Créés en mars par une association rennaise, les tandems entre étudiants en situation de précarité et particuliers prêts à les aider se développent.
Depuis la rentrée, Alan Guillemin, étudiant en droit à l’université de Rennes-I, est débordé. « Nous croulons sous les demandes de jeunes », explique le coprésident de l’association Droit des étudiants, implantée à Rennes. Son organisation a mis sur pied un système de parrainage d’étudiants en situation de précarité par des particuliers, pour leur apporter un soutien financier, matériel ou psychologique. A ce jour, 83 étudiants en bénéficient.
Créé lors du premier confinement, le projet a « tout de suite fait l’objet d’un fort engouement de la part des parrains comme des filleuls », explique Alan Guillemin. Et pour cause : selon une vaste enquête de l’Observatoire national de la vie étudiante, et menée auprès de 6 000 jeunes, la situation financière de nombreux étudiants s’est aggravée. Un tiers de ceux interrogés ont rencontré des difficultés financières pendant le premier confinement, 19 % ont dû se restreindre pour des achats de première nécessité. Parmi les étudiants étrangers, 23 % déclarent « ne pas avoir mangé à leur faim ».
Les étrangers sont les plus affectés par ces situations de précarité
Une fragilité qui n’a fait que se confirmer avec le deuxième confinement, avec un nombre de demandes d’étudiants à la hausse, souligne Alan Guillemin. En raison de l’éloignement de leur famille, et de leur moindre accès à des aides sociales, les étrangers sont les plus affectés par ces situations de précarité. Ces derniers sont majoritaires dans les tandems solidaires proposés par l’association rennaise. « Ce sont des jeunes dont la bourse versée par leur pays d’origine a été dévaluée, qui ont perdu leurs jobs alimentaires ou dont les parents ne peuvent plus les aider à cause du contexte sanitaire », explique Alan Guillemin. Les parrains et marraines sont donc souvent sollicités pour fournir des paniers alimentaires, payer des factures, apporter un soutien moral à distance… Les deux cents volontaires inscrits à ce jour ont le choix du type d’engagement qu’ils souhaitent offrir à leur filleul.
Mais le principe de ce programme, c’est surtout un état d’esprit, où des amitiés se nouent au-delà de l’aide concrète. « Les volontaires sont surtout des retraités ou des couples, généralement des personnes issues de catégories socioprofessionnelles élevées, qui ont avant tout du temps à donner », précise Alan Guillemin. Le temps, Dominique en a à revendre. Cet enseignant retraité de 62 ans avait l’intention de le partager avec ceux qui sont dans le besoin. Il est devenu le parrain d’Elanchezhian, un étudiant indien de 27 ans, arrivé en France en janvier 2020 pour suivre ses études à la Rennes School of Business.
Des relations d’amitié
Elanchezhian, privé de transferts de ressources de sa famille en raison de la crise en Inde, a d’abord sollicité Dominique pour des difficultés financières, finalement résolues grâce au Crous. Leur relation a alors pris un autre tour. Toutes les semaines, Dominique lui enseigne la langue française : « Nous travaillons des textes classiques, nous écoutons de la musique », relate l’ancien professeur, qui souhaite également lui faire découvrir sa Bretagne natale. « Je l’ai emmené visiter des lieux touristiques rennais car je voulais qu’il découvre autre chose que sa zone universitaire. Nous avons même organisé un petit fest-noz à la maison ! » Un partage de cultures réciproque. A son aîné de trente ans, l’étudiant a raconté sa vie en Inde et a cuisiné des plats typiques : « Nous sommes devenus de vrais amis », conclut le filleul de Dominique.
Si certains parrainages suscitent des amitiés, d’autres offrent une protection presque maternelle pour des étudiants fragiles et isolés. C’est le cas de Marie*, étudiante en notariat de 25 ans, qui s’est livrée à de sombres pensées quand son contrat d’apprentissage a été rompu à cause du confinement. Seule en France – sa famille est au Gabon –, avec des moyens financiers très réduits, elle a sorti la tête de l’eau grâce à sa rencontre – pour l’heure virtuelle – avec sa marraine, un « coup de foudre ».
Le soutien que lui apporte Nathalie passe aussi par de l’aide à la préparation d’un examen d’anglais
« Face à cet obstacle qui me paraissait insurmontable, je m’étais renfermée sur moi-même. Nathalie m’a guidée dans mon brouillard et m’a remise dans le droit chemin », confie la jeune femme, au bord des larmes. Davantage incarné et accessible qu’une aide psychologique, selon elle, le soutien que lui apporte Nathalie passe aussi par de l’aide à la préparation d’un examen d’anglais, à la recherche d’un emploi, à l’amélioration de son CV… « Marie a l’âge de mes filles, je veille sur elle comme j’aimerais qu’on le fasse si elles étaient à l’étranger », commente Nathalie, ingénieure dans le domaine de la télévision numérique.
Des craintes à apprivoiser
Mais ces liens de parrainage qui se glissent dans ces vies étudiantes troublées ne sont pas toujours évidents. « Je ne connais pas vraiment les codes relationnels d’Elan. Il y a des moments d’incompréhension et cela peut limiter les conversations », remarque Dominique. Timidité, gêne, honte… Marie confesse qu’elle appréhendait d’aborder les questions d’argent avec Nathalie, elle ne savait pas comment en parler : « J’étais très gênée au début, et j’ai encore du mal à le faire. » Une crainte que les parrains doivent apprendre à apprivoiser progressivement, comme l’a fait Nathalie, sa marraine : « Si je sens qu’elle n’ose pas me le demander, je lui enverrai une petite somme afin que ses problèmes financiers ne viennent pas entraver ses projets futurs. »
Pour cette mère divorcée de quatre enfants, cet engagement est une grande première : « Cette relation me permet de mettre en perspective mes soucis. Marie m’apporte beaucoup par sa bonne humeur et sa maturité. La prochaine étape est d’aller voir un café avec elle, dès la fin du confinement », s’enthousiasme-t-elle.
Le déconfinement ne signifiera probablement pas la fin des difficultés financières pour ces étudiants. « Enrayer la précarité nécessite une réponse institutionnelle forte et durable », rappelle Alan Guillemin, qui envisage de lancer une fédération nationale autour du parrainage de jeunes. Pour l’heure, l’association a lancé une deuxième cagnotte en ligne. La première, lancée pendant le premier confinement, avait récolté 6 000 euros, qui ont bénéficié à une soixantaine d’étudiants dans le besoin.
* Le prénom a été modifié.
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