Il est encore trop tôt pour avoir des chiffres. Mais les spécialistes observent que le nombre de tentatives de suicide a chuté lors du premier confinement avant de repartir à la hausse depuis le printemps.
Question posée par Noémie le 28/10/2020
Bonjour,
Les enquêtes en cours sur l’impact du confinement sur la santé mentale démontrent pour l’instant que ce sont les femmes, les jeunes et les plus précaires qui sont touchés psychologiquement par cette crise, selon une réponse CheckNews publiée la semaine dernière. Depuis, une nouvelle vague de l’enquête CoviPrev, menée par Santé publique France et dont les premiers résultats ont été publiés dans le dernier bulletin épidémiologique, a montré que le pourcentage de personnes connaissant des symptômes de dépression a continué à augmenter (pour la deuxième fois consécutive depuis le déconfinement), atteignant un niveau supérieur à celui observé le 30 mars. 20,6% des personnes interrogées déclarent avoir connu de tels symptômes entre le 4 et le 6 novembre, contre 15,5% entre le 19 et le 21 octobre et 10,9% entre le 21 et le 23 septembre.
Cela se traduit-il par une hausse des suicides ? C’est impossible à savoir pour l’instant. En France, c’est le CépiDC de l’Inserm qui produit et analyse les statistiques sur les causes médicales de décès. Pour cela, il s’appuie sur les certificats médicaux, qui indiquent la cause de décès. Mais l’analyse de ces données prend plusieurs mois et est encore en cours sur les décès survenus pendant le premier confinement. L’institut espère avoir de premières données dans huit à dix semaines.
Même réponse du côté de l’Observatoire national du suicide, géré par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) au ministère de la Santé, qui indique que le «recul épidémiologique n’est pas suffisant» aujourd’hui.
Chute des tentatives de suicide au premier confinement
Pour autant, quelques pistes se dégagent si l’on observe les tentatives de suicide et les idées suicidaires. Ainsi, le réseau VigilanS, mis en place par le centre hospitalier de Lille en 2015 et qui est depuis en train d’être étendu à toute la France, a mis en place un dispositif de veille pour garder un lien avec les personnes après une première tentative de suicide (TS). Sollicité par les services d’urgence après une admission pour TS, le réseau garde le contact pour s’assurer que les personnes qui sont rentrées chez elles ne recommencent pas, soit en leur donnant simplement un numéro de téléphone dédié à appeler en cas de besoin, soit en leur envoyant une lettre dix à vingt jours après leur TS et tous les mois pendant quatre mois, soit en les rappelant directement, selon le profil de la personne.
Pourquoi ce dispositif permet-il de dégager des premières tendances ? «Nous ne sommes pas en première ligne. Mais puisque les centres d’urgence nous appellent après une admission, on a un listing de veille. Cela nous permet de couvrir la moitié des TS qui arrivent à l’hôpital», explique à CheckNews le docteur Vincent Jardon, responsable du réseau VigilanS dans les Hauts-de-France. Même si tous les centres d’urgence ne contactent pas VigilanS, et si toutes les TS ne finissent pas à l’hôpital, «on a une vision quasiment en temps réel de ce qu'il se passe dans l’épidémiologie du suicide».
«Il y a une grande différence entre le premier confinement et celui-ci. Ils sont vécus différemment et les conséquences ne sont pas les mêmes. Au début du premier confinement, on a constaté une baisse des arrivées aux urgences pour TS d’environ 20% à 30%», indique Vincent Jardon. Pour le médecin, cette diminution est principalement due à deux facteurs : premièrement, en mars, les personnes étaient vraiment confinées, et se sont moins rendues aux urgences. Deuxièmement, le confinement a paradoxalement créé un sentiment de lien social, puisque tout le monde était dans la même situation, concerné par la même chose et qu’il fallait faire corps contre l’épidémie. «Ça ne veut pas dire que les gens allaient bien, mais le passage à l’acte s’est exprimé différemment», analyse Vincent Jardon.
Retour à la normale pendant l’été
«Puis au déconfinement, on est remonté progressivement aux chiffres des années précédentes. Dans les Hauts-de-France, cela a été atteint en août. Avec ce deuxième confinement, on ne constate pas de baisse des admissions comme en mars», résume-t-il.
Le constat est similaire au niveau national. Pour le docteur Christophe Debien, aussi basé à Lille et responsable national de VigilanS, la baisse de passage aux urgences pour TS a été de 30% au niveau national (en excluant la Réunion, où le dispositif a été lancé trop récemment pour avoir suffisamment de recul). «Au déconfinement, on a observé un retour à l’activité des années précédentes dès le mois de juin. Pour le reconfinement, c’est encore un peu tôt car cela change chaque semaine, mais on observe une tendance à la reprise depuis une dizaine de jours. Peut-être même une augmentation. Pas tant pour des TS mais pour des consultations pour idées suicidaires de la part des 15-25 ans, qui ne passent pas forcément à l’acte», résume-t-il.
Selon l’expert, ce sont les étudiants qui sont les plus touchés par ces idées suicidaires. «Les étudiants cumulent tous les facteurs de vulnérabilité : ils sont loin de leur environnement social, peuvent connaître une précarité financière, un accès aux soins difficile. Le confinement précipite des vulnérabilités.» Surtout, «selon les remontées que l’on a des centres médico-sociaux, ils voient de plus en plus de gens nouveaux. Qui n’étaient jusque-là pas connus de la psychiatrie», laissant craindre qu’une usure soit en train de se mettre en place avec le reconfinement, et un risque d’augmentation des TS.
C’est d’ailleurs à ce sujet qu’alerte la fondation Jean-Jaurès, qui a publié une note le 6 novembre s’interrogeant : «Suicide : l’autre vague à venir du coronavirus ?» Son auteur, le professeur Michel Debout, avait déjà publié en 2016 les résultats d’une enquête sur les idées suicidaires. Puisque l’on n’a pas encore de données chiffrées sur le sujet, étudier les idées suicidaires donne un aperçu de l’ampleur du phénomène. «Par ailleurs, toutes les TS n’aboutissent pas à l’hôpital, donc les chiffres ne sont pas complets. Etudier les idées suicidaires permet de compléter les informations que l’on aura en décalé», analyse le chercheur. «Heureusement que le lien entre pensée suicidaire et passage à l’acte n’est pas automatique, mais cela nous permet de faire de la prévention. Il faut connaître les populations qui expriment le plus de risques.»
Crainte d’une «vague» à venir
Résultat, Michel Debout constate lui aussi une diminution des idées suicidaires au moment du confinement, pour les mêmes raisons qu’évoqué précédemment. «Nous étions tous égaux face à la menace qui n’était pas relative à notre personne (comme peut l’être une réaction anxio-dépressive face à une situation personnelle difficile) mais extérieure à nous, provoquant une volonté de survie éliminant en partie les pensées suicidaires pour renforcer les dynamiques de protection collectives», écrit-il dans la note. Le passage à l’acte a aussi été rendu plus difficile par les conditions de confinement, «du fait de l’obligation de résider en permanence avec ses conjoints et ses enfants (seuls 22% des sondés de notre enquête déclarent être restés seuls durant le premier confinement) ou sous le regard policier chaque fois que l’on essayait d’échapper à ce huis clos». Des conditions qui sont assez différentes en ce mois de novembre, notamment car le télétravail et le chômage partiel sont moins généralisés, les écoles restent ouvertes, etc.
Surtout, les conséquences économiques et sociales de ce premier et de ce deuxième confinement font craindre une vague de TS à venir. Notamment car l’étude montre que trois catégories, qui risquent d’être les plus touchées par la crise économique, sont celles qui expriment le plus d’idées suicidaires : «Quand 20% de Français en 2020 affirment avoir déjà envisagé sérieusement de se suicider dans leur vie, trois catégories professionnelles ont des taux d’intention largement supérieurs : les dirigeants d’entreprises à 27%, les artisans-commerçants à 25% et les chômeurs à 27%.» Michel Debout alerte particulièrement sur les artisans-commerçants. «Parmi ceux qui disent avoir des pensées suicidaires, on leur demande s’ils ont déjà fait une tentative de suicide avec hospitalisation. Ce taux est de 42% chez les artisans-commerçants», contre 27% en moyenne.
En résumé, les idées suicidaires et tentatives de suicide ont visiblement diminué pendant le premier confinement, mais ce n’est pas le cas lors de ce deuxième épisode, qui est très différent par sa forme. Si l’on ne dispose pas encore de données épidémiologiques sur le suicide, les conséquences économiques et sociales de l’épidémie font craindre une augmentation des tentatives de suicide.
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