à ses débuts.
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