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lundi 4 mai 2020

Pour lutter contre les inégalités sociales de santé, il faut pouvoir les mesurer !




A Saint-Denis, cité du Franc-Moisin.
A Saint-Denis, cité du Franc-Moisin. Photo Stéphane Lagoutte. Myop


Difficile en France d'avoir des données reliant santé et contexte social, alors qu'on sait déjà que ces inégalités vont se creuser pendant et longtemps après la crise actuelle.

Tribune. La pandémie actuelle de Covid-19 est un événement sanitaire exceptionnel qui mobilise des soignants dont l’implication mérite d’être saluée. La meilleure marque de reconnaissance serait de repenser les bases de fonctionnement du système hospitalier, comme ils le demandent depuis des mois. Au-delà des soignants, tout fait craindre que les inégalités sociales vis-à-vis de l’infection à Covid-19 et sa prise en charge soient fortes. Il est probable que l’incidence de l’infection soit plus élevée en bas de l’échelle sociale du fait des professions souvent pénibles, exposées et peu protégées (livreurs, caissières, employés des services, y compris hospitaliers…) pour lesquelles le télétravail est impossible.
La stratification sociale de l’obésité, de l’hypertension ou du diabète, comorbidités plus fréquentes dans les milieux populaires, prédispose à des formes plus sévères. La réponse préventive à la pandémie est plus difficile à mettre en œuvre dans les milieux populaires, le confinement étant moins facile lorsque l’on réside dans des appartements à forte densité et peu confortables, ce qui favorise aussi l’infection au sein d’un même foyer. Les ménages les moins aisés, dont le revenu fait partie des 25% les plus bas, sont 6 fois plus touchés par le surpeuplement que les 25% aux revenus les plus élevés. Faute de données, il est impossible de connaître l’ampleur des inégalités scolaires, renforcées par la fracture numérique, de l’insécurité alimentaire, de l’effet à long terme des comportements de sédentarité, nutritionnels, ou d’exposition aux écrans, et enfin de retards à l’accès aux soins.

L’impact des conditions économiques sur la santé

La gestion sanitaire de la pandémie met aujourd’hui en scène en France un pouvoir politique qui appuie la prise des mesures collectives sur des avis médicaux et scientifiques. Ce même pouvoir est attentif aux conséquences économiques du confinement et prend des mesures destinées à réduire l’impact sur les Français de la crise induite par la pandémie (chômage partiel, mise en sommeil de réformes récentes, soutien financier aux familles). En parallèle, les médias, la presse, les élus locaux et surtout les populations attirent l’attention sur les inégalités sociales et territoriales majeures que révèle cette crise. Mais les conséquences économiques de la pandémie et ses aspects sanitaires semblent traités comme des sphères indépendantes, sans grand lien entre elles, voire antagonistes. Or les considérations économiques ont un impact bien documenté sur la santé, que ce soit par le chômage, les revenus, le logement, l’isolement social, l’insécurité alimentaire et plus généralement les conditions de vie.
Depuis une dizaine d’années, la stratégie nationale de santé, les missions des agences, tous ces textes incluent la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé dans leurs objectifs. Mais le sujet reste absent des mesures sanitaires. Force est de constater que devant cette urgence de santé publique les inégalités sociales de santé sont passées au second plan. A ce jour, en France, l’expertise scientifique a émis des recommandations scientifiques et médicales de haut niveau, mais dans lesquelles la question des inégalités sociales n’apparaît pas. Seules certaines populations, en situation de précarité ou de handicap ont fait l’objet de recommandations. Les décisions prises sont à portée universelle, alors même que la réalité des conditions de vie, les efforts demandés et leurs conséquences sont socialement différenciés.

Surmortalité en Seine-Saint-Denis

La littérature scientifique a pourtant depuis longtemps montré que les conditions de vie sociales et économiques déterminent la santé tout au long de la vie et ceci depuis l’enfance. Le renforcement de certaines mesures de protection sociale propres à notre pays pourra certes atténuer les effets de la pandémie, comme elles ont atténué les effets de la crise de 2008. Mais les inégalités sociales pré-existantes et celles générées par la pandémie vont creuser les inégalités sociales de santé pendant et longtemps après cette crise. Aucune mesure sanitaire ni réflexion n’est en cours à ce sujet. Des signes alarmants sont cependant perceptibles à partir des rares données disponibles. La surmortalité constatée par l’Insee en Seine-Saint-Denis en mars 2020 est un de ces signes.
On sait déjà qu’aux Etats-Unis, l’incidence de la Covid-19 est 3 fois plus élevée dans les comtés dont la population est à prédominance noire que dans ceux où elle est blanche et les taux de décès y sont 6 fois plus fréquents. Il est extrêmement difficile en France d’avoir des données reliant santé et contexte social. Ainsi, elles n’apparaissent pas dans les statistiques de Santé publique France. Les chercheurs qui ont voulu documenter les inégalités sociales de santé se sont généralement heurtés au manque de données sociales dans les dossiers médicaux ou les bases médico-administratives, manque relevé antérieurement par le HCSP. Les données utilisables pour approcher la situation sociale sont aujourd’hui essentiellement territoriales, à l’échelle bien trop hétérogène du département.
Faut-il attendre la prochaine crise ou le «jour d’après» pour disposer de données sociales couplées à des données de santé et réfléchir à des politiques de santé ancrées dans la réalité où elles s’insèrent ? Malheureusement, la crise sanitaire n’est pas terminée, il n’est pas trop tard pour inclure dans la question des politiques de santé celle des inégalités sociales de santé et de proposer des politiques fortes pour ne pas aggraver une situation déjà préoccupante dans notre pays, qui est celui, ne l’oublions pas, où les inégalités sociales de santé sont les plus élevées en Europe occidentale.

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