Les surveillants pénitentiaires à Fleury-Mérogis (Essonne) ou Bois-d’Arcy (Yvelines) se réjouissent de la baisse spectaculaire du nombre de détenus.
Les claquements de portières ne font pas taire les merles aux premières lueurs du jour. C’est leur heure. Le parking de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) s’anime. Il est 6 h 30 ce lundi 4 mai. Les surveillants de l’équipe du matin arrivent pour prendre leur service.
« Depuis le début de la crise liée au coronavirus, on travaille beaucoup mieux, c’est plus tranquille », assure ce surveillant de 31 ans sur un ton décontracté. Comme il n’y a plus d’activités ni de parloir pour les détenus, on n’a plus que deux mouvements par jour à gérer, la douche et la promenade. »
Ces « mouvements » qui rythment les journées des surveillants sont les incessantes allées et venues pour accompagner les détenus aux parloirs, aux ateliers ou aux salles d’enseignement, à la bibliothèque, à la salle de sport ou au parloir avocat. Des kilomètres à parcourir, des centaines de tours de clé pour ouvrir et fermer les portes des cellules, et des attentes entre les lourdes grilles métalliques des sas qui claquent dans un bruit d’enfer.
« Pour éviter les tensions pendant le confinement, la direction a assoupli les règles », explique Wilfried (les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat des surveillants) en sortant de la prison où il a enchaîné le service du matin (de 6 h 45 à 13 heures) et la nuit suivante (de 18 h 45 à 7 heures). « D’habitude, les cellules paires ont droit à la douche un jour, et les impaires le lendemain. Là, c’est tous les jours, même le dimanche, et la direction a dit qu’ils pouvaient les prendre plus tard… ils en profitent. » Mais, insiste le jeune surveillant, en débardeur malgré la fraîcheur matinale, le plus dur pour lui est ailleurs. Confiné dans son studio les jours de repos, il n’est pas rentré dans sa famille dans la Sarthe depuis deux mois.
Gestes barrières « compris »
Bois-d’Arcy souffre de la plus forte densité carcérale des maisons d’arrêt d’Ile-de-France. Le 16 mars, à la veille du début du confinement, elle était occupée à 200 % de ses capacités avec 1 000 détenus. Grâce aux libérations à deux mois de la fin d’une peine permises au nom de l’état d’urgence sanitaire et au tarissement des entrées, leur nombre est redescendu aujourd’hui à 733 pour 503 places. La densité carcérale reste à 145 %.
« Ils sont désormais seuls ou deux par cellule. Les cellules à trois, c’est fini ! Et ça change tout, reconnaît Didier, pourtant peu attendri par leurs conditions de détention. C’est tout de même des humains, après tout. »
Si la détention reste calme, c’est également parce que la « cantine », ce dispositif de commande de nourriture, de cigarettes et autres objets du quotidien, a continué de fonctionner quasi normalement. « Si vous leur retirez les cantines et le shit, c’est la guerre », dit un jeune surveillant. « Malgré l’arrêt des parloirs, ils ont tous leur shit et les téléphones portables circulent toujours, je vous laisse conclure sur la façon dont ça rentre », dit-il avec un sourire gêné.
« Depuis le 31 mars, on a du gel et des masques et les gestes barrières sont compris par les détenus », se félicite un colosse de 38 ans, qui dit avoir « été paniqué au début en raison du virus ». Sur le parking, en revanche, le naturel revient vite. Les surveillants, sans masque, ne se quittent pas sans un « check » ou une accolade.
A une quarantaine de kilomètres de là, à Fleury-Mérogis (Essonne), la plus grande prison d’Europe connaîtrait-elle un instant de félicité ? Son taux d’occupation vient de passer sous les 100 %. Avec 2 860 personnes incarcérées aujourd’hui (pour 2 956 places), contre 3 750 le 16 mars, la décrue est spectaculaire.
« Ça n’a plus rien à voir », confirme Félicien, surveillant au bâtiment D4 de Fleury ; réservé aux courtes peines et aux mineurs, il a vu ses effectifs fondre dans des proportions plus importantes encore : 35 % de moins, à 340 détenus. « Ils sont dans des cellules individuelles, à quelques exceptions près, et plusieurs sont vides ! Si ça pouvait être tout le temps comme ça », se prend à rêver ce Martiniquais de 42 ans, surveillant à Fleury depuis un an.
Seconde promenade quotidienne
Au D2, qui compte surtout des prévenus, ils sont encore 660, le plus souvent deux par cellule. « L’épidémie grave qu’on voyait tous venir n’est pas arrivée », dit Natacha, avec soulagement. Après « l’angoisse des premières semaines », cette surveillante de 35 ans, dont sept passés à Fleury, s’est de nouveau habituée à voir du monde autour d’elle et tout le monde toucher les grilles. Deux équipes de six détenus – auparavant occupés aux ateliers –, sont chargées de désinfecter tous les jours les lieux de passage et les poignées de porte.
A Fleury-Mérogis, où les cellules sont équipées de douches, la direction a mis en place une seconde promenade quotidienne. Et si les salles de sport et de musculation sont fermées, la pratique du football est toujours possible une ou deux fois par semaine.
Les nouvelles règles imposées au nom des gestes barrières permettent aussi de lâcher un peu la bride aux détenus. « Nous ne faisons plus de fouilles par palpation à chaque sortie de cellule, et nous ne faisons plus de fouilles de cellule », affirme Marvin.
Là non plus, la fin des parloirs et des activités organisées par des intervenants extérieurs, souvent dénoncés par les surveillants comme les deux portes d’entrée de produits illicites, ne semble pas avoir tari les trafics de drogue ou de téléphones portables. « Ils ne demandent pas à aller plus à la cabine téléphonique qu’avant », observe un surveillant plus âgé, alors que le ministère de la justice a accordé à chacun un crédit de 40 euros de communications par mois pendant le confinement.
Conditions de travail inespérées
Thermomètre des tensions derrière les hauts murs d’enceinte, le quartier disciplinaire a été gagné par la décrue. Les incidents sont plus rares, et le personnel renforcé. « Au lieu d’être seul à l’étage, on est parfois deux ou trois, grâce au renfort des surveillants des parloirs ou des extractions judiciaires », précise Natacha. Ce qui n’a pas empêché le 30 avril un mouvement collectif de 46 détenus qui refusaient de quitter la cour de promenade. L’arrivée des équipes régionales d’intervention et de sécurité a suffi à ramener le calme.
Avant de prendre son service à 13 heures, Kylian mange un plat de saucisses-lentilles dans une barquette en plastique posée sur le capot de sa voiture. Avec le confinement, le mess est fermé et son self, habitué à résonner des grandes tablées de surveillants, en est réduit à distribuer des repas à emporter dans des sacs en papier.
« On court moins toute la journée, on a enfin le temps de faire du bon boulot, ou tout simplement le boulot qu’on est censé faire mais qu’on n’a jamais le temps de terminer. » Cet ancien éducateur spécialisé de 27 ans aime son métier de surveillant. « On en profite pour faire de l’observation des détenus, discuter avec eux, car l’incarcération peut être un moment pour réfléchir, et noter nos observations dans Genesis [le logiciel de suivi des détenus], dit Kylian. On est aussi plus disponible pour régler les problèmes qui peuvent surgir entre deux codétenus. »
Ces conditions de travail presque inespérées sont dues à une crise qui, elle, n’est pas terminée. Si l’aile du bâtiment D1 libérée pour être entièrement consacrée aux détenus placés en quatorzaine ne comptait plus lundi 4 mai qu’un détenu testé positif au SARS-CoV-2 et quatre cas suspects, l’ensemble des agents du D4 devaient être testés mardi à la demande de l’agence régionale de santé, en raison d’une proportion plus importante de cas parmi le personnel.
La crainte du déconfinement
Comme ailleurs, les conditions du déconfinement inquiètent en prison. Les détenus ont compris, et le plus souvent accepté, l’arrêt des parloirs car il a été décidé après le confinement général de la population. Ils s’attendent à ce qu’ils reprennent avec le déconfinement. Le cas contraire fait craindre aux surveillants un accès de fièvre. Stéphane Bredin, le directeur de l’administration pénitentiaire, a annoncé dès le 30 avril que les parloirs familles reprendraient progressivement la semaine du 11 mai avec un seul visiteur par détenu. Mais la gestion matérielle et sanitaire de ces rencontres censées respecter les gestes barrières est un casse-tête. Si certaines prisons pourraient organiser les parloirs dans un gymnase, les maisons d’arrêts d’Ile-de-France pourraient opter pour le maintien des box de parloir après les avoir équipés d’une cloison en plexiglas pour éviter les contacts. Il faudra gérer les frustrations de ceux habitués à recevoir la visite de leur compagne ou de leurs enfants.
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