Alors que l’analyse des premières données de l’essai européen Discovery a été annoncée pour le 14 mai, le Pr Bruno Lina, directeur du laboratoire de Virologie et Pathologie Humaine (VIRPATH) (Lyon) dans le Centre International de Recherche en Infectiologie, et co-coordinateur pour la France de Discovery, nous livre sa vision sur la recherche thérapeutique contre le SARS-CoV-2. Pour lui, la pléthore d’essais thérapeutiques est justifiée par le patchwork des présentations cliniques du Covid-19. Une grande partie des centaines d’essais en cours livrera des premiers résultats courant mai et juin. Mais à ce stade de la recherche, aucun traitement universel ne semble se dégager.
Antipaludéen, antiviraux, immunomodulateurs, nicotine, chlorpromazine… Qu’est-ce qui justifie un tel dynamisme de la recherche tous azimuts ?
Pr Bruno Lina : Les nombreux essais cliniques s’attachent à différentes phases de l’infection due au coronavirus SARS-CoV-2 : la maladie Covid-19 est un patchwork de différentes présentations cliniques, dans l’immense majorité des cas relativement simples et bénignes, mais avec une frange significative de cas qui posent des problèmes sur le court et le plus long terme (lésions pulmonaires, syndrome de Kawasaki…).
En dehors des facteurs de risque et des comorbidités, faute d’éléments pour repérer les patients qui feront une forme grave voire très grave du Covid-19, les nombreux essais déclinent plusieurs situations cliniques a priori, allant des formes graves hospitalisées qui peuvent basculer vers la réanimation aux formes les plus simples et précoces. Tous les essais cliniques n’ont donc pas forcément la même finalité. Il s’agit pour certains d’éviter le décès et pour d’autres d’éviter l’aggravation de l’état du patient. En fonction du contexte, le critère de jugement principal diffère, comme, par exemple, le nombre de personnes qui vont développer des symptômes ou qui nécessiteront une hospitalisation pour un essai testant un médicament en prophylaxie. Ce sera plutôt le nombre de personnes admises en réanimation dans un essai mené chez des patients hospitalisés. De fait, la diversité des essais est indispensable pour apporter des éléments aux différentes étapes de la maladie mais également en fonction des particularités cliniques.
Mon avis, fondé sur plusieurs observations, est que les traitements que nous serons amenés à proposer ne seront pas des traitements universels. Certains seront probablement bien calibrés pour les formes très graves, d’autres pour des formes simples. En attestent les résultats préliminaires d’une étude française sur l’immuno-modulateur anti-IL-6 tocilizumab (AP-HP) dévoilés le 27 avril. Celui-ci semble réduire significativement la proportion de patients ayant dû être transférés en réanimation ou décédés, par rapport à ceux ayant reçu un traitement standard, mais ceci uniquement chez les patients dans un état grave.
Malgré l’urgence, les designs des études ont-ils tenu compte de l’intérêt spécifique des molécules en fonction du stade de l’infection et des particularités cliniques des patients infectés ?
Pr B.L : La plupart, mais peut-être pas suffisamment. Selon un schéma simpliste, l’infection virale débute par une phase précoce au cours de laquelle nous avons besoin d’antiviraux efficaces. Elle laisse place ensuite à une réponse immunitaire inflammatoire qui justifierait plutôt l’emploi d’immunomodulateurs afin d’empêcher que la réponse immunitaire ne soit elle-même délétère (le fameux « orage cytokinique »). D’où une élaboration minutieuse du design des études et dans la fixation des objectifs, en vue ensuite de positionner correctement les médicaments. En théorie, des choix mal faits pourraient « enterrer » des molécules qui auraient pu avoir un intérêt dans le Covid-19.
Aujourd’hui, le grand public peut s’interroger en apprenant des résultats contradictoires d’une étude à l’autre portant sur une même molécule. Outre les questions de méthodologie (observationnelle ou randomisée contre placebo, rétrospective ou prospective, taille de la cohorte…), cela s’explique par la typologie des patients et leur situation clinique. Si l’on ne tient pas compte de l’ensemble de ces critères, avec la plus grande rigueur scientifique, cela peut brouiller les cartes et sacrifier des pistes thérapeutiques intéressantes. Nous espérons affiner des canevas thérapeutiques – thérapies antivirales et immunothérapies – qui permettent de réduire le risque d’infection grave et de mortalité, comme cela semble être le cas avec les premiers résultats préliminaires (remdesivir et tocilizumab) qui sont révélés au compte goutte, même si les principaux essais, aux critères méthodologiques les plus élevés, gardent encore leur secret.
Quels sont les essais clé les plus attendus ?
Pr B.L : Annoncés pour le 14 mai par le Président de la République Emmanuel Macron, les résultats de l’essai Discovery ne seront en fait que simplement analysés par le Data Surveillance Monitoring Board, un comité d’experts indépendant. Mais je pense que si l’un des traitements testés dans cette étude (remdesivir, hydroxychloroquine, association lopinavir -ritonavir associé ou non à l’interféron beta) devait révolutionner la prise en charge des patients Covid-19 modérés à sévères, l’information aurait déjà fuité car l’on repère très vite si l’efficacité d’un bras de l’étude est bien supérieure aux autres. Objectivement, quelles que soient les molécules testées, aucun effet franchement supérieur ne ressort. L’analyse permettra, je l’espère, de faire émerger des signaux faibles mais positifs. Dans le cas contraire, il faudra poursuivre les investigations jusqu’à la fin de l’essai, c’est-à-dire atteindre les 3 000 inclusions (745 inclusions le 7 mai). Le rythme d’inclusion ralentit du fait du confinement. C’est une course contre la montre mais nous avons été efficaces pour débuter très rapidement cet essai, particulièrement en France.
Concernant les autres essais, à la date de début mai, aucune molécule ou stratégie thérapeutique (antiviraux, hydroxychloroquine, anticorps thérapeutiques, plasma de convalescent, cellules stromales mésenchymateuses, etc.) n’a livré de signal extraordinaire, avec l’espoir de résoudre le problème du coronavirus. Néanmoins, les analyses sont compliquées à réaliser et il faut que nous prenions le temps de regarder de près les critères de chaque étude afin de parvenir à détecter des signaux fiables, sur des effectifs souvent modestes. La recherche reste extrêmement dynamique. Par ailleurs d’autres stratégies thérapeutiques sont envisagées, en recyclant d’autres antiviraux (favipiravir,…) utilisés soit dans d’autres pathologies, soit contre d’autres virus.
Quant à la recherche fondamentale, aucune molécule développée spécifiquement dans le Covid-19 n’a encore fait l’objet de publication sur des essais in vitro.
Les essais cliniques sont essentiels, mais l’expérience des soignants joue également ?
Pr B.L : En effet, j’en veux pour preuve la prise en charge incomparable d’un patient hospitalisé en réanimation à la mi-mars 2020 et début mai, avec un taux de mortalité bien inférieur à celui des premières semaines de la pandémie (passé de 30 à 10 %). Le standard of care (les traitements non spécifiques) a été affiné et en particulier le nursing des patients, les procédures de réhydratation, le suivi de la réaction inflammatoire et de la réponse immunitaire ou l’utilisation de la corticothérapie. Dans les maladies avec un processus inflammatoire intense, le timing de la prise de corticoïdes est primordial. Avec l’expérience des réanimateurs acquise durant les premières semaines de la pandémie, le taux de survie a donc augmenté de manière significative.
Propos recueillis par Hélène Joubert
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