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lundi 4 mai 2020

Les chauves-souris, accusées à la volée

Par Aurore Coulaud —  (mis à jour le 
Illustration Sarah Bouillaud pour Libération

Mises en cause dans le processus de transmission du Covid-19, les chauves-souris ne sont ni les uniques ni les premières responsables.

Aujourd’hui encore, il n’y a pas de certitudes scientifiques sur l’origine des zoonoses (maladies transmissibles de l'animal à l'homme) ou épidémies actuelles et passées. Mais dans l’histoire du Covid-19, l’implication de la chauve-souris fait peu de doute. Reste à savoir où, quand et comment. Peut-être que le virus est apparu dans un village paumé de Chine ou d’Indonésie ou de Thaïlande. Peut-être même qu’un pangolin a léché à l’aide de sa langue gluante des fourmis contaminées par un chiroptère. Ou pas. Peut-on pour autant l’accuser de tous nos maux ? Pas si simple…

Pas plus dangereuses que les chiens

Ces petits mammifères, auxquels on s’intéressait déjà sous Aristote et pour lesquels la curiosité n’a cessé de grandir depuis le XIIIsiècle, sont arrivés tardivement dans l’histoire des maladies infectieuses, rappelle l’historien Frédéric Vagneron. «La découverte de leur rôle dans la transmission de la rage, dans les années 50, est intervenue à un moment clé de la montée des préoccupations face aux maladies zoonotiques au niveau international.»

Hormis les virus de la rage, il est vraisemblable que la chauve-souris soit aussi le réservoir naturel des virus cousins des Sars-CoV (1) (Sars-CoV-1 de 2003 via la civette et Sars-CoV-2 de 2019) (et dont on a déjà retrouvé des éléments chez le grand rhinolophe), de l’ancêtre du Mers-CoV des dromadaires (2), de Marburg, d’Ebola, de Nipah et de Hendra (chez les frugivores) ainsi que d’autres familles virales également représentées chez de nombreux mammifères terrestres dont celles des virus de la grippe, des oreillons et de la rougeole des humains.
En dépit de ce constat, ce sont bien les animaux domestiques et les rongeurs qui s’avèrent être les plus gros transmetteurs de maladies pour l’homme (variole, fièvre hémorragique de Corée, fièvre de Lassa, etc.) Celles qu’on a identifiées longtemps à tort comme des rongeurs (même par Kim Basinger dans Batman en 1989) hébergeraient toutefois plus de virus par espèce que les (vrais) rongeurs. Et puis «comme elles volent, comme elles sont grégaires, vivent collées-serrées, la propagation est facilitée», explique Jean-François Julien, spécialiste des chiroptères au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Qui contrebalance : «Il faut garder en tête que beaucoup des virus qu’hébergent les chauves-souris, sans avoir la certitude qu’elles les transmettent à l’homme, ne sont pas plus dangereux que le virus de la maladie de Carré, développée notamment chez les chiens.»

Une particularité immunitaire

«Les succès de ces passages de virus sont extrêmement rares, rassure l’épidémiologiste François Moutou. C’est comme jouer au loto.» Sauf que bien souvent, faute de cohabitation préalable entre le virus et la nouvelle espèce, les dégâts qu’il provoque peuvent être fatals pour l’homme. Comme pour le Covid-19, «la réponse du système immunitaire est parfois telle qu’elle détruit tout sur son passage, le mauvais comme le bon», résume Jean-François Julien. Contrairement aux humains, pourquoi les chauves-souris ne développent-elles pas (ou peu) de symptômes ? La réponse, ou du moins une partie, résiderait dans une particularité immunitaire qui les rendrait plus solides face aux attaques du virus. Mais là encore, rien d’affirmatif.
Notre approche anthropocentrée nous ferait presque oublier que l’homme, comme tous les êtres vivants, abrite lui aussi tout un tas de virus (à commencer par quatre coronavirus dont deux bêta anodins qui provoquent des rhumes) et qu’il est, à l’inverse, lui aussi en capacité de contaminer les animaux. Ce fut déjà le cas pour les gorilles et les chimpanzés. Mais aussi les vaches avec la tuberculose ou encore la maladie du nez blanc (qui ici n’infecte pas l’homme), «causée par le champignon filamenteux, d’origine européenne», «introduit via des activités humaines» et qui aurait décimé depuis 2006 dans l’est des Etats-Unis «une large part des populations de chauves-souris hibernantes», indique sur son site la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) par la voix de son président, Jean-François Silvain. «Plus la faune est en danger, plus il y a de zoonoses», constate-t-il.

Les zoonoses favorisées par la destruction des habitats

Aujourd’hui dans le monde, on recense environ 1 400 espèces de chauves-souris, dont les fameux «vampires» d’Amérique latine qui se nourrissent exclusivement du sang de leurs proies. Pas de celles qu’on peut trouver parmi les trente-cinq espèces (environ) qui évoluent en France, depuis le nord, où ont élu domicile de nombreuses colonies de grands murins (aujourd’hui menacés comme les petits et grands rhinolophes), et jusqu’au sud, plusieurs de murins de Capaccini. Les populations d’espèces les plus répandues dans l’Hexagone, comme la pipistrelle ou la noctule commune (classée vulnérable dans la liste rouge nationale de l’Union internationale pour la conservation de la nature), se cassent la figure, d’après le programme de suivi Vigie-chiro du MNHN«Elles sont en baisse de 30% à 40% sur dix ans», constate le Muséum. On peut notamment essayer d’observer ces fameuses pipistrelles à Bourges, qui dénombre actuellement 70 colonies intramuros et 800 pour tout le département du Cher (à raison chacune d’une dizaine d’individus jusqu’à 600 voire 700), signale Laurent Arthur, du Muséum d’histoire naturelle de la ville. Jamais autant, certes, que les centaines de milliers de molosses postés sous le Congress Avenue Bridge à Austin, au Texas. Ou en Bulgarie. On trouve aussi des millions de chauves-souris regroupées dans des grottes en Indonésie, en Malaisie ou aux Philippines. Mais ces colonies tendent à se raréfier en raison d’une combinaison de facteurs humains.
«Pendant des siècles, on pensait que le monde sauvage nous attaquaitavant de comprendre l’inverse dans les années 70», rappelle l’anthropologue Frédéric Keck. Epoque à laquelle les chauves-souris comme les hérissons et les rapaces nocturnes étaient protégés et faisaient même l’objet de prosélytisme de la part du ministère de l’Education nationale, raconte Laurent Arthur. «L’espace est devenu de moins en moins sauvage et l’espèce humaine est responsable de ses maux», poursuit Frédéric Keck. En systématisant la transformation des écosystèmes dans une logique d’industrialisation, nous avons détruit les habitats naturels des chauves-souris, et plus globalement ceux de la faune, qui se planque notamment dans les bois et les forêts aujourd’hui anthropisés par des cultures ou des routes. Inexorablement, cela a engendré une chute des espèces mais aussi, parallèlement, une plus grande proximité entre elles et les êtres humains, accroissant donc les interactions, surtout en Asie du Sud-Est et en Afrique. Et donc les potentielles contaminations. «Il ne faudrait pas que l’Amazonie se transforme en prairies, s’inquiète ainsi Jean-François Silvain. Les cultures nouvellement implantées par l’espèce humaine sont parfois contaminées par les chauves-souris dont on a volé l’habitat au profit des plantations de palmiers à huile.»

«Pas d’espèces utiles ou nuisibles»

Cette proximité est également favorisée lors des captures scientifiques ou celles destinées à la consommation alimentaire directe, notamment pour la Chine, où les chauves-souris sont appréciées tant pour leur chair que leurs vertus symboliques. Favorisée aussi par l’explosion de la population mondiale capable de se déplacer toujours plus vite, et qui colonise de plus en plus de territoires jusqu’ici vierges d’hommes. Ajoutons le développement massif des élevages industriels et l’essor de la possession d’animaux de compagnie, d’espèces sauvages ou non qui sont autant de potentiels hôtes intermédiaires dans le processus de développement des zoonoses. 
Difficile aujourd’hui de hiérarchiser l’importance de ces facteurs. «L’homme est victime de son comportement et responsable de ces virus, martèle Jean-François Julien. En interagissant avec ces espèces, on rompt un équilibre à notre détriment car la chauve-souris et l’homme possèdent leur propre écosystème.» A ce déséquilibre des écosystèmes se greffent les pesticides (et de fait, la baisse des insectes dont se nourrissent certaines espèces), la pollution lumineuse, la prédation des chats, les éoliennes, les rénovations d’habitats…
De façon brute, l’essentiel des chercheurs et spécialistes interrogés pointent du doigt la mondialisation et ses effets globaux. «Au risque de diluer les responsabilitéhistoriques et donc de trouver peu de leviers d’action face à une fatalité», souligne l’historien Frédéric Vagneron. Dans cette lutte pour la vie, il y a aussi ceux qui s’évertuent à rappeler les «bons côtés» de ces bêtes qui, dans l’imaginaire collectif, prendraient plaisir à s’accrocher dans la chevelure des humains. Les chauves-souris ont un rôle essentiel dans la pollinisation des baobabs, des manguiers, des durians, des agaves (avec laquelle on fait notamment la tequila…) et dans la régénération des forêts en disséminant des graines ; mais aussi dans la régulation des insectes ravageurs (comme pour les vignes en France) les érigeant (comme d’autres) en une alternative louable aux produits phytosanitaires. En pleine épidémie de coronavirus, «tenter de les dédouaner reviendrait à dire qu’elles ont fait quelque chose de mal et donc les rendre coupables», estime Jean-François Julien. Qui, à l’instar de ses confrères François Moutou et Laurent Arthur, se bat contre les notions d’utile et de nuisible appliquées aux animaux.
(1) Coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère.
(2) Syndrome respiratoire du Moyen-Orient.

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