Concert virtuel de Travis Scott dans le jeu en ligne Fortnite, le 23 avril. Photo Frazer Harrison. AFP
Alors que tout le monde est coincé chez lui, le fantasme d'un univers virtuel collectif entièrement en ligne refait surface.
Plongée dans les eaux profondes d’Internet. Cette semaine, comment les créateurs de Facebook ou Fortnite rêvent de créer un monde parallèle numérique.
En 1992, l’auteur de science-fiction Neal Stephenson imaginait dans son roman le Samouraï virtuel (Snow Crash, en anglais) le concept de «métaverse». Il s’agit d’un espace numérique collectif, accessible grâce à des lunettes connectées. Le «métaverse» fait figure d’univers parallèle au nôtre : les éléments qui le composent sont persistants, et l’on s’y balade à la première personne, au travers des yeux de notre avatar virtuel. En résumé, imaginez un monde dans lequel vous n’avez pas besoin de sortir de chez vous pour aller au cinéma, voir un concert, faire du shopping ou prendre un apéro entre amis. En fait, n’imaginez rien du tout. Depuis le début de la crise du coronavirus, avec notre nouveau quotidien confiné et hyperconnecté, nous n’avons jamais été aussi proches du vieux fantasme du «métaverse».
Le concept du «métaverse» fascine les entrepreneurs et technophiles, et a déjà donné naissance à des projets plus ou moins poussés. Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, sous-entend depuis longtemps qu’il souhaite construire une sorte de métaverse, exploitant ses investissements dans la réalité virtuelle et, évidemment, ses nombreux réseaux sociaux. Le jeu Second Life a lui connu son heure de gloire au début des années 2000, avec son univers réaliste, ses centaines de milliers d’«habitants» et son propre système monétaire. «Second Life n’est pas voué à rester un jeu, un monde parallèle ; il est voué à être votre prochaine manière d’utiliser l’Internet», pouvait-on lire dans une tribune publiée dans Libération en 2007. Le jeu, finalement, est retombé dans un (relatif) oubli, ses utilisateurs lassés par sa trop grande complexité et sa lenteur.
Concerts immersifs
Une dizaine d’années plus tard, les jeux vidéo ont toujours une longueur d’avance. Minecraft, sorte de boîte de legos virtuelle, et propriété de Microsoft, héberge des architectes en herbe, des concerts de rock, des ordinateurs fonctionnels, et même une archive officielle de Reporters sans frontières. Fortnite, un jeu dont le but est normalement d’affronter des zombies ou d’autres joueurs, propose de nombreuses expériences annexes (et souvent sponsorisées), comme de regarder le trailer du dernier Star Wars ou d’assister fin avril à un concert immersif du rappeur Travis Scott. Ce dernier a été suivi, le premier soir, par plus de 12 millions de joueurs en direct.
«Fortnite est un jeu. Mais reposez-moi la question dans un an», tweetait Tim Sweeney, PDG d’Epic, qui développe Fortnite, en décembre. Ce dernier revendique sa fascination pour le concept de métaverse.
De nombreux obstacles empêchent encore le développement d’un véritable métaverse. Ils sont d’ordre technique (quel matériel pour s’y connecter ? Quelles infrastructures pour l’héberger ?), économique (comment s’assurer que des entreprises acceptent d’interconnecter leurs produits et les expériences qu’elles proposent à leurs clients ? Comment définir la propriété intellectuelle dans un tel univers ?), et surtout éthiques (un métaverse peut-il briser la domination de la poignée de géants du web, ou au contraire la renforcer ?). Le métaverse pourrait aussi être condamné à être une énième lubie de technophiles jamais concrétisée, un concept marketing répété en boucle dans des conférences ou des présentations d’investisseurs.
Il n’empêche. La numérisation à marche forcée de beaucoup d’éléments de notre quotidien, contrainte par le confinement, donne peut-être un avant-goût du futur d’Internet. On prend des apéro-skype, on se cultive sur YouTube, on prend des cours de sport sur Twitch. Même Second Life revient à la mode. «En seulement deux mois, nous avons pris l’habitude de discuter avec nos collègues sur Zoom, ou de mener des étapes importantes de notre vie comme des mariages ou des remises de diplôme sur Animal Crossing, constate le journaliste Gene Park pour le Washington Post. Un métaverse ne semble pas seulement être une option réaliste ; il nous serait en ce moment plutôt utile.»
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