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samedi 21 novembre 2020

« Si rien ne se passe, c’est la fin du métier » : famille d’accueil, une profession en déshérence

Quelque 76 000 mineurs sont hébergés chez des accueillants familiaux, mais cette profession est en panne de vocation. Avec une moyenne d’âge de 55 ans, elle est aussi vieillissante. Sans plan d’action, le métier pourrait disparaître dans les dix ans à venir.

Par  Publié le 21 novembre 2020


Il y a un an, lors du lancement de la « stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022 », le gouvernement annonçait plusieurs chantiers prioritaires pour les trois ans à venir. Parmi eux figurait l’ouverture de négociations collectives pour « rénover le métier » des assistants familiaux – ou plus précisément des assistantes familiales, la profession qui consiste à accueillir chez soi, contre rémunération, des mineurs placés étant largement exercée par des femmes.

La crise sanitaire a bouleversé l’agenda initial, et la feuille de route gouvernementale annoncée pour la rentrée de septembre a finalement été repoussée au premier trimestre 2021. D’ici là, les représentants syndicaux et ceux des employeurs (départements et associations) ont prévu de poursuivre leurs échanges sur les conditions d’exercice de cette profession méconnue mais centrale dans l’organisation de la protection de l’enfance en France. Près d’un jeune sur deux confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) est en effet hébergé chez une famille d’accueil, soit 76 000 mineurs à la fin 2018, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.

Aujourd’hui, la profession est « traversée de doutes, d’interrogations, de difficultés », avait reconnu devant le Sénat, le 5 février, le secrétaire d’Etat à l’enfance, Adrien Taquet. Depuis des années, le vivier s’épuise, sous l’effet conjugué d’une baisse des vocations et d’un vieillissement des professionnels, dont la moyenne d’âge tourne autour de 55 ans.

Dès 2013, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) alertait en ces termes : « La situation de l’offre en placement familial est déjà particulièrement tendue dans certains départements et risque de se dégrader encore du fait de pyramides des âges partout inquiétantes. » Sans plan d’action, le métier pourrait disparaître dans les dix ans à venir. Alors que, en 2012, 50 000 assistants familiaux étaient employés directement par les départements (à qui revient la charge de la protection de l’enfance), ils étaient 37 100 fin 2018.

Négociations en cours

Comment expliquer cette crise des vocations ? Les salaires peu attractifs et la difficulté pour les familles d’accueil de disposer d’un logement suffisamment grand pour accueillir des enfants sont souvent invoqués.

Pour Anne Oui, chargée de mission à l’Observatoire national de la protection de l’enfance, qui a coordonné en 2015 une étude sur le placement familial, « c’est un métier qui demande à la fois d’être très solide et d’avoir confiance dans la solidité de sa famille, ce qui n’est plus si fréquent ». L’implication de tous les membres du foyer, qui cohabitent avec les enfants accueillis, est en effet l’une des particularités de la profession ; une des questions soulevées lors des négociations collectives porte d’ailleurs sur la place du conjoint, dont le rôle mériterait d’être précisé.

D’autres pistes sont sur la table depuis longtemps, comme l’embauche de personnes qui exercent un autre métier en parallèle. « Recruter de nouveaux profils s’impose pour lutter contre la pénurie, défend Michèle Créoff, l’ancienne vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance. Mais cela suppose de ne plus leur demander d’être disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 365 jours par an sans relais. Et aussi d’accepter de changer toute l’organisation mise en place autour de l’enfant, avec des répercussions sur l’équipe, au-delà de l’assistant familial. »

Mauvaises pratiques

Les négociations en cours pourraient aussi être l’occasion de répondre au sentiment d’isolement exprimé par de nombreux assistants familiaux, dont les relations avec les autres acteurs entourant l’enfant (éducateur, psychologue…) laissent parfois à désirer. « Il y a un paradoxe fort entre, d’un côté, l’investissement total qui leur est demandé et, de l’autre côté, le fait qu’ils ne sont bien souvent pas associés aux décisions qui concernent les enfants », relève Sandra Onyszko, directrice de communication à l’Union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistants maternelles.

Malgré un cadre législatif commun, chaque département a son fonctionnement. Les règles varient, y compris sur la rémunération et le recrutement et, en cas de pénurie, les mauvaises pratiques existent. Trop heureux de voir arriver un nouveau candidat, certains départements ont tendance à délivrer des agréments sans les vérifications nécessaires. Contrairement à ce que prévoit la loi, il arrive ainsi que les soixante heures de formation obligatoires ne soient pas effectuées en totalité ou qu’aucune visite au domicile du futur assistant familial ne soit organisée pour vérifier les bonnes conditions d’accueil.

« Aujourd’hui bien souvent on gère les places, ce qui est dramatique, pour les familles d’accueil mais surtout pour les enfants », déplore Christian Allard, ancien responsable d’un placement familial dans le Val-de-Marne. Or, souligne-t-il, « travailler avec une famille d’accueil implique de penser sur le long terme. Il faut se projeter à l’arrivée de l’enfant sur quel adulte il sera »« La vraie question est de savoir comment on fait équipe autour de l’enfant », appuie Anne Oui.

Espoir d’amélioration des pratiques

Dans ce contexte propice à une refonte du statut d’assistant familial, qui date de 1977, se pose aussi la question des risques de la profession, pour les assistants familiaux mais aussi pour les enfants. « Combien de familles ont vu la police débarquer chez eux à cause de diffamations de la famille d’origine ? », interroge Christian Allard. Retraité depuis peu, l’auteur du guide Prendre soin de l’enfant en accueil familial (éd. ESF, 2019) estime que la judiciarisation de la société est aussi l’une des raisons de la baisse d’attractivité du métier.

« Dès qu’un signalement est fait auprès du département, les enfants sont quasi systématiquement retirés, ce qui peut se comprendre. Mais, tout le temps de l’enquête, l’assistante familiale ne reçoit plus de salaire. Or, sur le nombre d’affaires, très peu aboutissent. Résultat : une famille détruite, et des enfants qui vivent une énième rupture de parcours », appuie Evelyne Arnaud, assistante familiale depuis sept ans et porte-parole du syndicat professionnel des assistants familiaux SAF Solidaires.

L’un des enjeux est de parvenir à un meilleur équilibre entre présomption d’innocence et principe de précaution en cas de soupçon d’abus.

Ponctuellement, des faits divers mettant en cause des agissements des familles d’accueil interrogent aussi le contrôle effectué par les départements, dont la mission reste de protéger les enfants qui lui sont confiés. A cet égard, la création d’un fichier national des agréments est demandée de longue date. « En période de pénurie, cela permettrait d’éviter que des assistants familiaux qui sont sanctionnés et se voient retirer leur agrément puissent exercer dans un autre département, ce qui est aujourd’hui possible », explique Michèle Créoff.

Les négociations engagées au niveau du secrétariat d’Etat à l’enfance suscitent un espoir légitime d’amélioration des pratiques. La plupart des acteurs préviennent : « Si rien ne se passe, c’est la fin du métier. »


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