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mardi 17 novembre 2020

Covid-19 : les soignants contaminés, entre contraintes et règles floues

Par Maïté Darnault, correspondante à Lyon Anaïs Moran et Solange de Fréminville, correspondance à Montpellier — 

Depuis le début de la crise, la Direction générale de l’offre de soins n’a délivré aucune directive officielle sur le sujet.

Depuis le début de la crise, la Direction générale de l’offre de soins n’a délivré aucune directive officielle sur le sujet. Photo Cha Gonzalez pour Libération

Depuis le début de l’épidémie en France, les hôpitaux n’ont reçu aucune directive du ministère de la Santé concernant le personnel infecté par le coronavirus, qui dans certains cas continue à venir travailler faute de remplaçants.

C’est un méli-mélo de témoignages à ne plus savoir où donner de la tête. Des expériences de soignants bien trop diverses qui laissent à croire que rien n’est simple face à cette question pourtant si limpide : quelles sont les consignes de conduite à tenir pour les personnels hospitaliers dès lors qu’ils sont concernés par une infection au Covid-19 ? «Dans mon service, tout soignant positif est arrêté au moins une semaine et à la fin de ce délai, on refait un prélèvement. Tant que celui-ci n’est pas négatif, le soignant ne peut pas reprendre son poste, même s’il est asymptomatique», expose Sabine Valera, infirmière en réanimation à l’hôpital Nord de Marseille. «Chez nous, les cas positifs et symptomatiques sont les seuls à s’arrêter, durant sept jours. Les autres, pour beaucoup, continuent à travailler», indique de son côté Alexandre Charly, infirmier détaché pour mandat syndical au CHU de Saint-Etienne. Une consœur grenobloise raconte que les instructions divergent même jusque dans les murs de son établissement : «En réanimation, on appliquait à la rentrée les sept jours d’arrêt obligatoires pour tous les positifs, même sans symptôme. Dans le même temps, dans le service des maladies infectieuses, les soignants positifs et peu ou pas symptomatiques n’étaient pas en arrêt.» Pour ne rien arranger, la soignante explique que les instructions ont par la suite évolué. «Quand les cas Covid se sont enchaînés dans mon équipe début octobre, il a ensuite été décidé de laisser au travail les collègues positifs asymptomatiques, détaille-t-elle. Et finalement, hier, j’ai lu un compte rendu de la réunion plan blanc de l’hôpital, dans lequel il est écrit qu’un soignant positif et sans symptôme doit forcément être volontaire pour rester à son poste…»

L’ampleur de la confusion se révèle être un sacré boxon. Et il y a bien une raison : depuis le début de la crise sanitaire, jamais la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé n’a délivré de directive officielle sur le sujet. «On nous dit qu’une instruction va être envoyée de façon imminente, mieux vaut tard que jamais, ironise un directeur d’hôpital de l’ouest de la France. Il faut bien comprendre que ça fait huit mois qu’on tâtonne sans qu’aucune consigne nationale ne soit complètement arrêtée.» Sollicitée à plusieurs reprises par Libération, la DGOS n’a pas donné suite à nos appels. Pour l’heure, seul un avis du Haut Conseil de santé publique (HCSP), daté du 23 mai, émet des recommandations de «conduite à tenir vis-à-vis des professionnels selon leur statut vis-à-vis du Sars-Cov-2». Que préconise-t-il ? Tout soignant symptomatique et asymptomatique doit faire l’objet d’une éviction de sept jours minimum après résultat du test PCR ou le début de symptômes (ce délai doit aller «jusqu’à la disparition de la fièvre et l’amélioration de l’état respiratoire»). Dans le cas singulier où «un personnel non remplaçable» serait atteint du Covid et asymptomatique, «la possibilité dégradée d’un maintien en poste avec un renforcement des mesures de précaution et d’hygiène est envisageable».

«Traînée de poudre»

«La marge de manœuvre est grande. Il est assez facile de jouer avec cette notion de situation exceptionnelle», reconnaît un directeur de CHU, qui préférerait exécuter une «doctrine claire» du ministère afin d’éviter toute ambiguïté des procédés. «Ça ne me choque pas trop qu’une latitude nous soit laissée», revendique au contraire un de ses pairs, à la tête d’un centre hospitalier particulièrement touché par l’épidémie. «Dès lors qu’on a épuisé les solutions de remplacement de soignants, c’est difficile de rester dans un régime d’exception. Avec notre groupe interne d’experts et notre cellule de crise, on a pris les décisions qui nous paraissaient les meilleures», justifie-t-il. L’enjeu des évictions est pourtant loin d’être anodine. Outre l’infection entre professionnels et la possibilité que certains d’entre eux contractent des formes graves, le HCSP écrit noir sur blanc que les soignants participent aux transmissions nosocomiales (infections contractées par un patient au cours de son séjour à l’hôpital). «La survenue de ces cas après l’interdiction des visites, en particulier dans les secteurs de long séjour, le confirme, soit par transmission croisée, manuportée, par défaut d’application des procédures d’hygiène, soit par transmission directe à partir d’un soignant infecté asymptomatique ou paucisymptomatique [présentant peu de symptômes, ndlr]», formulent les experts dans leur avis.

Au centre hospitalier de Condom, dans le Gers, l’histoire est vieille d’un mois, mais sa teneur fait date tant elle illustre l’épineuse situation des soignants contaminés par le Covid et ses conséquences. Mi-octobre, le service de médecine générale a été contraint de fermer la moitié de sa vingtaine de lits après l’apparition d’un cluster en son sein. «C’est parti comme une traînée de poudre, relate Marie (1), infirmière. En deux à trois semaines, la quasi-totalité des patients du service, hospitalisés pour d’autres pathologies, ainsi qu’une quinzaine de professionnels, étaient déclarés positifs.» Selon ses dires, les deux premiers malades diagnostiqués fin septembre étaient des patients, l’une «revenue fin septembre de l’hôpital d’Auch où elle avait été transférée» et l’autre «parti dans un autre service et réintégré également positif». Puis, très vite, les cas se sont multipliés.

Marie raconte que le personnel du service a maintenu son mode classique de fonctionnement, circulant d’une pièce à l’autre, Covid + ou non, «sans masques FFP2 pour les paramédicaux». Surtout, «il a été demandé à des soignants présentant des symptômes du Covid-19 de continuer à travailler, ce que des collègues ont fait en attendant le résultat du test, qui s’est avéré ensuite positif», narre l’infirmière. Une situation qui aurait favorisé, d’après elle, la prolifération incontrôlable des cas et entraîné l’amputation du service durant deux semaines. Sur ce sujet, l’avis du HCSP est pourtant très clair : tout professionnel présentant des signes cliniques évocateurs doit être écarté jusqu’au résultat, «sauf situation exceptionnelle, comme un médecin de garde seul dans un service». Marie dit aussi que «sous la pression», certains sont revenus une semaine plus tard alors qu’ils auraient eu besoin de s’arrêter plus longtemps au vu de leur état de santé encore instable. Là aussi, l’avis du HCSP n’est pas respecté. Contactée, l’ARS Occitanie se défend en dégainant un communiqué de presse du centre hospitalier de Condom, daté du 29 octobre et dans lequel il est écrit «qu’aucun professionnel positif n’a travaillé» et que les «mesures d’éviction de service et d’isolement ont été respectées».

«Drôle d’ambiance»

A Condom ou ailleurs, les soignants sont affligés. «Dans la vraie vie, l’assurance maladie demande aux positifs de s’isoler au moins sept jours. Mais nous, forcément, c’est jamais comme tout le monde», se désole une médecin des Hospices de Lyon. «La semaine dernière, ma cheffe était malade, elle avait de la toux et la goutte au nez, mais elle est venue bosser. Le message de la direction c’est un peu : "Ah tu as le Covid ? N’oublie pas de mettre ton masque FFP2 et mange toute seule dans ton bureau !" Personne ne se rebelle vraiment parce que tout le monde culpabilise de laisser tomber les collègues.»

«C’est vrai qu’il y a aussi une drôle d’ambiance dans les services, on a tendance à se regarder de travers, on n’ose pas trop dire qu’on a les symptômes, relate un technicien hospitalier de Saint-Etienne. Pour les précaires, c’est pire. La copine contractuelle, elle ne va rien dire, elle ne va pas se mettre en arrêt maladie parce qu’elle a trop peur de ne pas être renouvelée.» Infirmière urgentiste à Nantes, Julie (1) parle d’une «pression tacite» qui arrange bien «jusqu’au ministère». La semaine passée, elle s’est fait cracher dessus par une patiente en pleine crise d’angoisse, qui avait enlevé son masque. «J’ai appris par hasard en regardant son dossier que cette dame était positive au Covid, relate-t-elle. J’ai demandé si j’étais considérée comme cas contact. On m’a dit que non, car je portais un masque, alors que la patiente m’avait soufflé dans les yeux…» Elle conclut : «Tout le monde a peur que les services ne tournent plus, alors la situation est un non-sens absolu. C’est l’hôpital qui se fout de la charité.» La DGOS finira peut-être pas s’emparer du sujet.

(1) Les prénoms ont été changés.


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